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On sent tout de suite l’épaisseur. Ce n’est pas une série comme le tout venant du genre, c’est une série qui vient d’autrefois, d’une densité qui ne se fait plus, dont on pourrait dire qu’elle a de l’étoffe. Les séries se jugent comme les robes ou les costumes, on en reconnaît d’emblée le tomber, la coupe, la main, le fini. Celle-ci n’est pas nécessairement séduisante ni originale, mais elle est extraordinairement confortable pour ceux qui préfèrent le tweed au polyester.

Un échantillon du butin

L’affaire est d’importance. Il s’agit de l’un des plus gros braquages de l’histoire du Royaume-Uni. 6 840 lingots d’or pur représentant 3 tonnes de métal précieux dérobés par 6 voleurs le 26 novembre 1983, à 6 heures 40, dans un dépôt de Brink’s-Mat à proximité de l’aéroport d’Heathrow. À ce monceau d’or s’ajoutaient 1 000 carats de diamants et 250 000 $ de chèques de voyage. Il y en avait en tout pour 26 millions de livres sterling.

Selon ce que nous raconte la série, les voleurs ne s’attendaient même pas à un tel trésor puisqu’ils étaient venus voler des billets de banque ordinaires. Le hasard a fait qu’un stock d’or avait été déposé pour la nuit dans les locaux de la Brink’s-Mat de l’aéroport pour partir le lendemain par avion, vers Hong-Kong.

Palmer et sa femme devant le creuset

Voler des billets et les faire disparaître dans la nature est relativement aisé à condition que leurs numéros n’aient pas été répertoriés, mais de l’or ? Substituer trois tonnes d’or au marché des métaux précieux pour l’y réintroduire aussitôt, maquillé, et en tirer le meilleur prix, est une opération des plus délicates. Le marché est surveillé à la loupe et l’on doit compter sur des compétences techniques pour transformer un lingot d’or pur en un lingot d’or de moindre qualité, puis sur des négociants habilités à valider l’origine « légale » du lingot et enfin sur des joailliers pas trop regardants. Pour ne pas se faire repérer, les conjurés usèrent d’une tactique que l’on peut résumer ainsi : dispersion, transformation, circulation. Au point que quelqu’un, à l’époque, déclara que tout Londres portait de l’or volé à la Brink’s-Mat autour du cou, au poignet ou au doigt.

Pour résumer, ce que raconte The Gold est la course entre des voleurs qui ont besoin de temps pour fondre l’or, le dénaturer puis le vendre et placer illégalement les bénéfices dans des affaires légales poursuivis par des policiers qui savent que chaque minute un peu d’or disparaît sans pouvoir être jamais retrouvé.

Un marchand complaisant.

Les braqueurs tombent vite, mais remonter la filière est plus complexe, les receleurs et toutes les petites mains en charge de la disparition de l’or et de l’argent restent introuvables. Certains ne seront sans doute jamais inquiétés tant le réseau est vaste. Il faudra un temps considérable pour que la police comprenne que l’argent issu du braquage a alimenté le boom immobilier des Docklands, l’ancienne zone portuaire de l’Est de Londres, sans espoir d’être retrouvé. Et qu’il a été à l’origine du blanchiment d’argent à l’échelle internationale.

L’avocat Edwyn Cooper sur les bords de la Tamise, bientôt bétonnés.

Pour raconter tout cela, The Gold n’a besoin de que faits et se passe volontiers de bavardages, de digressions psychologiques comme de morale. Bien évidemment, les voleurs attirent notre sympathie parce que des voleurs, s’ils ne sont pas trop brutaux, sont toujours plus séduisants que les policiers. C’est le syndrome de Robin de Bois. Il a fallu le roman noir pour les teindre de grisaille et les affliger d’un destin en forme de cul-de-sac.

Deux des braqueurs présentent un échantillon de leur butin à Kenneth Noye

Si, donc, The Gold évite la psychologie, elle manifeste une claire orientation sociologique, voire politique. Les voleurs proviennent des quartiers défavorisés du sud de Londres. Ceux qui prennent le relais pour le traitement de l’or sont également issus des quartiers pauvres, même s’ils jouissent de positions plus confortables grâce à un mariage pour l’avocat Cooper (Dominic Cooper) ou au succès de leurs activités illicites pour le receleur Noye (Jack Lowden) ou le marchand d’or Palmer (Tom Cullen). Lors d’une dispute, Isabelle Cooper (Ruth Bradley) a d’ailleurs la cruauté de rappeler à son mari ce qu’elle a dû endurer pour l’imposer dans son milieu social.

Maintenant qu’il a gagné en statut, Cooper a trouvé les protections nécessaires en entrant dans la franc-maçonnerie tout comme son comparse Noye. Il n’en reste pas moins que jusqu’à un certain niveau, tous les voleurs sont d’origine misérable. Au-dessus, les détrousseurs de plus haute volée ne se font jamais attraper. D’où notre sympathie pour les premiers.

Les policiers chargés de les traquer sont issus de classes sociales à peine différentes. L’inspectrice Nicki Jennings (Charlotte Spencer) se le voit rappeler chaque fois qu’un suspect, la reconnaissant, lui demande insidieusement des nouvelles de son père ou de Rotherhihte, son quartier d’origine, dans ce sud de Londres si déconsidéré.

L’inspectrice Nicki Jennings

Dans le même ordre d’idée, ce dialogue éclairant est tenu entre le commissaire Boyce (Hugh Bonneville) et sa supérieure hiérarchique au moment où trois des receleurs sont en passe d’être appréhendés ou le sont déjà :

– Pourquoi avez-vous quitté l’Armée ? Vous êtes un soldat en uniforme de policier.

– L’Armée de sa Majesté a jugé que je n’étais pas de la classe des officiers. J’avais les capacités, mais pas la lignée.

– Ce pays s’empêtre dans ce genre de choses.

– Sans des gens qui s’empêtrent dans ce genre de choses, qui essaient de dépasser la vie qu’on leur a donnée, nous n’aurions pas ce travail. C’est pourquoi Noye a fait ce qu’il a fait et c’est pourquoi Cooper a fait ce qu’il a fait. C’est pourquoi Palmer est dans cet avion.

Le commissaire Boyce

Pouvait-on avouer plus limpidement que la police sert à maintenir la hiérarchie sociale ? Néanmoins, au Royaume-Uni, du moins, elle sait se tenir à équidistance du milieu des voyous et de celui de l’aristocratie, et c’est là sa morale.

Des victimes, on ne sait rien, ou très peu. Le propriétaire de l’or n’a pas de visage, c’est une multinationale, je ne crois pas que son nom soit mentionné, seul celui du transporteur l’est. La puissance de ces gens s’exprime par leur invisibilité ou, du moins, par leur distance au reste de la société. L’unique personnage à incarner la classe des possédants est l’élégante et redoutable femme de Cooper, dont l’expression sarcastique donne la mesure du sentiment de supériorité en vigueur dans sa sphère sociale.

Isabelle Cooper et son ex-mari

« Ce pays ne change pas. Il n’y a rien que le système n’aime plus que ceux qui s’en prennent à lui. C’est là qu’il montre sa force » lance-t-elle sèchement à son mari lorsqu’il rompt les amarres pour se lancer dans les affaires frauduleuses. Comment ne pas lui donner raison ?

Une grande partie de l’attrait de The Gold tient ainsi à l’équilibre entre deux tensions : le suspens de la traque des gangsters et leur urgence de dissoudre l’or dans l’économie marchande d’un côté, relevant de l’immédiateté, et, de l’autre bord, l’antagonisme des classes sociales, relevant, lui, du temps long.

Gordon Perry (Sean Harris), le très convaincant complice de Cooper

The Gold, cependant, ne raconte pas tout. Elle ne dit pas que l’impétueux Noye, acquitté du meurtre au couteau d’un policier dans son jardin, tua dix ans plus tard un jeune homme sur une bretelle d’autoroute, toujours avec un couteau. Elle ne raconte pas, non plus, les autres morts, moins photogéniques, qui jonchèrent les traces du braquage de la Brink’s-Mat au fil des mois et des années. Une série en six épisodes ne pouvait rendre l’extrême complexité d’une enquête qui ne parvint jamais à connaître ni tous les acteurs ni le destin de tout l’or du braquage. À moins de se poursuivre une autre saison, ce qui reste de l’ordre du possible.

En attendant on aura appris d’elle que les Robin des Bois n’existent qu’au cinéma.

The Gold est une mini-série britannique en 6 épisodes écrite par Neil Forsyth, réalisée par Aneil Karia et Lawrence Gough et diffusée sur BBC One début 2023. Elle interprétée notamment par : Hugh Bonneville, Dominic Cooper, Charlotte Spencer, Sean Harris, Jack Lowden, Sean Harris, and Tom Cullen..

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