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Je ne voulais pas finir l’année 2023 sur la tonalité dépressive d’un True Crime, aussi avais-je gardé pour les derniers jours une adorable série japonaise, toute de douceur et de générosité. Adaptée du manga Kiyo in Kyoto de Aiko Koyama, elle est l’une des rares réussites de traduction de l’univers du dessin à celui de la série télévisée. La critique en sera courte tant il y a peu à dire sur une œuvre si réussie et portée par autant de bons sentiments. L’Enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions, mais la maxime ne s’applique pas à un conte que l’on pourrait résumer par un mot, sans cesse prononcé par les personnages : Okini.

Okini

Okini qui signifie merci. Mais pas seulement merci, comme l’explique la page d’un site spécialisé (1) : Le terme« Okini » transmet un sentiment de chaleur, d’hospitalité et de familiarité, c’est un mot issu du dialecte de Kansai, c’est-à-dire à la région de Kyoto, où se déroule l’histoire, et d’Osaka. La qualité de rapports humains qu’implique ce simple mot reflète toute l’atmosphère de la série et semble être ce qui guide le parcours de chaque personnage. Il dégagerait également un sentiment de nostalgie, ce qui sied parfaitement à Kyoto, ancienne capitale du Japon et conservatoire de la tradition japonaise.

Sumire (Natsuki Deguchi ) et Kiyo (Nana Mori) partent pour Kyoto

Si deux jeunes filles, Kiyo et Sumire, quittent Aomori, leur ville du nord du Japon pour se rendre à Kyoto, c’est justement pour entrer dans une école où elles s’initieront à la tradition des geishas, un okiya. Qu’on ne s’y trompe pas, une proximité a existé il y a longtemps entre prostituées et geishas, mais ce n’est plus le cas depuis longtemps, en dépit des légendes persistantes (2). Kiyo et Sumire entrent donc dans un okiya appelé Maison Saku, pour devenir maiko (apprenties), puis geiko (geisha). Minuscule univers totalement féminin où les filles cohabitent sous l’autorité d’une directrice et d’une ancienne geisha qui se font appeler « mères » et où elles suivent l’enseignement de professeures.

Apprenties au maquillage

Les 9 épisodes de Makanai nous montrent la lente éclosion de Sumire qui, à force de répétitions puis grâce aux conseils d’une geisha accomplie, Momoko, atteint la maîtrise des arts qu’une maiko se doit de posséder à la perfection : le mai (danse), la musique, l’art dramatique, le maquillage, l’art floral, l’art de la conversation, le rituel de la cérémonie du thé, etc. En revanche, son amie Kiyo, qui ne possède pas de dispositions naturelles, n’effectue pas les progrès suffisants pour devenir maiko. Les mères se voient contraintes de lui déconseiller de continuer. Malgré tout, Kiyo a une autre passion, peut-être même une passion plus forte : la cuisine. Pour convaincre la directrice de la garder à l’okiya et ne pas être séparée de Sumire, elle va faire la démonstration de son talent en préparant matin, midi et soir quantité de plats adaptés à la saison, aux évènements, aux élèves et responsables de l’okiya. Elle est vite adoubée makanai, cuisinière dans la maison des maikos.

Kiyo reçoit sa blouse de Makanai

La série ne raconte que cela, le quotidien de ce gynécée où, à travers la vie en commun et la discipline imperturbable de l’apprentissage, le respect de l’autre et le souci de la cohésion de la communauté prévalent.

À elles deux, Sumire et Kiyo offrent aux autres à la fois le plaisir des arts et celui de la gastronomie, le premier issu d’une discipline stricte, le second d’un savoir familial, tekné et mnémé disaient les grecs, technique et mémoire.

Sumire et Kiyo

Un univers d’éducation d’une telle bienveillance est une utopie, l’utopie d’une école idéale. On peut la trouver mièvre, et sans doute l’est-elle par certains de ses aspects, mais elle est surtout si protectrice que les filles qui voudraient s’en échapper et retrouver le monde moderne, réalisent vite ce qu’elles y perdraient. Momoko, par exemple, la geisha accomplie, préfère abandonner son prétendant que de perdre sa fonction. Quant à son apprentie Sumire, elle oublie peu à peu le garçon resté dans le nord et qui était son amoureux. Et lorsque son père vient la chercher pour la ramener à la maison et lui faire reprendre une vie d’étudiante, elle s’oppose fermement à lui, sans doute pour la première fois de sa vie. Tous doivent l’accepter, la novice a choisi de se faire nonne.

La douloureuse séparation de Sumire d’avec son père

Les petits rats de l’Opéra de Paris sont traitées avec bien plus de dureté et celles du Bolchoï endurent pire encore que les maiko. Toute leur vie d’artistes, elles doivent se soumettre à un régime et un entraînement d’une rigueur implacable. C’est le prix de la perfection, sans doute, mais il y a quantité d’autres métiers dont les exigences sont aussi fortes, au point d’impliquer, eux aussi, une véritable vocation et de longs entraînements.

Répétition de danse

On apprend quantité de choses en regardant Makanai. On reste admiratif de ces danses très lentes où chaque geste et chaque pose possède un sens précis (qui nous échappe) et doit être accompli à la perfection. On se dit que l’essentiel ne sert à rien, ce qui est une définition de l’art. Même pas à thésauriser comme le fait l’art occidental qui devient, de fait, marchandise. Une scène très belle montre une représentation de danse sur une scène soutenue par deux barques, sur un lac, dans un paysage sublime. Tout cela coûte une fortune, juste pour un instant de pure poésie. Tous les participants, spectateurs compris, en connaissent la véritable valeur.

Spectacle sur l’eau

Ce qui ne veut pas dire que les autres questions, plus terrestres, soient totalement absentes. La dépression de Ryoko, la fille de mère Azusa, par exemple, la sexualité, subrepticement évoquée, l’alcool un peu plus clairement. Quant à l’apprentie qui abandonne et pour laquelle Kiyo prépare le riz bouilli qu’elle offre aux autres en guise de cérémonie de départ, on conçoit l’effort psychologique qui lui est nécessaire pour s’extraire du cocon sans être devenue chrysalide.

Pour supporter tout cela, il faut manger de bonnes choses. Le réconfort que les apprenties trouvent avec une soupe, une friture ou une préparation de légumes est irremplaçable. Les sens, tous les sens, alimentent l’art. Et c’est ainsi que Kiyo, avec son sourire, son plaisir de faire le marché, sa science des légumes et des cuissons, devient aussi irremplaçable que Sumire devenue Momohana, la nouvelle maiko.

Kiyo découvre Sumire costumée en maiko

Telle est la leçon de Makanai : chacun a un rôle dans la société et tous sont aussi importants.

Nous sommes aux antipodes de Mizogushi, dont l’enfance fut traumatisée par la disparition d’une sœur, vendue par leurs parents comme geisha. L’époque est très éloignée et la condition féminine est supposée avoir évoluée. On pourrait certes s’interroger sur l’image de ces femmes, formées pour divertir les hommes d’affaires. Makanai choisit de les mettre à la hauteur des acteurs de théâtre Kabuki et d’en faire les vestales des arts traditionnels japonais. Dont acte.

Notes : 1 – Je ne peux que conseiller de consulter cette page d’Univers du Japon pour apprendre ce qu’il y a à connaître du sujet, a minima : https://universdujapon.com/blogs/japon/geisha ou cette autre page, sous forme de reportage : https://www.lejapon.org/forum/content/831-L-ecole-des-geisha

Makanai : dans la cusine des maikos (舞妓さんちのまかないさん) est une mini-série japonaise en 9 épisodes adapté du manga Kiyo in Kyoto de Aiko Koyama, écrite, réalisée et produite par Hirokazu Kore-eda. Elle est diffusée sur Netflix depuis janvier 2013. Elle est interprétée notamment par : Nana Mori, Natsuki Deguchi, Aju Makita, Takako Tokiwa, Keiko Matsuzaka, Ai Hashimoto, Mayu matsuoka, Lily Francky,…

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