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The Bear saison 1 : Quelque part dans Chicago, Carmen Berzatto, alias Carmy, hérite de la sandwicherie de son frère décédé. Pour celui qui s’est formé dans de prestigieux restaurants new-yorkais et bénéficie déjà d’une belle notoriété de chef, c’est un déclassement professionnel. Pour le frère absent depuis longtemps de Chicago, le devoir exige de reprendre l’affaire de famille. Carmy doit repartir de zéro, secondé par son cousin Richie et Sydney, une apprentie attirée par sa réputation.

Le placide Marcus (Lionel Boyce), désormais en charge de la pâtisserie

The Bear saison 2 : Carmy entreprend de transformer la sandwicherie en restaurant gastronomique. Chacun de ses employés se forme au-dehors, dans d’autres établissements, dans des cours donnés par de grands chefs, parfois à l’étranger. Le lancement de la machine est long, la tension augmente au fil des jours, les crises éclatent, l’inauguration est un chaos.

The Bear saison 3 : Méli-mélo d’épisodes aux thèmes divers, allant d’un récapitulatif nostalgique porté par une musique envahissante à l’accouchement de Nathalie, alias Sugar, la sœur de Carmy, en passant par un affrontement d’anthologie entre Carmy et Richie. Du restaurant, de la vie quotidienne du restaurant, on ne voit plus que les illustrations.

Sydney (Ayo Edebiri ) et Carmy (Jeremy Allen White)

Cette troisième saison abandonne donc ce qui faisait la force de The Bear et qui était sa capacité à décrire le travail, pour se consacrer aux individus. Pourtant, l’enjeu était méritoire. Quelle autre série s’était-elle risquée à traiter du travail ? Quelle autre en avait-elle véritablement, honnêtement, fait son sujet ? Observer les cuisiniers, les serveurs, le pâtissier, le chef, les plongeurs à toutes les étapes de ce processus qui doit mener à une assiette parfaite sur une table parfaite et pile à l’instant voulu, nous avait envoûté, et notamment parce que le récit s’enracinait dans une structure familiale. La famille comme unité de production, le projet n’était-il pas de taille ? D’autant qu’on nous offrait ce qu’il fallait de sueur, de fatigue nerveuse, de gestes inlassablement répétés, de ratages de sauces, de contrôles de sécurité et de rationalisation des procédures pour en tirer une thèse de sociologie.

Carmen accidentellement enfermé dans la chambre froide le jour de l’ouverture du restaurant.

Car si elle est une illustration évidente de l’American Dream, cette idéologie du succès pour tous, The Bear ne dissimule aucunement ce qu’il en est des rapports sociaux au travail. Bien au contraire et le milieu de la restauration se prête mieux qu’un autre à tel étalage.

Carmy ne parvient à ses fins qu’au prix douloureux de sa vie affective et de l’estime de soi. Le doute le taraude aussi bien que son apprentie, son financier ou son cousin maître d’hôtel. Et non seulement le doute qui, après tout, ne tient qu’à soi, mais l’humiliation, arme absolue de tout système d’exploitation. À son sujet, The Bear ne tranche pas : Faut-il pousser un apprenti à la dépression pour faire émerger son talent ou le même résultat pourrait-il être obtenu sans douleur en usant simplement de pédagogie ? L’exemple d’un grand chef qui prend le temps d’expliquer à Carmy comment ficeler un poulet et qui agrémente son propos de considérations plus profondes semblerait faire pencher la balance en faveur de la seconde solution. Mais rien n’est moins sûr.

Sidney effondrée

Les deux premières saisons ont ancré les personnages dans l’esprit des spectateurs et leur caractérisation, à la limite de la caricature, y a largement contribué. On imagine mal des portraits d’Italiens plus stéréotypés. Les embrassades succèdent aux crises, les rires aux hurlements. L’épisode consacré au repas de famille pour Noël est un parfait chaos, avec la mère de famille en chef d’orchestre névrotique. On en sort épuisé. Ce n’est hélas pas le seul chapitre à nous exténuer en conflits interminables, comme si, après des journées et des semaines de labeur, il restait assez d’énergie pour se bagarrer. Comme une énorme machine à vapeur humaine, de temps à autre The Bear doit évacuer son excès de pression par des explosions de colère.

Donna Berzatto (Jamie Lee Curtis), mère de Carmen, de Nathalie et de feu Michael Berzatto

Et puis, viennent les escapades de la troisième saison. Comme un détachement du récit mené jusqu’alors. On flotte en suspension au gré d’une longue évocation des saisons passées teintée de nostalgie, des errements psychologiques des personnages, d’un service entier porté par une musique de ballet, d’un épisode en flash-back sur le passé de Tina, la cuisinière latino, ou de l’accouchement de Sugar.

L’avant-dernier épisode est introduit par une déclaration de Martin Scorcese illustrée de scènes tirées, entre autres, de Vertigo, du Voyage dans la Lune, de L’Homme à la tête de caoutchouc, d’Un homme de têtes, d’Un Chien andalou, d’extraits d’émissions de télévision ou d‘un documentaire sur un illusionniste. Elle débute par ces mots :

« L’imaginaire, c’est ce que nous faisons maintenant, ici même, dans cette salle, avec ces lumières, ces caméras et ces miroirs. Quelque chose d’autre existe, ici. Je ne sais pas ce que c’est, mais quelque chose est en train d’arriver. Ce n’est pas une partie d’un jour normal, la nature littérale de ce que nous vivons. Nous sommes en train de créer quelque chose de différent. »

Déclaration d’intention des auteurs ? D’accord, mais pourquoi  ? D’autant qu’elle n’est pas la seule référence au cinéma puisque La Nuit du Chasseur est aussi mise à contribution plus tôt avec sa chanson Dream, little one, dream. C’est qu’en réalité, le travail télévisuel n’est pas escamoté du tableau, il fait partie de la fresque. La caméra est dans le champ. De ce fait, il flotte à ce moment un vigoureux parfum des années 1970, lorsqu’il s’agissait de désillusionner le cinéma, à la manière brechtienne, de ne plus dissimuler la part du travail dans l’œuvre. Ces citations, cette déclaration forment bel et bien un manifeste.

L’indestructible Tina (Liza Colón-Zayas)

Des réticences vis à vis de The Bear ? Bien sûr, on peut en avoir, je viens d’en citer, mais elles ne s’éternisent pas, tant l’empathie avec des personnages, interprétés avec sensibilité et une énorme énergie, les dissipe vite. Tina est admirable de courage, la très sage Sydney est touchante, Richie tout autant, avec ses fêlures, et l’on comprend Carmy, aussi obsessionnel et tyrannique soit-il. Tous expriment intensément leur part d’humanité.

Richie (Ebon Moss-Bachrach)

À ce sujet, un seul exemple, inattendu dans une telle histoire :

Cela faisait très longtemps, si longtemps que je ne me souvenais plus d’avoir entendu une conversation amoureuse à la télévision, une vraie conversation amoureuse, pudique, sans calcul, sans recherche et qui soit d’une telle justesse de sentiments qu’elle empoigne le cœur. Peut-être même n’y en avait-il jamais existé une seule. Cette scène a eu lieu dans le deuxième épisode de la deuxième saison de The Bear à 27 minutes 36 secondes. Elle ne vaut probablement que pour moi, mais, avec cette simple séquence, The Bear gagne mon respect.

Claire (Molly Gordon) et Carmen

The Bear est un feuilleton américain en trois saisons (bientôt 4) de 8, 10 et 10 épisodes conçu par Christopher Storer et diffusé sur FX/Hulu depuis 2022. Il est interprété notamment par : Jeremy Allen White, Ebon Moss-Bachrach, Ayo Edebiri, Lionel Boyce, Liza Colón-Zayas, Abby Elliott, Matthew James Matheson,…

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