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Récompensée en 2019 d’un Bafta Award (1) en tant que meilleure mini-série et d’un autre pour la performance de son acteur principal, Benedict Cumberbatch, la micro-série Patrick Malrose est actuellement rediffusée par ARTE en version française. L’ayant découverte, une amie m’a demandé de lui dire ce que j’en pensais. Voici la réponse que je lui ai faite, après avoir vu les cinq épisodes de la série :

 » Très chère M*,

Pourquoi ai-je immédiatement pensé à Brett Easton Ellis en regardant le premier épisode de Patrick Melrose ? Faut-il que cette série ait été à ce point fausse, artificielle et surjouée pour évoquer la coqueluche littéraire des années 1990 ? J’ignore si vous avez lu les romans d’Ellis ; à leur sortie en librairie, vous étiez à peine adolescente. Sachez néanmoins, chère M* que son troisième livre, American Psycho, provoqua à l’époque un joli scandale et, mécaniquement, un engouement pour son auteur, alors qualifié d’écrivain « trash ». Certains, dont je suis, jugèrent que c’était beaucoup d’honneur pour une imitation d’Hubert Selby Jr qui n’avait rien du génie de son modèle. Néanmoins, quand on voit Patrick Melrose, le héros de la série, s’agiter en tous sens, on pense immédiatement au trader cocaïnomane d’American Psycho.

Crise de manque dans un taxi new-yorkais

Le parallèle entre la série adaptée d’un auteur anglais et les romans d’un américain n’est pas inopportun. Le narcissisme des aristocrates anglais fait écho au vide intellectuel des « yuppies » de Wall Street. De chaque côté de l’Atlantique, l’alcool et les drogues font office d’échappatoires à la réalité et de lents poisons pour les suicidaires. Les liasses de billets gomment pareillement les difficultés, que l’on soit à Londres ou à Los Angeles. Quant au jeu de Benedict Cumberbatch, que l’on a connu plus retenu dans Sherlock, son exubérance serait plus attendue d’un américain que d’un britannique.

La mère alcoolique (Jennifer Jason Leigh)

Il est vrai que Patrick Melrose a les circonstances atténuantes d’une enfance dévastée par les abus sexuels de son père et l’incapacité de sa mère alcoolique de le protéger. Ses crises de manque succèdent aux périodes d’euphorie, tout cela sans trop froisser ses costumes toujours impeccables, noblesse oblige. La prise continue de cocaïne, d’héroïne et d’alcool n’endommage pas véritablement son aspect physique. Son bras porte bien quelques curieuses traces de piqûres mais ses traits ne sont pas aussi tirés, son regard n’est pas aussi vide ni sa posture aussi voûtée que celle d’un toxicomane. Ses yeux ne sont ni rouges ni cernés comme ceux d’un alcoolique. Sans conteste, le yuppie tueur en série d’Ellis restait tout aussi chic dans ses costumes de grandes marques.

Le plan des traces de piqûres (?)

Ce qui est montré de la toxicomanie, est peut-être inspiré de la réalité vécue par l’auteur, mais ne correspond pas à ce dont nous avons l’expérience ou, du moins, une relative connaissance. Ce décalage entre ce à quoi on assiste et ce que l’on en sait parsème sur l’ensemble du récit une sensible impression d’artifice. On ne peut y croire tout à fait tant l’image du toxicomane Patrick Melrose s’éloigne de celle que nous connaissons, en dépit de la performance de Benedict Cumberbatch lors des crises de manque. Ce n’est pas d’un numéro d’acteur dont nous avons besoin, ni de photos de mode, mais d’un lien avec notre propre réalité.

Pour parler plus simplement, nous savons tous reconnaître un alcoolique ou un junkie, ça se voit à sa tête, aux dents qui lui manquent, à sa tenue, à sa démarche, à l’argent dont il a besoin, au gourbi où il loge. Il existe même une référence cinématographique en ce domaine : Requiem for a Dream, adapté de Selby par Aronofsky, qui réussissait à nous empoigner durant 101 minutes avant de nous relâcher proprement lessivés. Patrick Melrose est aux antipodes. Le spectateur reste à distance, un brin méfiant.

Patrick Melrose (à droite) et son ami californien (Prasanna Puwanarajah), lors d’une soirée

La critique insiste sur le fait que Patrick Melrose est adapté d’un ensemble de romans « semi-autobiographiques » d’Edward St-Aubyn. Je ne jugerai ni de la qualité des romans ni de la plus-value attribuée à l’expérience vécue. Cependant, on peut sérieusement douter que la plongée « au cœur de l’aristocratie britannique » comme l’écrit Elle, soit autre chose qu’une satire acide de cette caste sociale. Certes, les principes éducatifs en vigueur dans ce milieu sont nettement ciblés, la discipline appliquée à des enfants qu’il s’agit d’endurcir et leur mise à l’écart de la vie sociale des adultes, tout comme le déficit d’affection qui en résulte, sont à juste titre dénoncés. Mais l’alcoolisme dont Patrick Malrose hérite et la perversion sexuelle de son père ne sont pas des privilèges de classe.

David Melrose, père de Patrick (Hugo Weaving)

Ce que l’on comprend mal, en revanche, est que le héros parvienne à survive au sein d’un milieu où l’apparence fait loi, en dépit de son comportement et de ses propos extravagants. On admet tout aussi difficilement qu’il jouisse d’amitiés ou de liaisons en ne se préoccupant que de sa propre personne, muré dans son narcissisme comme dans une cage dont il n’échappera qu’aux dernières secondes de la série. Et encore n’est-ce que la porte de sortie qui lui est offerte, le personnage étant trop volatil pour s’offrir un avenir stable.

Au fond, ce qui fait défaut à Patrick Melrose est inhérent à son projet. C’est l’absence de ce qui guette tout toxicomane : sa marginalisation sociale. La série, rappelons-le, n’est pas un reportage sur les bas-fonds londoniens. Patrick ne manque jamais d’argent ni de chemises repassées, il ne doit ni voler ni se prostituer ou prostituer sa petite amie pour se payer sa drogue, il dîne et trinque toujours dans les palaces dont le personnel lui passe ses incartades. Il perd certes la belle propriété provençale que sa mère lègue à un gourou (2), mais il conserve son appartement et quand sa femme et ses enfants le quittent, il en déniche un autre. Bref, il ne se retrouve et ne se retrouvera jamais à la rue sans un sou, à la merci du premier prédateur venu. La déchéance physique et sociale lui est miraculeusement épargnée. Mais pas le doute au spectateur.

Julia, l’amie et mauvais ange (Jessica Raine)

Je n’insinue pas que cette histoire brode exagérément au-delà de ce que vécut Edward St Aubyn. Les abus sexuels incestueux sont répandus du haut en bas de l’échelle sociale. On s’en aperçoit au fur et à mesure que les victimes dénoncent leurs agresseurs, et elles sont affreusement nombreuses. La société d’aujourd’hui ne fait plus la sourde oreille, leurs plaintes sont entendues, qu’elles soient exprimées sur le champ ou des décennies plus tard. Sans doute est-ce la signification de la séquence où Patrick, enfant, refuse de venir s’asseoir sur le lit de son père et lui lance que personne n’a le droit d’infliger à un autre ce que son père lui fait subir. Ce « non » décisif au nom de la loi morale met un terme au projet de viol, aussi peu crédible paraisse-t-il. Comment pourrait-il suffire à immobiliser net l’aggresseur ? C’est un vœu plutôt qu’une affirmation, l’expression de la prééminence qui devrait être accordée au consentement des victimes (3).

La détresse de Patrick, enfant

Le rapport entre la souffrance née de ses traumatismes d’enfance et la maîtrise dont Patrick doit faire preuve dans son décor social créent les conditions du récit. La cohabitation est heurtée, faite de dérobades et d’affrontements, et les accès de violence verbale alternent avec les verres d’alcool. On assiste à un enchaînement d’esquives qui maintiennent le héros la tête tout juste hors de l’eau, jusqu’à la crise de délirium finale. A-t-on pitié de ce riche aristocrate qui s’agite désespérément et dépense des fortunes pour son étouffer mal-être ? Pas vraiment. On s’identifie rarement aux privilégiés.

Qu’apprend-on d’ailleurs sur ces privilégiés ? Rien de particulier, Downtown Abbey ou The Crown étaient bien plus pertinents. Je préfère même de beaucoup le portrait de la princesse Margaret dans The Crown.

La princesse Margaret invitée à un banquet d’anniversaire

Que nous dit cette série de la déchéance physique et psychologique qu’engendre la toxicomanie ? Rien, strictement. Quelle approche nous donne-t-elle des abus sexuels commis sur des enfants ? On ne sait plus. Le père, le coupable, décède dès le début, la mère trop lâche sombre dans la sénilité, aucun jugement n’intervient, la victime elle-même hésite à condamner ses géniteurs, notamment sa mère qui le déshérite. Il se surprend même à ressembler à son bourreau, du moins dans ses habitudes les plus inoffensives.

Une scène court-circuite le récit quelques temps avant sa fin, elle se déroule en Provence. Patrick et sa mère sont assis tous les deux sur la terrasse de la maison. Rassemblant ses forces, Patrick réussit à expliquer enfin à sa mère l’habitude que son père avait de le violer quand il était enfant, durant les vacances. Sa mère se contente de lui répondre : « Moi aussi, moi aussi ». Fin de la scène. La suite importe peu. L’histoire s’achève en impasse. À chacun sa croix. Et au spectateur l’incrédulité de Thomas.

Voici donc, chère M* ce que j’ai pensé de cette série que vous m’aviez conseillée. J’espère que ces lignes vous satisferont et que vous me donnerez bientôt de vos nouvelles.

Mes amitiés, à vous et à Bob »

Notes : 1 – Prix accordés par la British Academy of Film and Television Arts chaque année. 2 – Si déshériter un enfant est possible selon les lois anglaises, le notaire français qui officie dans cette histoire ne semble guère se soucier de l’état psychologique dégradé de sa cliente. 3 – La loi visant à intégrer explicitement la notion de consentement dans les définitions d’agression sexuelle et de viol a été votée tout récemment à l’Assemblée nationale, les 31 votes contre sont venus du Rassemblement National et de son annexe l’UDR. Il s’agissait des députés Maxime Amblard, Théo Bernhardt, Sophie Blanc, Frédéric Boccaletti, Sébastien Chenu, Roger Chudeau, Nathalie Da Conceicao Carvalho, Sandrine Dogor-Such, Alexandre Dufosset, Aurélien Dutremble, Guillaume Florquin, Jonathan Gery, Yoann Gillet, Christian Girard, Marine Hamelet, Sébastien Humbert, Tiffany Joncour, Hélène Laporte, Gisèle Lelouis, Julien Limongi, Claire Marais-Beuil, Pascal Markowsky, Lisette Pollet, Émeric Salmon, Philippe Schreck, Michaël Taverne, Lionel Tivoli pour le RN, Alexandre Allegret-Pilot, Olivier Fayssat, Bartolomé Lenoir, Sophie Ricourt Vaginay pour l’UDR. Leurs noms méritent d’être retenus.

Patrick Melrose est une micro-série britannique diffusée en 2018 sur Showtime aux États-Unis, sur Sky Atlantic au Royaume-Uni et The Movie Network au Canada, puis en 2019 sur Canal+ et en 2025 sur la plateforme Arte.tv. Adaptée des romans d’Edward St-Aubyn par David Nicholls, réalisée par Edward Berger, elle est interprétée notamment par : Benedict Cumberbatch, Hugo Weaving, Jennifer Jason Leigh , Jessica Raine, Holliday Grainger,…

4 réflexions sur “Patrick Melrose

  1. Je n’ai pas accroché, trop artificiel, selon moi, au passage, Alain, un signe amical à toi et aux tiens. Daniel Arnaison

  2. Euh! …..je suis ok sur ta critique en plus tu es agréable à lire, par contre j’ai vécu cette série complètement autrement qu’avec ta vision.

    Nous n’avons pas les mêmes références sur ce sujet.

    J’ai en fait, eu encore récemment 3 témoignages de grands adultes qui ont vécu le grand soulagement et pas versé une larme à la mort de leurs « chairs pères . C’était la libération, mais la mère hypocrite a toujours gardé la tête dans le sac, car la réputation de salon , la religion et le standing ,étaient plus importants que la souffrance de leurs enfants….

    Même à leurs ages avancés ils en souffrent toujours et pourtant ils n’ont jamais manqués de rien au niveau matériel, ils sont de la haute comme on dit avec 3 pères gradés (comme par hasard) dans la marine et tous les 3 en rentrant au port visitaient les enfants avant de voir leurs femmes!!!!!

    J’espère que le père ne sera plus le roi!

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