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En intitulant leur série Pandore, les auteures en énoncent clairement le programme : raconter les effets de l’ouverture de la jarre des malédictions (1) sur une société humaine. Et ce faisant, elles tracent un portrait sévère de l’aimable Belgique.

La juge Claire Delval (Anne Coesens)

En pleine campagne électorale, voici donc une histoire policière dont nous connaissons d’emblée tous les suspects puisque nous assistons au crime, un viol collectif. La juge qui dirige l’enquête ne mettra d’ailleurs pas longtemps à les faire interpeller par la police grâce à une vidéo de l’agression diffusée sur internet. Ce qui l’intéresse aussi et qu’elle s’obstine à rechercher malgré les remontrances de sa hiérarchie qui passerait bien à autre chose, c’est l’auteur de la vidéo, donc le mystérieux témoin qui l’a enregistrée.

La juge Claire Delval et le commissaire Van Bocksel (Nourredine Farihi (3))

À partir de ce moment la série devient une série politique, puisque le mystérieux témoin est un député en pleine compétition électorale et la victime, une des Femen qui viennent de manifester dans les locaux de son parti pour exiger la libération d’une camarade. Ce député, assez lâche pour ne s’être pas porté au secours de la jeune femme, retrouve tout son courage une fois les agresseurs envolés et, n’écoutant que son intuition politique, enfile son costume de sauveur pour conduire la victime à l’hôpital.

Ludivine (Salomé Richard) abusée et Mark Dyck (Yoann Blanc), témoin du viol

La motivation de son double geste – enregistrer puis diffuser la vidéo du viol – reste opaque, on ne comprend pas l’intérêt qu’il aurait eu à le faire. Il a obtenu ce qu’il voulait, une image de sauveur, pourquoi prendre aussitôt le risque de la détruire avec une accusation de non-assistance ? Il est vrai que le personnage est ambigu au-delà du possible, aussi ambitieux que lâche, mené par les femmes qui l’entourent, mais agressif envers ses collègues du parti. La politique d’extrême-droite qu’il promeut depuis sa nouvelle notoriété relève du pur opportunisme, ce qui ne le distingue pas vraiment de ses collègues mais atteste de la volatilité de ses convictions. À sa décharge, il s’avère être un père aimant, ce qui, au sein d’un portrait aussi négatif, laisserait croire à un remords des scénaristes. Que le salaud de l’histoire soit un être retors face à une juge d’une intégrité d’airain n’est pas une nouveauté scénaristique, un tel personnage y gagne toujours en crédibilité puisque, comme le professait Hitchcock, « plus réussi est le méchant, plus réussi est le film ».

Le député Mark van Dyck et son assistante Krystel Horrens (Myriem Akheddiou)

Comme un vent mauvais qui soulèverait les voiles des apparences, le viol révèle les dessous des divers personnages, pas seulement ceux du filmeur indélicat. C’est en cela que les faits divers contribuent à l’édification des masses. Comment ne pas se souvenir de l’affaire Grégory ou de celle d’Outreau ? Outre le député à la morale douteuse et un chef de parti corrompu, on a droit à un patron de média harceleur sexuel, à une juge qui trompe son mari avec un témoin et même à une victime certes courageuse, mais aux manoeuvres indéfendables.

Est-ce l’obstination de la juge à débusquer le mal ou l’immoralité des autres personnages qui libère les maux de la jarre de Pandore ? Quels que soient ces maux, appétit de pouvoir, soif immodérée d’affection, jalousie, machiavélisme ou acharnement, chacun d’entre eux contribue à noircir le tableau. Leurs conséquences, manipulations, harcèlement et violences sexuelles, chantage, mensonges, corruption, meurtre, se succèdent avec bonheur – si j’ose dire – tant le récit sait les tisser, les enchaîner, les faire découler l’un de l’autre. C’est là d’ailleurs sa grande qualité : lier ses personnages de telle façon qu’ils ne puissent échapper les uns aux autres.

Ludivine, exténuée

Cependant, à se montrer si découragées par l’espèce humaine, à ne pas donner à chaque personnage sa part d’innocence, même au plus coupable, les auteures prennent le risque de nous éloigner d’eux. Dans Pandore, il faut mobiliser sa conviction pour rester fidèle ne serait-ce qu’à l’héroïne.

Finalement, les scénaristes achèvent leur démonstration avec une grande habileté. Il faut leur être reconnaissant de ne pas avoir cherché à satisfaire nos attentes ni à les décourager. Elles nous ont offert bien mieux que cela en nous abandonnant à la désillusion d’une fin sans fin, sans résolution, d’une fin comme dans la vie plutôt que comme dans une fiction. L’effet est remarquable : on éprouve pendant quelques minutes un étrange dégrisement de la fiction alors que l’histoire n’est pas encore achevée.

Il n’y aura, en effet, pas de justice, pas de victoire, ni pour les uns ni pour les autres, et ceux qui se contentent du mirage du succès, doivent se douter que le sol finira par se dérober sous leurs pieds. Du moins au point où les laisse Pandore et l’on peut avoir envie que les choses en restent là (5).

Mark Van Dyck

Même si une femme d’âge mûr tient un des premiers rôles, même si tout commence par un viol collectif, même si une jeune journaliste doit endurer les avances grossières du patron qui l’a embauchée (ce qui n’étonne en rien, mais aurait pu être traité plus finement), il me semble vain de recourir au prisme du féminisme pour définir Pandore. Tout comme celui de la politique, tout compte fait, me parait insuffisant. On est loin de Baron noir, par exemple, une série qui, elle, pensait politique, rêvait politique, se nourrissait et s’abreuvait de politique. Le propos de Pandore est plus large et plus philosophique. L’histoire de la Pandore originelle – faut-il le préciser ? – n’est ni féministe, ni politique, mais morale.

Pour preuve, je prendrais cette belle phrase de Camus que l’actrice et co-scénariste Anne Coesens cite au cours d’une interview : « Dans la boîte de Pandore où sont enfermés tous les maux de l’humanité, les Grecs firent sortir l’espoir après tous les autres comme le plus terrible de tous ». Ainsi va-t-il nous falloir, à la juge Claire Delval et à nous-mêmes qui partageons ses états d’âme, accepter de vivre dans l’imperfection plutôt qu’attendre en vain un monde juste. Le pardon du mari de Claire à sa femme adultère ouvre la voie.

Claire Delval et son mari Peter (Peter Van Den Begin)

Notes : 1 – La boîte de Pandore était en réalité une jarre. 2 – J’apprends qu’il est plus vaste que la Basilique Saint-Pierre de Rome ! 3 – Noureddine Farihi est hélas décédé en novembre 2022, de même que Johan Leysen, qui interprète le père de Claire Delval, en mars 2023. 4 – Ce qui n’étonne en rien au vu des multiples affaires apparues ces dernières années dans le monde des médias mais qui aurait pu être traité plus finement. 5- Je prends le risque d’une seconde saison (déjà prévue) qui ne soit pas la stricte continuité de la première, mais qui, par exemple, suive Claire Delval dans un autre poste, puisqu’elle a été mutée.

Pandore est une série belge écrite et réalisée par Vania Leturcq, Savina Dellicour, avec pour co-scénariste Anne Coesens. Diffusée sur RTBF 1 et Auvio en 2022, elle est interprétée notamment par : Anne Coesens, Yoann Blanc, Myriem Akheddiou, Salomé Richard, Vincent Lécuyer, Mélissa Diarra,…

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