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The Boys est une série parodique et politique qui se laisse regarder une, voire deux saisons, guère plus. Parodique, elle l’est, puisqu’elle nous introduit dans un monde dans lequel les super-héros, appelés simplement Supes, sont gérés par une société de divertissement, Vaught American. On le savait, encore fallait-il le représenter. Politique parce que Vaught s’occupe également de tous les aspects de nos vies, de la politique à la sécurité en passant pas l’alimentation et le divertissement. Le monde parallèle où se développe The Boys est donc fort semblable à la société du spectacle théorisée par Guy Debord, où la réalité est digérée par le spectacle que l’on en tire. Autrement dit, The Boys est une série debordienne, à condition d’être prise au second degré, comme elle l’incite fortement à la faire. Les situationnistes, grands détourneurs de Comic Books, auraient-ils apprécié cette appropriation ? Qui sait ?

Des scénaristes orientent la vie et les représentations des super-héros selon les circonstances.

Le groupe de super-héros dont nous suivons les aventures s’appelle les Sept (Seven), il est composé de Homelander (le Protecteur), la caricature de Superman, Black Noir, celle de Batman, Reine Maeve, celle de Wonder Woman, The Deep (l’homme poisson) celle d’Aquaman, A-Train celle de Flash et enfin Starlight, la seule super-héroïne honnête et désintéressée, pastiche de Stargirl. Certains de ces super-héros sont parfois exclus pour des raisons diverses et remplacés par des nouveaux, comme, par exemple, Translucent, le super-héros transparent, capturé et tué par un des Boys, est remplacé Stormfront, qui s’avèrera être une authentique survivante nazie.

Maeve (Dominique McElligott) et Homelander (Antony Starr)

En dépit de leurs dons, ces superhéros n’ont plus réellement d’exploits à accomplir hors caméra. S’ils en réalisent, c’est pour leur propre compte plutôt que pour celui de l’humanité et dans des buts le plus souvent répréhensibles. Dépourvus de tout sens moral parce qu’intouchables du fait de leurs pouvoirs destructeurs, ils ne surveillent que leur cote de popularité, donc leur valeur marchande au box-office.

Homelander et Stormfront en plein ébats sexuels après avoir écrasé un homme contre un mur

Pour se faire une idée du degré de satire, on peut s’arrêter sur l’exemple de Homelander, l’invincible et incontesté chef des Seven. Constamment vêtu d’une cape aux couleurs du drapeau américain sur sa combinaison bleue, Homelander est un psychopathe qui carbonise de son regard-laser ceux qui s’opposent à lui ou simplement lui déplaisent. En dépit de tous les crimes et lâchetés à son actif, le plus malsain du personnage s’ancre dans ses relations incestueuses avec Madelyn Stillwell, la cadre de Vought qui supervise le groupe de super-héros.

Homelander et Madelyn Stillwell (Elisabeth Shue)

Pour être exact, Madelyn n’est pas réellement sa mère, mais tous les deux se comportent comme si elle l’était. Ce besoin constant d’être reconnu, aimé et même sexuellement satisfait par une mère même de substitution, renvoit à un Trump souvent caricaturé en gros bébé colérique.

Homelander

L’emphase narcissique du personnage est, elle-aussi, typiquement trumpienne. Dans un discours au début de la 3e saison, il coupe la parole à Stella qui tente de lui sauver la mise :

– Stella vient de vous mentir à l’instant. Je ne commets pas d’erreurs. Je ne suis pas « comme vous tous ». Je suis le plus fort, le plus intelligent, je suis le meilleur ! Je suis le meilleur ! Je ne suis pas un putain de geignard doublé d’un lâche qui s’excuse toute la journée ! Pourquoi le voudriez-vous ?

On croirait entendre Trump ! Il balance de la même façon entre auto-glorification et le mépris envers les « losers » et les « suckers » (1) !

– S’ils peuvent me contrôler, soyez sûrs qu’ils peuvent vous contrôler. C’est déjà le cas, à votre insu. J’arrête. J’arrête de m’excuser, d’être persécuté pour ma force.

Et les résultats des sondages sont au rendez-vous pour Homelander, plébiscité par 44 % des hommes blancs de la Rust Belt (2) qui apprécient « qu’il n’ait pas peur d’être lui-même », c’est-à-dire brutal, autoritaire, méprisant, etc… En revanche les jeunes adultes urbains décrochent, avoue la chargée de communication. Les supporters de Homelander sont donc bien les électeurs de Trump, il n’y a aucun doute à ce sujet.

Le show-meeting de Homelander

Les autres super-héros sont aussi peu reluisants à l’exception de la dernière arrivée, Starlight, parfait exemple de la jeune fille de la classe moyenne de province, honnête, croyante et naïve. Le cinéma et la télévision nous ont présenté, par le passé, des centaines de ces belles-filles idéales. C’est tout de même elle qui trahit les Seven en aidant les Boys auquel appartient son petit-ami et surtout en révélant le secret des Supes : ils n’ont pas de dons de naissance mais des capacités supernaturelles provoquées par le compound V, une substance fabriquée par Vaught. Car, avant de se reconvertir dans l’industrie du spectacle, est-il rappelé, Vaught fut d’abord une société pharmaceutique fondée par un nazi. Bien évidemment.

Butcher (Karl Urban) le leader des Boys, Hughie (Jack Quaid) et Starlight en civil (Erin Moriarty)

Les super-héros assurent l’ordre en attendant de se substituer à l’armée puisque tel est l’objectif de Vaught. Homelander diffuse même le Compound V auprès de réseaux terroristes afin de créer des super-méchants et rendre inéluctable le transfert de la défense nationale aux mains des super-héros. La nazie Stormfront exprime on ne peut plus plus clairement le projet en évoquant des armées de millions de super-héros qui écraseront les « envahisseurs » et autres « terroristes », issus, cela va sans dire, des pays musulmans.

L’ultra rapide A-train (Jessie Usher) est devenu cardiaque à force de consommer du compound V

Le récit est inscrit dans l’actualité, mais aussi dans l’histoire des USA puisque les auteurs le font remonter à Reagan, à la guerre civile au Nicaragua et à l’Irangate. À cette époque Vaught déjà aurait proposé ses services à la CIA qui gérait alors un camp de Contras dans le jungle, la CIA aurait refusé (3). C’est une manière d’enraciner la vie politique états-unienne dans cette période de la Guerre Froide où la coupure du monde en deux blocs passait par l’Amérique Latine, mais surtout où l’utopie des années 1960-70 était à jamais balayée par « révolution conservatrice » de Thatcher et Reagan. Les super-héros sont l’antithèse, patriote et conservatrice, du Flower power. D’où, probablement, leur retour actuel en-tête du box-office.

La bande des Boys au complet (faire défiler)

Face aux Super-Héros, la CIA a créé un groupe baptisé The Boys chargé de contrer ces menaces envers le pouvoir politique. Sous l’autorité de la colonelle Mallory, on y trouve Billy Butcher, un anglais, mais aussi frenchie, un français comme son nom l’indique, un écossais, Hughie (4) et un afro-américain, La Crème. Bref aucun WASP. Mais aussi courageux que soient les Boys, il est déjà presque trop tard pour défendre la démocratie, comme le démontre une scène d’enquête parlementaire qui s’achève dans un bain de sang.

Les opposants aux super-héros sont impuissants et se font largement manipuler.

La faiblesse des Boys tient aussi à leurs motivations. Butcher se bat parce que Homelander a violé et enlevé sa femme, Hughie parce que A-Train a accidentellement tué sa fiancée, Kimiko parce qu’un groupe terroriste lui a injecté du Compound V, La Crème a perdu sa famille à cause d’un superhéros de la génération précédente. Les petits-enfants de Mallory ont été tués par une Super du fait d’une faute commise par Français, lequel cherche à se racheter. Bref aucun de ces personnages ne se bat pour des raisons idéologiques, mais parce qu’il a subi un préjudice et qu’il doit se venger.

Rien n’a changé. Les vieux films de propagande étaient écrits de cette façon. Un personnage scandaleusement indifférent à une situation sociale ou politique, ne se mobilisait qu’à partir du moment où il était atteint dans ses propres intérêts ou blessé dans ses sentiments personnels. Cette prise de conscience ne procédait pas d’une réflexion mais d’une expérience.

Deep (Chace Crawford) rejoint l’Eglise du Collectif pour se voir réhabiliter après avoir violé Starlight

La collusion des églises avec Vaught complète le tableau idéologique. L’une, dont le pasteur est doté du pouvoir d’étirer ses bras de façon spectaculaire pour devenir une grande croix, professe les « valeurs familiales », anti-LGBT notamment, et baptise par immersion les adultes désireux de « renaître » dans sa pseudo religion, l’autre, l’église du Collectif, sert de sas de réhabilitation spirituelle lorsque, comme Deep, on a violé sa camarade de travail… Après tout, aux USA, les pasteurs sont des hommes d’affaires comme les autres.

Une religion réactionnaire en guise de soupape

À la réserve près mentionnée en PS, la conduite du récit devient rapidement transparente comme dans toutes les histoires de super-héros. L’affrontement entre les Seven et les Boys s’équilibre, les victoires et les défaites alternent et la guerre pourrait s’étendre jusqu’à la nuit des temps sans susciter d’autre intérêt. Cependant, au moment même où elle commence à frôler l’ennui, les auteurs l’assaisonnent des vieux ingrédients miracles : le passé des personnages et les secrets de famille ! Qui est l’enfant de qui ? Et c’est ainsi que l’on découvre qu’Untel est en réalité le fils d’un Super-Héros d’une ancienne génération ou que Tel autre est, en réalité, le père adoptif de l’ennemie la plus acharnée des Supes qui se révèle être une Supe elle-même ! C’est à ce moment que la série perd de son intérêt, le contrat avec le spectateur prend l’eau. Les poupées gigognes lassent plus vite encore que les rebondissements à n’en plus finir.

Une super « ratée » s’échappe de son hôpital psychiatrique

PS : Il est difficile de rendre compte d’une histoire saturée de codes et de références telle que celle-ci et que tous les romans graphiques ou séries développées à partir de l’univers profondément américain des super-héros. Les Famdom est là pour ça et je laisse le lecteur s’y enfoncer, machette au poing. Le Fandom de The Boys est accessible à cette adresse : https://the-boys.fandom.com/wiki/The_Boys_Wiki

Notes : 1 – … comme ces soldats américains morts lors de la Libération et inhumés en France, ainsi que la presse l’a rapporté en 2020. 2- L’appellation « Ceinture de rouille » désigne les États industriels du Nord-Est des USA. 3 – Les « Contras » étaient les opposants aux Sandinistes qui avaient renversé en 1979 la dictature militaire en place. 4- Dans la bande dessinée Hughie est écossais, son origine n’est pas mentionnée dans la série.

The Boys est un feuilleton américain en 4 saisons de 8 épisodes adapté par Eric Kripke de la bande dessinée de Garth Ennis et Darick Robertson. Diffusé à partir de juillet 2019 sur Prine Vidéo, il est interprété notamment par : Chace Crawford, Jessie Usher, Jack Quaid, Erin Moriarty, Elisabeth Shue, Karl Urban, Dominique McElligott, Anthony Starr

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