La télévision norvégienne avait déjà endossé la tunique de Cassandre avec une série qui, s’appuyant sur l’invasion de la Crimée et du Donbass, imaginait une Norvège réduite à un protectorat russe. Cela s’appelait Occupied et avait été accueilli pour le moins fraîchement par l’aigle à deux têtes.
La voici qui récidive en imaginant une nouvelle dystopie où, dans un monde ravagé par les cataclysmes naturels, les guerres et les épidémies, la Norvège se barricade dans ses frontières, riche de son pétrole et de ses saumons. Autosuffisance alimentaire et énergétique, rideau de champs de mines en mer et barrière de béton et d’acier sur terre pour décourager les immigrants, tout est en place pour éviter le désordre, la misère et les maladies que « les autres » pourraient inoculer à la riche société nordique.

Norway first ! comme dirait Trump, Vi setter Norge først! (La Norvège d’abord) comme dit Vår Vei (Notre Voie), le parti au pouvoir. Aucun spectateur européen ne sera très surpris par la transposition fictionnelle des discours xénophobes qui plombent les campagnes électorales en Europe. Les thèmes, la rhétorique, les slogans sont connus. C’est bien là ce que l’on attend d’une dystopie : représenter en chair et en os, si je puis dire, ce qui n’est encore que de l’ordre des intentions ou de l’expérimentation.
Pétrole et saumon, donc, pour faire faire vivre une population de seulement 5,5 millions d’habitants, sur un territoire grand comme la moitié de la France, colonies comprises. Le pétrole permet de se déplacer et de se chauffer, bien entendu, mais aussi de produire sous serres les légumes et fruits autrefois importés. La société autarcique promet à ses citoyens de rester à l’abri des catastrophes qui ruinent le reste du monde. Le cadre est un peu schématique, certes, mais pas plus que celui de la Servante écarlate.

Le titre norvégien, que l’on peut traduire par « La forteresse Norvège » rappelle aux autochtones l’expression utilisée par l’occupant nazi lorsqu’il barricada le pays comme il le fit en France avec le Mur de l’Atlantique. À présent, les barbelés, les murs de béton ou les champs de mines barrent le passage aux immigrés venus de Suède par la terre ou de Grande-Bretagne par la mer. Seuls, quelques travailleurs hyper-qualifiés répondant aux besoins du pays sont admis. Et puis, il y a les rares obstinés qui parviennent à se faufiler, munis de faux papiers et de faux certificats de vaccination. Parmi ceux-ci, un couple d’Anglais avec leur bébé.

Rien n’a été oublié de l’épidémie de Covid ni des migrants encore et toujours abandonnés en Méditerranée. L’une ne va plus sans les autres, ce sont les deux faces de la même menace existentielle. On retrouve là le terreau des fantasmes complotistes, la voie empruntée par The Fortress (Festning Norge) est étroite et risquée.

Voici qu’une épidémie ravage un centre de recherche sur l’élevage de saumons. Du vaccin conçu à la hâte pour sauver les poissons va surgir accidentellement une infection fatale aux êtres humains. Pas n’importe quelle infection, une vieille connaissance dont le souvenir hante notre mémoire collective depuis les plus lointaines générations : la peste. Yersinia pestis, en latin. Tout bébé humain naît avec la hantise de la peste ancrée dans les gènes.
La contamination est immédiate. Bergen est mise en quarantaine, le gouvernement refuse toujours de faire appel aux autorités sanitaires internationales en dépit des morts qui s’accumulent. Les immigrés sont accusés d’avoir importé la maladie. Les services secrets fabriquent des preuves en ce sens pendant que les biologistes agitent leurs éprouvettes et s’esquintent les yeux au-dessus de leurs microscopes. C’est une course de vitesse, comme lors de l’épidémie de Covid, avec, simultanément, la suspicion d’un mensonge couvert par l’État, comme à l’époque. Le cauchemar !

Esther Winter, une biologiste prix Nobel se trouve justement à travailler à Bergen. Elle impose l’abattage des saumons après la découverte de leur maladie. C’est elle qui pilote tout le système de production alimentaire du pays, des saumons aux jusqu’aux salades. Nous allons la suivre dans sa lente découverte des manœuvres d’un pouvoir xénophobe. Parfaite exécutante d’une politique qui devrait la heurter, puisqu’elle est l’épouse d’un migrant, elle met tout d’abord en œuvre l’autarcie programmée par le gouvernement avec professionnalisme. Il lui faudra plusieurs épisodes avant de s’éveiller.
La contamination expliquée aux enfants, du poisson à l’adolescent amoureux en passant par une balle de tennis
En réalité, The Fortress suit la pente du complotisme pour mieux l’étrangler et pulvériser les aspirations isolationnistes avec, pour conclure, une belle démonstration d’humour. Tout comme Occupied, elle ne cache pas les ambiguïtés que provoque une situation de crise. Les responsables politiques balancent sans cesse entre leurs choix idéologiques, la pression de la réalité et leurs intérêts personnels. Fatalement, une lutte pour le pouvoir se dessine. Mais en se gardant de la psychologie et en ne considérant ses personnages que du point de vue de leur fonction sociale, The Fortress se limite à délivrer un discours plutôt que de raconter une histoire.
Le premier ministre Grieg Amund Heyerdahl (Tobias Santelmann) et la vice-première ministre Ingvild Kamfjord (Rebekka Nystabakk)
Dans ces conditions, il est curieux que cette série ait obtenu le prix du scénario au festival Serie Mania de Lille en 2023, d’autant qu’elle pèche justement par ses faiblesses scénaristiques. Outre ce que j’ai signalé plus haut au sujet des improbables contradictions d’Esther Winter, on peut s’interroger sur la présence du bébé du couple ‘anglais dont la série ne sait visiblement que faire et qu’elle escamote pendant presque toute la saison pour le faire réapparaître à la fin. À ceci s’ajoute tout d’abord la mort violente de sa mère dont on ne sait à peu près rien puis, vers la fin, le miracle de la résistance naturelle de son père à la peste, prodige qui ouvre la voie à la création d’un vaccin. Sans nul doute, à Lille, le discours politique en faveur des réfugiés et de la coopération internationale l’a emporté sur les qualités attendues d’un scénario. Hélas pour The Fortress, les bonnes intentions ne suffisent jamais à convaincre.
Festning Norge (The Fortress) est un mini-feuilleton norvégien écrit par Linn-Jeanethe Kyed et John Kåre Råke, réalisé par Cecilie Mosli et Mikkel Brænne Sandemose et diffusé sur la plateforme Viaplay en 2023 puis, en France, sur Canal +. Il est interprété notamment par Selome Emnetu, Tobias Santelmann, Rebekka Nystabakk, Russell Tovey, Eili Harboe,…








