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Los Angeles, la nuit

Adapté des romans de Michael Connelly, Bosch racontait les aventures d’Harry Bosch, inspecteur de police de Los Angeles, cabochard à souhait, comme il faut pour le genre « hard boiled ». Un classique contemporain. J’ai longtemps soutenu son adaptation à la télévision parce que ses toutes premières saisons retrouvaient la densité de films noirs d’autrefois. Esthétique urbaine nocturne, personnages ambigus ou désabusés, Bosch racontait Los Angeles avec une mélancolie passée de mode. Avec le temps, Bosch s’est affadi. On l’a remplacé par Bosch:Legacy, une série beaucoup moins convaincante où Bosch devenait détective privé et où sa fille Maddie, policière débutante, tentait sans succès de prendre une plus grande place. Voici à présent Ballard, dont l’héroïne est une ancienne collègue de Bosch, aperçue dans Bosch:Legacy.

Le cadre est donc identique à la différence près qu’au lieu d’une villa moderne sur les hauteurs de la mégalopole, l’héroïne, Renée Ballard, vit avec Tutu, sa grand-mère, dans une maison de bois sur les rives du Pacifique où elle pratique le surf dès que l’occasion s’en présente. Toutes les deux semble d’origine hawaïenne. Maggie Q, qui interprète Ballard l’est tout à fait.

Ballard dans un moment de liberté

La réception critique de la série aux USA a été unanimement louangeuse et il y a de quoi s’en étonner tant Ballard se décalque sur les deux séries précédentes. Bosch puisait dans les clichés du roman noir : le traumatisme fondateur du héros (l’assassinat de la mère de Bosch, une prostituée, suivi d’une jeunesse de familles d’accueil en foyers), le passage dans l’armée, gage de solidité morale et physique, une attirance pour les femmes vénéneuses, une réputation de forte tête incapable de se plier à la hiérarchie ni à la procédure, un sens moral où la loyauté l’emporte sur le reste, enfin un chien, son plus fidèle ami. Quant au récit lui-même, il était construit sur un schéma inamovible : le héros suivait deux enquêtes à la fois, légèrement décalées de façon à ce qu’une nouvelle prenne le relais dès que l’une s’achevait sans qu’il y ait de rupture, le tout en esquivant les soucis constant avec sa hiérarchie (troisième ligne narrative).

Renée Ballard (Maggie Q)

Ballard, elle, ne s’est pas remise de la noyade de son père, elle a été mutée au service nouvellement créé des « affaires non résolues » (Cold Cases) pour s’être fait trop d’ennemis parmi ses collègues, elle ne respecte pas les consignes hiérarchiques ni tout à fait la procédure, elle est incapable de s’attacher entièrement à un homme, son plus fidèle ami est son chien. Le récit suit la même organisation de deux enquêtes en parallèle, légèrement décalées et d’une ligne narrative tertiaire concernant les rapports de Ballard avec ses chefs. En un mot, Ballard est Bosch au féminin, le personnage comme la série.

Samira Parker (Courtney Taylor)

C’est vraisemblablement ce « féminin » qui lui vaut les soutiens de la critique états-unienne. Le premier des ennemis de Ballard au sein de l’institution policière est un officier aussi populaire que corrompu du nom de Robert Olivas, c’est aussi un agresseur sexuel. Il l’a violée mais s’en est tiré sans condamnation. Plus tard, il a violé une autre policière, Samira Parker, qui a démissionné faute d’avoir pu le faire condamner, elle non plus. Samira reprend du service à la demande de Ballard mais en passant par crise de nerfs qui est l’élément émotionnel le plus fort de la saison, celui qui nous fait (enfin) adhérer à la fiction. Cette scène de pleurs et de rage, au 5e épisode, constitue la véritable amorce du récit jusqu’alors corseté dans l’imitation de Bosch.

De haut en bas et de droite à gauche : Thomas Laffont (John Carroll Lynch ), Samira Parker, Ballard puis, en dessous, Colleen Hatteras (Rebecca Field), Martina Castro ( Victoria Moroles), Ballard et Ted Rawls (Michael Mosley)

L’équipe que Renée Ballard réunit pour constituer l’unité des « affaires non-résolues », est composée de réservistes et de bénévoles, ce qui semble possible en Californie. Il n’y a pas de budget pour faire autrement. Par chance, elle peut rassembler une latino, une afro-américaine, un homosexuel, une femme en surpoids et un homme hétérosexuel blanc dans le rôle du gentil nigaud. C’est une différence avec le très solitaire Bosch.

En dépit de cette distribution généreuse, la nécessité d’étayer le récit a dû se faire sentir à un moment puisque des personnages des deux séries précédentes, Bosh et Bosch : Legacy, interviennent, à commencer par Bosch lui-même et son technicien touche à tout « Mo » Bassi, bientôt suivi de son ex-coéquipier Jerry Edgar et enfin de son avocate ennemie devenue procureur amie, Honey Chandler. Ces personnages auraient joué un véritable rôle et auraient été introduits très tôt, Bosch faisait le choix d’un « univers » fictionnel cohérent. Plutôt que de béquilles, ils auraient servi de repère et auraient assuré à la fois la continuité de la fiction (dans le temps) et l’élargissement du point de vue (dans l’espace). Cela n’a pas été le cas.

Samira Parker face à son violeur, Robert Olivas (Ricardo Chavira)

Après une affaire au sein d’une « fraternité » universitaire relevant de ce que l’on appelle aujourd’hui la « masculinité toxique », les deux grands criminels que l’unité de Ballard se trouve à affronter sont donc Olivas, le policier intouchable, corrompu et violeur en série, et simultanément, un tueur en série camouflé en notable respectable. De ce dernier, Renée découvrira qu’il tue uniquement des femmes qui progressent dans leurs ambitions professionnelles et sociales, bref, des femmes qui « réussissent » comme on dit, des « prétentieuses », comme lui l’affirme. On a donc affaire à un criminel imbu de sa puissance d’un côté et à un tueur en série politiquement incorrect de l’autre. Nous sommes loin de ces psychopathes dont les portraits ont fleuri il y a quelques années sur les petits écrans. On avait encore à l’époque une fascination pour la perversion, pour les Charles Manson, Edmund Kemper et autres, bien plus stimulante que le maigre intérêt provoqué par des méchants aussi médiocres.

La victime d’une « fraternité » universitaire masculine

Il y a peut-être une autre façon de considérer Ballard, qui consiste à s’interroger sur son rapport à la situation actuelle aux USA. Est-il important en 2025, c’est-à-dire sous la présidence d’un personnage tel que Trump, dans un pays qui compte 25% d’adeptes d’une secte ultra-réactionnaire, où les droits des femmes, des immigrés, des homosexuels, des transsexuels connaissent une brutale régression, d’avoir pour héros une hawaïenne, une latino, une afro-américaine, un homosexuel ? Oui, très certainement. Est-il urgent de dénoncer les féminicides et les viols ? C’est l’évidence ! Et la corruption de la police ? Bien entendu !

Ballard au bureau

Ballard arriverait donc au bon moment. Est-ce suffisant ? Il est probable que les Texans jugeront que ce sont là des histoires de « libéraux wokistes » aux antipodes des vrais défis de la société américaine. Qu’importe ! La déception produite par Bosch : Legacy et Ballard ne tient pas à cela, ce n’est pas une question politique ni même d’interaction entre la fiction télévisée et la société. Elle est simplement due à l’usure d’une forme narrative que les auteurs ont eu tort de ne pas faire évoluer. On peut comprendre qu’il leur est plus difficile d’abandonner une forme qui leur a apporté le succès que de prendre des positions dans le débat social, mais le risque de s’auto-plagier s’aggrave à chaque épisode produit.

Deux ou trois saisons de Bosch avaient suffi pour l’ancrer dans l’histoire des séries télévisées comme une production honnête, digne d’être regardée parce qu’elle entretenait la légende du roman noir à une époque qui l’avait oubliée. Une version féminisée, voire féministe, ne change rien au problème de l’usure, au contraire même, elle l’expose plus crûment.

Ballard est un mini-feuilleton américain en 8 épisodes conçu et produits par Michael Connelly, Michael Alaimo et Kendall Sherwood, produit par Amazon MGM Studios et diffusé sur Prime Vidéo mi-2025. Il est interprété notamment par : Maggie Q, John Carroll Lynch, Courtney Taylor, Michael Mosley, Rebecca Field, Victoria Moroles, Amy Hill, Ricardo Chavira,…

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