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La télé est un roman

 

Bosch

 

Se lancer dans une série avec un héros aussi typé que Hieronymus Bosch (le détective, pas le peintre) présente un risque considérable. Le personnage de Michael Connelly est l’archétype du héros de roman noir. Un vrai dur, ancien du Koweit, solitaire, têtu, sans vie familiale, en butte avec ses supérieurs, mauvais coucheur, agissant aux limites de la loi, toujours à portée de bavure, avec histoire personnelle hantée par le meurtre de sa mère, Bosch reprend à son compte toutes les caractéristiques de ce que l’on attend du genre. L’esthétique suit le mouvement : Archie Shepp au saxo et traînées de blues sur panoramas urbains de nuit, galerie de personnages déglingués, cigarette et whisky… les clichés des années trente-quarante se perpétuent, indifférents au temps qui passe.

Bosch

En ce sens, la série Bosch, qui démarre sur une histoire d’os d’enfants déterrés par un chien sur une colline, n’apporte réellement aucune surprise. C’est excellemment joué et finalement moins caricatural que Mob City. Moins daté en tous cas, on évite les impers mastic et les feutres. Circonstance aggravante, toutefois, une large partie de l’histoire traite de la chasse d’un tueur en série. Encore un, et encore une fois saisi sous l’angle du miroir. Comme dans la quasi-totalité de ce genre d’histoires à la télévision, le psychopathe est fasciné par le policier qui le traque et celui-ci doit descendre en lui-même, en sa propre zone d’ombre, pour atteindre sa proie. Ce terrain a été labouré dix fois. Pourquoi et comment un personnage vu et revu, pris dans une histoire, un contexte et des péripéties vus et revus aurait encore de quoi nous intéresser ? Par quelle magie, Bosch nous retient ? Quelle nostalgie se met à l’œuvre ?

Bosch

C’est la question du genre qui se pose. Genre littéraire, genre cinématographique, genre télévisuel. La télévision est certainement le médium qui recourt le plus systématiquement aux genres du fait même de son impératif de continuité. C’est parce que la télévision ne s’arrête jamais, qu’elle ne peut jamais s’arrêter et qu’elle doit, en contrepartie, s’organiser en programmes et qu’elle recourt aussi systématiquement aux genres. La télévision est une industrie du recyclage, de la digestion. Elle recrée des formes nouvelles à partir des formes anciennes. Elle les défibrille par effet de direct. Et elle ne se prive pas, à l’occasion, de citer. Car nous sommes post-modernes, rappelons-nous le, et la citation, la référence, le clin d’oeil sont notre lot commun.

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Pour s’en tenir au genre et à Harry Bosch en particulier, sans doute faut-il croire que c’est en se tenant au plus près du genre, en déviant le moins possible de son catalogue de situations, de personnages, de décors, que l’on est plus à même d’en faire sourdre la puissance. Michael Connelly est lui-même aux manettes. Il a écrit les romans, il dirige la série qui en est tirée et co-écrit les scénarios avec Eric Overmeyer. Aucune chance de s’écarter du sujet. Cette série est la visualisation par Connelly de ses propres romans. Elle n’est que du roman filmé, comme il y a eu du théâtre filmé, au grand désespoir des cinéphiles. Sacha Guitry ou Alain Resnais ont prouvé en leur temps que le cinéma n’était – pouvait n’être – que du théâtre filmé. Connelly prouve aujourd’hui qu’une série n’est que – peut n’être que – du roman filmé. Car toute la beauté de Bosch tient à la puissance de la narration. Ces images que l’on a vu cent fois sont emportées par une mécanique impeccable. Pas un once de graisse, la peau adhère à l’os. La chair, c’est à dire ici l’image, le jeu des acteurs, les dialogues, les décors, est réduite au nécessaire. Tout est splendide certes, parce que Los Angeles, vu de haut, de nuit, est un tapis de pierreries, parce qu’il n’y a qu’Archie Shepp pour exprimer la douleur contenue, parce que la fureur destructrice offre toujours un spectacle saisissant. Mais tout cela sans la moindre complaisance.

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Pour emmener cette mécanique il faut des acteurs aguerris : Annie Wersching et Sarah Clarke viennent de 24, l’incontournable Lance Reddick tient le même rôle de chef de la police que dans The Wire, la longue carrière de Titus Welliver comprend notamment NYPD Blue, Brooklyn South et The Good Wife. Quant au fascinant Jason Gedrick, il a déjà à son actif quelques solides rôles de criminels. Il faut aussi une esthétique sans manières, un filmage qui refuse le spectaculaire mais sait offrir une respiration aux personnages quand nécessaire, un montage invisible, qui donne ce qu’il y a à voir, ni plus ni moins. L’école classique, en quelque sorte.

Bosch est une série crée par Michael Connelly pour Amazon et diffusée en 2015. Elle est notamment interprétée par Titus Welliver, Jamie Hector, Amy Aquino, Lance Reddick, Annie Wersching, Sarah Clarke, Jason Gedrick…

3 réflexions sur “Bosch

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