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Squelette contre exosquelette

 

House of cards

Deux séries se sont succédées récemment sur les écrans, toutes deux parvenues à leur deuxième saison et offrant de singulières similitudes : House of Cards et The Americans.

The americans

À priori, pourtant, peu de points communs entre deux séries qui traitent l’une de politique et l’autre d’espionnage sous Reagan. Pas grand chose à voir entre elles si ce n’est qu’elles en sont à leurs deuxièmes saisons, comme je viens de le dire, et que toutes deux deux ont troqué la vivacité de leurs débuts pour une atmosphère plus sombre. Les séries ont une vie, c’est à dire une enfance, une maturité puis un vieillissement. Il y a un âge de la découverte où les scénaristes semblent prendre plaisir à expérimenter leur sujet, leurs personnages, les situations offertes.

Le cynisme d’Underwood, dans la première saison de House of Cards avait quelque chose de théâtral et de drôle. On entrait dans ses combines en appréciant ses tactiques amorales, sans y voir, sauf vers la fin, plus grave que l’ascension d’un opportuniste particulièrement rusé. De même, au cours de la première saison de The Americans on frissonnait aux risques encourus par ce couple d’espions russes implanté aux USA, mais sans craindre véritablement pour eux. C’était comme un jeu.

SQUELETTE CONTRE EXOSQUELETTESQUELETTE CONTRE EXOSQUELETTE

Est venue la maturité. Les chairs se sont alourdies, les sourires se sont ridés et à la légèreté a succédé un engagement sans illusion mais déterminé.

Underwood commet l’irréparable, mais en toute conscience. Il n’a plus rien à construire, sa route est tracée, il la poursuivra jusqu’à son terme et personne ne saura s’y opposer. Il ne joue plus.

La famille Jennings est réconciliée, parce qu’il n’y a pas d’autre solution que de partager le sort commun. La solidarité s’est substituée à l’amour et l’invisible menace qui rôde resserre les liens. Il n’y a plus d’avenir, ils le savent, juste des choses à faire.

J’ai dit la même chose au sujet de la deuxième saison de Äkta Mäniskor où la pénombre gagnait de plus en plus sur la lumière et où l’expérimentation des rapports entre humains et hubots cédait la place à de sombres luttes de pouvoir.

On s’émerveille du babillage d’une série-enfant, de son plaisir évident de saisir un personnage, de la malaxer et de s’amuser à l’abandonner à lui-même afin qu’on le lui remette dans les mains. On sourit à ses efforts de-emboîter les cubes de la narration les uns dans les autres pour faire grandir son histoire, même si tout cela chancelle un peu. Mais dès qu’elle marche toute seule, qu’elle n’explore plus mais trace son chemin, elle perd en charme ce qu’elle gagne en évidence.

Trop d’évidence. On distingue de plus en plus nettement les ressorts dramatiques, la structure, les articulations, le squelette. Pour House of Cards, c’est flagrant. Toute l’excitation que l’on éprouve à suivre l’ascension d’Underwood tient à l’opposition entre son cynisme absolu, ses complots tordus d’un côté et la totale honnêteté qui régit sa vie de couple. L’un ne va pas sans l’autre. L’un accentue, donne son relief à l’autre. Le contraste, vieux truc de scénariste, sous-tend le récit comme un squelette tiendrait une chair. Or si, au cours de la première saison, Franck Underwood et Claire Underwood agissaient à égalité, l’un à la Chambre des députés, l’autre à la tête d’une ONG, usant de l’un et l’autre de la même violence et du même cynisme, dans la deuxième saison, Claire Underwood s’efface devant son ascension politique, elle n’est plus que la femme de son mari. Pour user de termes juridique, il n’y a plus délit en réunion mais complicité. D’ailleurs, Claire finit par pleurer de ce qu’elle est amenée à commettre. Leur relation se banalise. Soudain trop exposée, l’articulation narrative, ce contraste dont je parlais, change de registre. Le squelette est mis à nu. L’articulation entre la vie publique, nécessairement violente, et vie privée, possiblement sincère, se départit de sa force. Les chairs glissent, il ne reste que l’ossature.

SQUELETTE CONTRE EXOSQUELETTESQUELETTE CONTRE EXOSQUELETTE

The Americans échappe au piège parce que son dispositif narratif, finalement assez simple, ne se dissimule jamais. Dès les premiers épisodes, il est clairement exposé. Un couple d’espions russes, fausse famille américaine avec de vrais enfants américains et, manque de chance, un agent de la CIA pour voisin. Cet agent va-t-il se rendre compte de qui sont véritablement ses voisins ? Le couple va-t-il tenir son image de famille modèle ou se trahir ? Les premiers temps de la découverte passés, cette configuration ne sert plus que d’exosquelette au récit car ce qui nous intéresse n’est plus le suspens de l’histoire d’espionnage dont on devine très bien qu’elle pourrait durer infiniment avec toutes les péripéties possibles et imaginables mais de plonger dans la consistance même de cette famille. Qu’est-ce qu’une famille, de façon générale, au travers de ce cas singulier d’un couple d’espions ? L’ossature s’oublie vite, elle n’a jamais été autre chose qu’un prétexte. D’une façon générale, plus vite elle est exposée, plus vite le spectateur peut s’occuper de l’essentiel, c’est à dire des réels enjeux narratifs, du réel sujet. Plus elle est cachée, en revanche, plus elle ressurgit avec force dès que le spectateur se familiarise avec le récit.

24 (heures chrono) a lassé dès la troisième saison parce que l’on a compris que les scénaristes organisaient l’histoire comme un emboîtement de poupées gigognes, chacune occupant trois à quatre épisodes. On savait donc à l’avance que la menace terroriste serait résolue trois épisodes plus loin et qu’une autre, plus souterraine et plus terrifiante, surgirait au même moment. Il ne restait plus qu’à attendre.

C’est ici que les séries démontrent leur qualités. Contrairement au feuilleton, les séries, comme je l’ai dit dans un article précédent, sont contraintes par un programme, un schéma narratif rigoureux et des personnages qui doivent agir selon ce qu’ils sont. Qu’importe le récit, on ne suit une série que pour la vérifier, comme le dit Gilles Delaveau. L’exosquelette est ce qui s’expose en premier dans une série. Le feuilleton doit, lui, dissimuler sa structure sous la pellicule du récit. Avec le temps, par répétition, lassitude qui sont la façon de vieillir des feuilletons, les muscles et la chair se réduisent, et la peau épouse de plus près le squelette jusqu’à en faire apparaître les reliefs.

Le temps ne pardonne rien.

 

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