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Les amants diaboliques

 

LES AMANTS DIABOLIQUES

 

Les chaînes de télévision françaises produiront des séries dignes de ce nom lorsqu’elles embaucheront des acteurs britanniques pour interpréter des histoires écrites par des scénaristes britanniques.

Comme par exemple Line of Duty, diffusé en 2012 sur BBC 2 et que je ne découvre heureusement qu’aujourd’hui. Pourquoi heureusement ? Parce que ce bref retard me fait voir Line of Duty après Low Winter Sun et bien après Secret State qui, l’un et l’autre, employaient deux des acteurs de Line of Duty, deux acteurs éblouissants dont la seule présence ici puis là éclaire cette série.

Lennie James et Gina McKee sont en effet ici les amants diaboliques qui, en deux épisodes, nous plongent dans un drame pour pourrait faire la manchette de la presse à scandale sous le titre “ Le policier modèle manipulé par sa diabolique maîtresse ” mais qui en font une saisissante tragédie morale.

Lennie James est un acteur végétal. L’écouter est entendre le murmure de la brise dans les frondaisons. Un an plus tard, c’est à dire en 2013, il réapparaitra dans un autre rôle de policier corrompu dans Low Winter Sun. Avec la même douceur qui, insensiblement, nous amenait à l’excuser de tout.

Gina McKee est une actrice lunaire, fascinante et fragile comme l’astre qu’un seul nuage voile. Dans Secret State, diffusé la même année, elle interprétait une journaliste tenace, qui soutenait le premier ministre dans ses démêlés avec le complexe militaro-industriel. Dans les deux rôles, on avait le sentiment que cet énigmatique visage masquait un projet, une idée que l’on ne connaîtrait jamais entièrement, une volonté plus vaste, plus exigeante que nous ne pouvions l’imaginer. L’énigme de la volonté, en quelque sorte. (1)

Car pour une fois, et parce qu’il s’agit d’une série britannique, nous n’assistons pas ici à l’éternelle lutte du Bien et du Mal, à laquelle les séries américaines nous renvoient inlassablement, mais à celle, bien plus passionnante, de la Loi et du Désir où ces deux acteurs sont, de tout évidence, comme chez eux.

LES AMANTS DIABOLIQUES

L’inspecteur-chef Gates, récompensé pour ses brillants résultats, entretient une liaison avec une femme d’affaire. Ses succès lui valent une enquête de l’inspection de la police qui le soupçonne de gonfler ses résultats, ce que font plus ou moins tous ses collègues. Malheureusement pour lui, simultanément, il se voit obligé de couvrir un accident commis par sa maîtresse, “ accident ” qui s’avère être un meurtre.

LES AMANTS DIABOLIQUES

Très vite, sans que l’on comprenne pourquoi, les “ contrôleurs ”, qui garantissent le respect de la Loi par la police, sont perçus comme le parti hargneux, borné et insensible de l’histoire. Kate Fleming, l’inspectrice qu’ils ont infiltré dans le groupe de Gates passe pour une insupportable moucharde quant Arnott, le jeune inspecteur chargé de coincer Gates, son intransigeance est proprement inhumaine. À l’opposé, le couple formé par Gates et Jacqueline Laverty, sa très fascinante, manipulatrice et criminelle maîtresse devient l’objet de notre sollicitude. Ce sont eux, les amants diaboliques, qu’il faut sauver des griffes de la police. Nous sommes donc bien à l’école hitchcockienne : amener le spectateur à désirer le crime au nom même du désir et contre la Loi.

LES AMANTS DIABOLIQUES

Comment ne pas absoudre Gates pour ses faiblesses, lui, le seul noir de son commissariat, irrésistiblement attiré par une femme venimeuse et sous les pas duquel le sol se dérobe à chaque instant ? Comment ne pas se laisser séduire par cette vamp spectrale que l’on suivrait, comme Gates, tout en sachant, comme Gates, qu’elle nous mène à notre propre perte.

LES AMANTS DIABOLIQUES

Mais aussi comment ne pas, simultanément, reconnaître ce que l’on a été dans l’intransigeance juvénile d’Arnott ? Et comment enfin ne pas douter de ses propres sentiments en voyant la moucharde Kate Fleming retrouver son mari et son enfant comme n’importe quelle mère et épouse aimante ?

La faiblesse de Gates, son harmatia, provoque non seulement sa chute mais celle de tous les protagonistes. Finalement, avec une ironie toute britannique, la médiocrité et la corruption l’emporteront, laissant les corps et les âmes des vertueux sur le bord du chemin, désarticulés. Le monde est ainsi fait.

Ni la Loi ni le Désir ne triomphent, ils se détruisent mutuellement. Ceux qui ont cru trop passionnément en l’un ou en l’autre paieront pour s’être détachés du troupeau humain. L’excès porte en lui sa propre condamnation. Et ce n’est pas Platon qui me démentira.

 

Line of Duty est un feuilleton créé par Jed Mercurio, diffusé en 2012 sur BBC2 et interprété notamment par Martin Compston, Vicky McClure; Lennie James, Gina McKee, Adrian Dunbar, Paul Higgins,…

Note :

1 –  Ajoutons à ces deux brillants acteurs le non moins habile Paul Higgins, dans un rôle secondaire de chef de la police qui reprend lui-aussi le type de personnage veule qu’il interprétait dans Utopia. À croire que les acteurs finissent par se confondre avec leurs personnages ou que les producteurs persistent à miser seulement sur ce qu’ils connaissent.

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