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Les créatures des marais

 

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La critique en frétillait d’avance. Pensez-donc ! Une production HBO, la chaîne câblée qui a transmuté le plomb télévisuel en or culturel, deux stars hollywoodiennes, un scénariste prix du premier roman étranger en 2011, tous les critères étaient remplis pour combler un public cultivé. On tenait le successeur des Sopranos et de The Wire ! De quoi alimenter une édition critique ou un mémoire de Master.

Effectivement, le succès a été immense. Tel que la diffusion du dernier épisode a occasionné la saturation du streaming et qu’HBO a dû présenter ses excuses aux spectateurs. La critique a été unanime : les acteurs sont formidables, le scénario est celui d’un vrai roman noir, le réalisateur marque définitivement l’histoire de la télévision avec un magistral plan séquence de 6 minutes à la fin du quatrième épisode et le créateur invente un nouveau format : la mini-anthologie, croisement entre la mini-série et l’anthologie. Les figures de l’Olympe hollywoodien sont enfin réinstaurées : le producteur (HBO), le scénariste (Nic Pizzolatto), la star (Matthew McConaughey et Woody Harrelson) et le réalisateur ( Cary Fukunaga). Les repères sont en place, fin de la parenthèse populaire, on peut reprendre le train-train.

Reprenons donc. Huit épisodes pour un feuilleton qui s’est fixé pour objectif de reproduire chaque année ce même format, mais avec les histoires et des personnages différents. Voilà pour la nouveauté. Le rétrécissement sur les chaînes payantes des séries à 13 puis maintenant 8 épisodes par saison, quand, dans les années 50, les grandes chaînes pouvaient aligner 30 à 40 épisodes, a conduit Nic Pizzolatto à imaginer une nouvelle forme de continuité, étalée sur les années. Ce format, qui s’appuie sur la rareté et la régularité, est aussi, sans aucun doute, à la fois cause et effet du visionnement en continu né du téléchargement.

TD

Au delà des silhouettes

 

Ne négligeons jamais les génériques, ils donnent le programme de ce qui va suivre. Celui de True Detective nous montre des paysages et des scènes au travers des silhouettes des personnages. Le sujet de la série sera donc ce que l’on voit au travers des personnages, en l’occurrence la Louisiane, la Louisiane au travers de deux flics qui enquêtent sur des meurtres rituels d’enfants.

Très conventionnellement, ces deux policiers, Rust Cohle et Marty Hart, sont à l’opposé l’un de l’autre. Le second répond à la norme du père de famille : une carrière respectable dans la police d’État, un pavillon confortable en proche banlieue, une pelouse tondue au petit poil, une femme au foyer, deux enfants, une maîtresse, il ne manque que le chien. Le premier est en revanche un solitaire qui campe dans un studio vide, sa carrière a été chaotique et sa vie sentimentale tout autant, il fume et picole. Comme il se doit, les deux hommes s’affronteront pour finir par se respecter.

Le récit est construit en flash-back durant les six premiers épisodes puisqu’il s’agit de l’interrogatoire de Cohle et Hart par la police, dix-sept ans après leur enquête sur les meurtres en série. Cohle dissimule le fait d’avoir poursuivi l’enquête pour son propre compte, après sa démission, et d’avoir pour cela recouru à des méthodes illégales. L’étrangeté de son comportement le fait donc suspecter d’être lui-même le tueur. Mais l’histoire ne recèle aucune péripétie, aucun trucage, aucun retournement de situation et c’est à porter au crédit de l’auteur.

L’héritage assumé

Traitant de cette série, nombre critiques évoquent aussitôt le roman noir, dont l’argument, rabâché, est de n’être qu’un prétexte à la description d’un milieu. C’est effectivement le cas. True Detective parle de la Louisiane aux limites du bayou, avec ses paysages moites ponctués d’usines décolorées, sa population de petits blancs à la limite de l’abrutissement et de noirs armés jusqu’aux dents, traversée de gangs de motards ou de pasteurs itinérants et pénétrée d’une foi archaïque où se fondent évangélisme et vaudou. Un monde de vrais durs et de vrais déjantés, où la raison se plie aux atavismes. Les femmes et les enfants n’y jouant par conséquent que le rôle de victimes.

Cette Louisiane de toujours, certes authentique, est-elle à la mesure de la Louisiane d’aujourd’hui ou plutôt, répond-elle à ce que nous voudrions voir d’elle ? À la différence de Treme. qui se déroulait également en Louisiane, l’ouragan Katrina n’y a laissé aucune trace. Treme traitait directement de la destruction et de la souffrance, de la capacité ou non à reconstruire sur un manque, True Detective montre une Louisiane immuable. Treme faisait ressurgir le mythe au travers de l’action quotidienne des hommes, True Detective en reste au lyrisme sombre du genre « noir ».

Fascination du bayou

La fascination du Bien envers le Mal, de l’être raisonnable envers la folie est récurrente dans de telles histoires. Il est la part de soi toujours prête à basculer dans la folie archaïque. Le bayou, la puissance de la nature, la force de la sauvagerie, encore et toujours.

C’est parce que Rust est dès le début un personnage marginal qu’on le soupçonne. Son désir de comprendre la folie criminelle de l’intérieur, de s’en laisser pénétrer au risque de perdre la raison finit par l’associer, aux yeux des autres, au criminel. Cette fascination mutuelle du tueur et du justicier est un des lieux communs des histoires de tueurs en série.

“ Il n’y a jamais eu qu’une histoire, dit Rust. Laquelle ? Demande Marty. Celle de la lumière contre l’obscurité ” L’échange n’est pas d’une grande profondeur mais il éclaire, si je puis dire, toute l’histoire, laquelle est, en ce sens, profondément américaine. C’est Moby Dick.

Que dans cette histoire, des écoles chrétiennes soient au cœur d’une affaire de crimes pédophiles sur fond de rites vaudou participe à l’idée d’une nature hostile, incarnation des puissances archaïques contre laquelle les communauté humaines doivent se préserver, Bible en mains. Mais ce que dit également cette série est que le mysticisme puritain est une autre forme de folie.

Naturalisme contre réalisme

En cela, True Detective est une série naturaliste, et non, comme The Wire, une série réaliste. Elle se déploie à la frontière toujours floue du puritanisme et de la sauvagerie et ne cesse de dire que rien en ce bas monde ne va, ni la famille, ni Dieu, ni les enfants, ni les valeurs auxquelles on croit et qu’il n’y a que les cadavres pour faire prendre conscience de l’existence pour, un instant, s’extraire du rêve éveillé. La puissance dégrisante du réalisme telle qu’elle s’exprimait dans The Wire est bien loin. Ici, il s’agit au contraire de se laisser envoûter et si Nic Pizzolatto affirme puiser dans ses souvenirs de jeunesse, dans cette vie ponctuée de rituels religieux où « les gens fermaient les yeux et disaient avoir des visions », il ne fait aussi qu’entretenir la couleur locale, en l’assombrissant, certes, mais sans chercher à s’en défaire. Les plans sur les paysages de Louisiane, tout à la fin, portés par une musique à la fois lyrique et inquiétante, auraient pu magnifiquement clore la série, sans que l’on ait besoin d’en savoir plus sur le destin des personnages, puisqu’il s’exposait là, sous nos yeux, dans ces nappes végétales et humides, leur destin. L’effet de séduction est indéniable.

 

Pour une néo-politique des auteurs

Nic Pizzolatto a d’abord été un romancier. Il déclare : « Je voulais que ce soit un roman à deux voix à la première personne. Et puis, j’en ai fait une pièce de théâtre. Et finalement, je me suis rendu-compte que la télévision serait le meilleur moyen de raconter cette histoire, pour le temps dont on dispose, et pour la mise en scène des monologues ». Rien à ajouter.

 

True Detective est une série créée par Nic Pizzolatto et réalisée par Cary Fukunaga, diffusée en 2014 sur HBO  et interprétée notamment par Matthew McConaughey, Woody Harrelson et Michelle Monaghan

4 réflexions sur “True Detective S01

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