Il aura fallu trois saisons pour faire la paix. Chacun a fait un pas vers l′autre, comme dans un couple en crise. Nous, d’abord, vers True Detective. Après une première saison bruyamment annoncée comme un chef d′oeuvre avant même d′être diffusée, une seconde saison plutôt erratique, nous avions compris le principe : il y aurait un crime, ce crime deviendrait une obsession pour le ou les enquêteurs, ils y laisseraient leur âme, leur famille, leurs amis et, au bout du compte, rien ne serait jamais vraiment résolu. Inutile d’attendre quoi que ce soit, le spectacle ne serait que celle de la longue destruction psychologique d′un flic et de l′ensemble du milieu social au sein duquel ce crime a été commis. Accessoirement, de longs plans de paysages hantés par la misère sociale occuperaient le temps.
En sens inverse, True Detective a fait aussi un pas vers nous. Moins de fébrilité contenue, moins de complaisances esthétiques, moins de faux brio, moins de promesses non-tenues. Il reste bien l′accumulation de fausses pistes, pour nous égarer, mais on s′y est habitués. Et puis cette fois, la résolution est élégante. On n′achève pas la saison sans réponse, même si les personnages, eux, ne sauront jamais ce qu′il en est.
La troisième saison revient sur le lieu du crime, si l′on peut dire. Le sud des Etats-Unis. Le sud pauvre, raciste, déglingué, gangréné par un mélange de christianisme dévoyé et de paganisme. On n′en finit pas de rouler dans un paysage bordé de bicoques insalubres. Et lorsqu′on s′arrête, c′est pour avaler bourbons et bières dans des bars tous semblables. Au centre de cette région, il y a toujours un riche propriétaire, un politicien, un patron d′usine, une bourgeoisie locale qui use mystérieusement de son pouvoir sur les corps et les âmes. Les racines du mal sont à chercher de ce côté. C′est comme ça et les policiers comprennent au bout d′un certain temps qu′il faut aller chercher ailleurs.
Le récit est construit sur trois époques : les années 80, les années 90 et aujourd′hui. De séquence en séquence on saute ainsi d′une décennie à une autre. Les personnages vieillissent en conséquence et leur évolution physique fait qu′on ne s′égare pas trop entre les flash-backs. Mais c’est aussi une façon de ralentir l’action, on ne s’en rend compte assez vite.
Tout commence par la disparition de deux enfants, Will Purcell, 12 ans, et sa sœur Julie, 10 ans, dans les monts Ozarks, au nord-ouest de l’Arkansas. On découvre le corps du garçon, pas celui de la fille. Le couple de leurs parents, déjà bien déliquescent, achète de rompre. Côté policiers, les premiers pas de l′enquête amènent la rencontre de Wayne Hays, l′un des deux détectives, avec Amelia, une jeune professeure d’anglais. Elle se passionne pour l′affaire – Julie était son élève – et entreprend d’en faire le récit en marge de l’enquête de son nouveau fiancé.
Dans les années 90, l′enquête est relancée, Hays, relégué au service communication est réintégré à la brigade criminelle grâce à West, son ancien coéquipier. Amelia est maintenant une auteure à succès, elle envisage une suite à son livre. Les rapports au sien du couple se sont dégradés, chacun restant confiné dans sa version de la même histoire : la mort d’un petit garçon et la disparition de sa sœur, un jour, dans les années 80. L’histoire qui les a fait se rencontrer a pris possession de leur couple.
On retrouve Wayne Hays en 2015. Il est à la retraite, atteint par la maladie d′Alzheimer. Amelia est décédée, on ne sait trop comment, leur fils est devenu policier, il veille sur son père. Interviewé par la télévision, celui-ci s’efforce de reconstituer le puzzle de sa mémoire. L’intervieweuse le presse, les souvenirs lui reviennent, puis s’esquivent. Néanmoins, il retrouve West et insiste pour qu’ils reprennent l′enquête. Les deux vieillards rabibochés se lancent une dernière fois sur la même piste, cent fois parcourue. L′un commence à perdre la tête, l′autre s′est retiré à l’écart du monde. Retrouver les témoins, ré-examiner les lieux, au cas où quelque chose leur aurait échappé, n’est qu’une façon de revivre leur vie une dernière fois ou plutôt de tenter de l’achever.
Parfois, lorsqu’il est seul, Amelia apparaît au vieux Hays. Elle avait tout compris, bien évidemment, et, revenue d’entre les morts, elle l’aide à recoller les morceaux de sa mémoire. Il n’avait jamais lu son livre. Sinon, sans doute, y aurait-il trouvé à défaut de faits nouveaux, des indices psychologiques déterminants. Mieux que les hommes, la véritable détective, c’était elle, Amelia.
Il faut hélas attendre le 8ème et dernier épisode pour que l′un de principaux suspects d′autrefois lâche le morceau et raconte par le menu aux ex-policiers ce qui est arrivé à la petite fille quarante-cinq ans plus tôt. Pendant ces décennies, ni Hays ni West n′avaient rien découvert sur cette enfant, ils nous avaient traîné de fausses pistes en impasses, ils s′étaient morfondus dans l′attente d′un indice et voilà qu′on vient leur expliquer tout ce qu′ils n′avaient pas compris. Le scénario ne peut faire plus maladroit. Sans même se montrer trop à cheval sur les règles classiques, cette longue scène d′explication s′oppose à toute idée de mise en scène, au sens propre du terme. Il n′y a plus de récit par l’action mais une simple relation des événements qui avaient échappé à tout le monde, aux héros comme aux spectateurs. Déjà Aristote, qui ne confondait pas la représentation et la narration, récusait le procédé. Il n’appréciait pas, non plus, les fantômes qui surgissent à la fin pour élucider les mystères.
Cette désinvolture à l’égard de l’intrigue conduit à croire que la résolution n’intéresse pas Nick Pizzolatto ni même le chemin qui y conduit. L′enquête n′est qu′une façon d′étirer le temps et un prétexte pour montrer autre chose, qui pourrait éventuellement être les personnages. Le trauma de la mort d’un enfant et de la disparition de sa sœur transforme radicalement tous ceux qui l’ont subi, les parents, bien sûr, mais surtout le couple Hays-Amelia qui n’existe que par et pour cette histoire. Mais le scénario ne fouille pas assez le mystère de leurs âmes pour étoffer huit fois cinquante-deux minutes. Hays et West restent ce qu′ils sont d′un bout à l′autre du récit, à peu de choses près. Il s’enferrent dans leurs caractères : obsessionnel et têtu pour Hays, désabusé pour West, et tous les deux liés par une loyauté indissoluble.
Restent alors les crépuscules bleutés des Monts Ozark, les après-midi moites, les bourgades délabrées, l’alcoolisme et la drogue, le racisme et l’ennui, la misère culturelle et le féodalisme décrépi qui régule encore les corps et les esprits. Au passage, on entrevoit quelques personnages un peu plus abîmés les uns que les autres tels que l’oncle, le père et la mère des deux petites victimes ou leur oncle. L’Amérique de Trump.
Les derniers moments de la saison sauvent néanmoins par un trait d’élégance une narration beaucoup trop calculée. Totalement inattendue, quoiqu’annoncée, la vérité ne sera certes jamais donnée à un Wayne Hays désormais privé de son passé et enfermé dans un présent immédiat. Cette vérité nous est en revanche accordée à nous, spectateurs, qui en bénéficions avec un réel soulagement mais aussi avec l’impression troublante que le destin, en privant Hays de sa quête, lui offre de finir paisiblement ses jours.
Nous voici presque réconciliés avec True Detective.
True Detective est une anthologie américaines crée par Nic Pizzolatto et diffusée sur HBO en 2019. Elle est interprétée notamment par : Mahershala Ali, Carmen Ejogo, Stephen Dorff, Scoot McNairy, Mamie Gummer,…