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  • La chute de la maison Eischer

     

    Real Humans

    Comparée à la première, la seconde saison de Äkta Människor est la démonstration in vivo de la pertinence de la thèse de Gilles Delavaud sur l’effet de reconnaissance à la télévision.

    Que dit Gilles Delavaud ? Pour simplifier, il oppose l’effet d’identification que produit le cinéma à l’effet de reconnaissance que produit la télévision. Au cinéma, on s’identifie, pendant la durée du film, au héros de l’histoire ou à l’un des personnages principaux. On est ainsi tour à tour, chevalier Jedi, cow-boy, pirate des Caraïbes, amant volage, princesse énamourée. Formidables expériences de “ sorties de soi ”, d’appel d’imaginaire, comme on parlerait d’un appel d’air.

    À la télévision, on se met à la place des personnages sans se confondre à eux. Et si c’était moi ce père de famille, cette voleuse de bonbons ou ce chauffard criminel ? Que ferais-je ? Le libre-arbitre du téléspectateur sort non seulement indemne de la fiction mais il est sollicité, invité à se prononcer.

    Lors de la première saison de Äkta Människor, on découvrait un monde en tous points semblable au nôtre mais doté d’androïdes à tout faire. Ces “ hubots ” (contraction de human et de robots), tout à fait anthropomorphes à l’excepté de la prise USB dans leur nuque, de l’interrupteur sous le bras et de la rallonge électrique extensible cachée dans le creux de l’aisselle, servaient dans les usines, à la maison, dans les bureaux, les écoles, à effectuer tous les travaux répétitifs ou ne nécessitant pas de prise de décision autonome.

    LA CHUTE DE LA MAISON EISCHER

    Toute cette première saison se fondait donc sur la découverte de ces hubots et de la vie qu’il fallait partager avec eux, les sachant différents, mais nous étions troublés, tout autant que les personnages, par leur aspect trop humain. Cela se passait par exemple dans une famille, dans une église ou chez un vieillard. Chaque fois, nous étions amenés à nous mettre à la place de tel ou tel personnage. Comment aurais-je fait dans sa situation, comment aurais-je réagi, pourquoi ? Et la réponse s’avérait moins simple qu’il n’y paraissait de prime abord.

    Ceux qui donnent leur nom à la série, ces “ vrais humains ” (1) qui haïssent les hubots, qui sont-ils vraiment ? Des racistes comme il en surgit hélas de plus en plus actuellement en Europe ou de simples technophobes qui refusent les dictats de la technologie ? Et si c’étaient les mêmes, dans la réalité ? Et si la xénophobie contemporaine relevait aussi du décrochage technologique ?  Or, la plupart du temps, dans la série, leur discours des « vrais humains » est difficilement contestable…

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    L’une des scènes les plus astucieuses était celle où le fils avoue à son père qu’il est “ technosexuel ”, c’est à dire plus attiré par les hubottes que par les filles. Scène à double ressort puisque, bien évidemment, tout spectateur entend “ homosexuel ” à la place de “ technosexuel ”. Dans le contexte d’une société scandinave où il est mal toléré que des parents réagissent négativement à l’annonce de l’homosexualité de leur fils, l’ironie est flagrante. Mais simultanément, cette scène pointe ces nouvelles formes de découverte de la sexualité qu’offrent les technologies numériques, avatars, images de synthèse, “ réseaux sociaux ” ou autres. Tout le charme de Äkta Människor tenait à la double lecture que la série nous imposait, l’une tournée vers notre présent, l’autre vers un avenir si proche qu’il pointe déjà dans notre présent. L’esthétique même de la série, qui misait sur les paysages proprets de banlieues pavillonnaires, les décorations intérieures style IKEA et une douceur monotone des tons, nous ancrait dans l’effet de reconnaissance.

    Certes, un petit groupe de hubots rebelles, re-programmés par un certain David Eischer, errait à travers la campagne. Ils étaient là pour attiser certaines questions relatives à l’égalité et à la différence, à la reconnaissance des droits de l’autre et surtout, ils brodaient la trame évangélique qui sous-tendait la série. Ils ouvraient la porte à une troisième lecture, métaphysique cette fois.

    Le choix de l’action

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    Dans la seconde saison, Lars Lundström change radicalement de style. La narration s’accélère, multipliant les surprises, les personnages inattendus, les scènes violentes, les rebondissements. Les scènes nocturnes ou de pénombres intérieures dominent. A l’univers calme et aseptisé a succédé un monde de contrastes brutaux. On bascule même du côté de Fantômas avec un personnage réchappé d’un attentat et qui porte un masque semblable au personnage de Souvestre et Allain. La crédibilité de la série s’en ressent.

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    La nécessité de suivre plusieurs groupes de personnages à la fois pose des problèmes de synchronisation à l’auteur. Entre la famille Engman, Roger et le Hub Battleland, son fils et le mouvement anti-hubot, le fils Engman et le mouvement « hubot-friendly », les hubots rebelles et le couple Liam/Florentine, la synchronisation laisse à désirer. L’histoire d’amour de Liam et de la hubotte Florentine est réglée en sept épisodes, rencontres, séduction, rupture, rabibochage, mariage, enfant et décès accidentel de Liam compris. Simultanément, Roger, par exemple, vit sa vie de tous les jours et d’un épisode à l’autre on n’imagine mal que ce soient écoulés trois mois. Ce problème de synchronisation des histoires met à mal la structure même de l’ensemble.

    Impossible de résumer tant d’évènements. Pour faire vite disons qu’en dehors de la famille Engman dont les problèmes de hubots et de clones passe par tous les degrés, l’essentiel du récit se focalise sur la course que se livrent les hubots rebelles et certains humains manipulateurs pour découvrir le fragment manquant du code informatique qui “ libèrerait ” les hubots.

    Il faut néanmoins reconnaître que ce second opus insiste avec justesse sur la scission entre « intégrationnistes » et « communautaristes » qui traverse la communauté hubotte « consciente ». Dès lors qu’ils ont le choix et la capacité d’exercer un choix, certains veulent à tout prix s’intégrer au monde humain tandis que d’autres choisissent l’affrontement.

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    Du hubot au clone

    La matière était pourtant bien plus riche. Au premier épisode, une camionnette livre à la famille Engman un hubot inattendu : le clone du grand-père récemment décédé. C’est son cadeau post-mortem.

    L’extension du domaine des hubots à celui des clones avait été esquissée lors de la première saison. La seconde leur est principalement consacrée puisqu’après le grand-père, une multitude de clones apparaissent. David Eischer, le re-programmeur des hubots, celui qui les avait affranchis, avait crée son clone, celui de sa femme et celui de sa mère. Le “ Fantômas ” crée lui aussi son clone pour poursuivre sa vie sous une autre apparence.

    La seule présence du clone du grand-père dans “ sa ” famille aurait suffi pour développer le sujet sans sombrer dans le grotesque. Nous aurions pu à nouveau nous demander ce que nous aurions fait, comment nous aurions réagi à la place de cette mère, de ce père ou des ces enfants. L’ordinaire – si je puis dire – des situations nous aurait davantage impliqués dans le récit. Les questions les plus essentielles touchant à la filiation, à l’amour domestique, aux relations inter-générationnelles auraient éclos naturellement. Malheureusement, le choix de miser sur l’action et de la complexifier à grand renfort de péripéties, use prématurément l’intérêt. En voulant se détacher de la banalité, la narration devient banale.

     

    Äkta Människor est une série suédoise crée par Lars Lundström et diffusée sur SVT1 en 2014. Elle est interprétée notamment par : Pia Halvorsen, Johan Paulsen, Sami Al Fakir, Natalie Minnevik, Kåre Hedebrant, Sten Elfström, Alexander Stocks, Lisette Pagler, Anki Larsson, André Sjöberg, Josephine Alhanko, Leif Andrée, Fredrik Silbersky, Johannes Bah Kuhnke, Marie Robertson, Måns Nathanaelson, Peter Viitanen, …

    Note :

    (1) « Äkta människor » se traduit par « Vrais humains ». Le rapprochement avec le parti populiste finnois des « Vrais Finlandais » est donc envisageable en dépit de l’utilisation de l’adjectif « äkta » au lieu de son synonyme « sann » que l’on trouve dans l’appellation suédoise de ce parti : Sannfinländarna.

     

 

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