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Une joyeuse vallée de larmes

 

 

Avec Dickens, Jack l’Eventreur, Ken Loach et surtout Margaret Thatcher, les britanniques ont pu se faire une idée assez juste de ce que signifie et représente la “ détresse sociale ”. D’où leur point de vue et leur ton souvent pertinents, ou, pour le moins, débarrassés de toute fioriture et singulièrement efficaces. One Night, Top Boy, Hit and Miss, Line of Duty ou aujourd’hui Happy Valley font partie des séries de cette qualité.

On découvre une petite ville sinistre au milieu de paysages splendides, tels que les britanniques ont su les conserver en mémoire de Thomas Hardy. La ville elle-même est faite de bâtiments gris, parfait urbanisme migraineux de la révolution industrielle, le tout dominé par une inopportune tour des années 60-70. Dans cette “ vallée joyeuse ” du Yorkshire, ce ne sont que vies ratées, gâchées, minables. La drogue est partout, la corruption, l’alcool, la maladie, la violence et la délinquance aussi, avec pour cadre le chômage et la déliquescence des services publics. Malgré tout, il s’agit de survivre, et ceci avec un minimum de dignité.

Encore une fois, ce sont les femmes qui se cramponnent à cette exigence. Le contraste est d’ailleurs saisissant, lorsque l’on fait la liste en personnages, entre tous ces hommes trop faibles ou au contraire d’une brutalité sans borne et de l’autre, les femmes qui, quel qu’ait été leur parcours, serrent les dents et s’efforcent de se construire, ou se reconstruire, une vie honorable.

L’histoire commence lorsqu’un patron refuse une augmentation à son comptable, qui veut envoyer ses filles dans une bonne école, donc une école privée chère. Furieux, le comptable propose à des trafiquants de drogue d’enlever la fille de son patron pour en obtenir une rançon. Le lendemain, le patron lui propose une autre solution : prendre lui-même en charge les études des deux filles du comptable. Trop tard, les malfrats sont lancés. Simultanément, une femme sergent de police apprend que le violeur de sa fille vient d’être relâché de prison. Après avoir accouché de l’enfant de viol, sa fille s’était suicidée. Les deux histoires vont se rejoindre, bien évidemment, tissant un portrait d’une société au bord du désespoir. Au passage, la seule dans toute cette histoire à affirmer une vocation, un désir de se réaliser, est une jeune policière qui se fera violemment assassiner. On n’échappe pas à la “ vallée joyeuse ”.

Sans doute les auteurs surchargent-ils certains personnages. Était-il indispensable, par exemple, d’affliger la femme du patron d’un cancer, la femme du comptable d’une sclérose en plaques ou la sœur de la sergente d’un passé d’héroïnomane ? S’il s’agit, comme le préconisait Aristote, de susciter la pitié, le résultat est acquis, mais participe-t-il vraiment aux raisons pressantes du récit ? Vraisemblablement pas. Enlevez ces éléments, le récit ne change pas ou presque. La psychologie des uns et des autres peut-être, mais pas au point d’agir sur le cours du récit.

Mais en considérant les choses sous un autre angle, on peut imaginer que cette omniprésence de la maladie pourrait avoir une fonction plus symbolique que littérale. Ce n’est pas une telle qui est affligée d’un cancer du foie ou telle autre d’une sclérose en plaque, c’est toute une société qui est malade. Et de la même façon que je disais que ce sont les femmes qui relèvent la tête et assurent la solidarité, ce sont aussi elles les premières frappées.

Ce qui m’amène à cette hypothèse est qu’en d’autres occasions, les auteurs évitent soigneusement le cliché. Le patron, par exemple, n’est pas un bourgeois arrogant. Il est issu de la même ville et du même milieu que tous les autres. C’est juste quelqu’un qui s’en est un peu mieux tiré. Le comptable, dont les exigences sont légitimes et pour lequel on pourrait éprouver un début de compréhension, se discrédite par son insondable lâcheté. Le trafiquant est aussi un loueur de mobil-homes qui passerait totalement inaperçu en d’autres circonstances. Du côté des hommes, les pré-supposés ne tiennent pas longtemps la route.

Enfin, il faut rendre hommage aux auteurs pour leur indéniable maîtrise du suspens. Passant d’un personnage à l’autre, sans rien oublier et sans que cela ralentisse de quelque façon le récit, nous savons ce qu’il en est, réellement de chacun. Et nous sommes donc ainsi les seuls à détenir les clefs. Toute la tension du suspens repose sur ce principe. Quand, comment la policière va-t-elle faire le lien entre tout les indices qu’elle connaît ? Le comptable veut-il, peut-il arrêter la machine folle qu’il a lancé ? En plus des références que j’ai cité, il convient donc d’ajouter celle d’Hitchcock, tant le suspens est magistralement maîtrisé.

Tout ceci fait que Happy Valley offre un tableau sans facilité du Royaume Uni actuel, sans militantisme tapageur, non plus, mais subtilement articulé entre différents niveaux d’appréhension.

La morale de Happy Valley est certes douloureuse. Lorsque l’on fait les comptes, ce sont les meilleurs, ceux qui s’efforcent de comprendre, de se mettre au service des autres et de mener une vie digne, qui souffrent le plus. Les lâches, les violents, eux, n’ont pas ce genre de problème. Mais cela ne signifie pas qu’Happy Valley soit une série cynique, bien au contraire. Elle n’esthétise pas, non plus, la déchéance. Happy Valley est une série bourrue, dans le bon sens du terme. Une série qui captive sans chercher à plaire. Une histoire racontée par quelqu’un qui n’a pas eu la vie facile.

 

Happy Valley est une mini-série ( 6 épisodes) crée par Sally Wainwright et diffusée sur BBC One en avril 2014. Elle est interprétée notamment par Sarah Lancashire, Steve Pemberton, Siobhan Finneran, George Costigan, Joe Armstrong, James Norton, Adam Long, Charlie Murphy.

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