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LA VOIX DE SON MAÎTRE

 

Par bonheur, le Canada existe et dans le Canada, le Québec. C’est un plaisir égal à celui de savoir qu’aux limites de la France, se trouve, par exemple, la Belgique. Je ne pense pas seulement à Hugo ou Verlaine en écrivant ceci, je pense à ce que chaque jour nous sommes obligés de voir, d’entendre et de payer pour ne pas sombrer.

Les Québecois, avec Série Noire, viennent à nouveau de manifester leur talent pour les séries télévisées. Ce n’est pourtant pas, en premier lieu, du talent de leurs scénaristes, leurs acteurs ou leurs réalisateurs dont je voudrais parler mais de l’évènement que constitue Série Noire dans l’histoire de la télévision. Oh, c’est un événement très discret dont certainement on ne parlera pas beaucoup mais en prenant un peu de recul, en examinant là où nous en sommes dans cette histoire de télévision, il est certain que Série Noire constitue une date.

J’ai longtemps craint l’avènement d’une télévision “ savante ”, d’une télévision qui romprait avec ses origines populaires. Elle est arrivée lorsque HBO a commencé à viser un public petit bourgeois d’intellectuels et que ces mêmes intellectuels, jusqu’alors gênés par le succès populaire de séries qui leur semblaient ineptes et vulgaires, se sont mis à revendiquer des séries “ de qualité ”, répondant à leurs aspirations. Dès lors, il n’était plus possible de produire des séries « innocentes », qui ne visaient qu’à distraire, éduquer ou plus généralement raconter des histoires. Les séries savent maintenant qu’elles relèvent d’un histoire. Elles se pensent en tant que séries, elles sont conscientes d’elles-mêmes. La série « savante » est née.

Les québécois, qui fréquentent depuis toujours la télévision américaine et qui, ne l’oublions pas, ont été des pionniers dans l’histoire de la vidéo, savent ce qu’il en est.

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 Série Noire

À ma connaissance, Série Noire est, avec Episodes, l’une des premières séries à prendre pour sujet les séries télévisées. C’est en cela qu’elle joue un rôle historique. Le cinéma a toujours parlé de lui-même. De Hellzapoppin à La Nuit Américaine en passant par Sunset Boulevard, quantité de films ont bâti le mythe. Le mythe de la télévision commence à se bâtir à son tour. Mais si la première pierre en est Série Noire, nous aurons eu la chance de commencer par un joli pied-de-nez.

Série Noire raconte l’histoire de deux scénaristes auteurs d’un feuilleton lamentable. Exécutés par la critique et eux-mêmes consternés par leur absence de talent, ils sont contre toute attente poussés par leur productrice à rédiger une seconde saison en raison du succès public. Suivant l’exemple américain, les deux malheureux vont s’immerger dans la réalité pour expérimenter ce qu’ils feront vivre à leurs personnages et retracer des situations parfaitement réalistes. C’est The Wire tourné en dérision.

Avoir choisi des scénaristes pour héros tombe sous le sens puisqu’ils sont reconnus comme les auteurs des séries (au détriment des réalisateurs), avoir portraituré la productrice en patronne de PME familiale est très drôle, le personnage de l’acteur cabotin est tout à faut réussi et les dialogues (qui exigent une attention soutenue en raison de l’accent et du vocabulaire), sont d’une cocasserie légère et chaleureuse. À cela s’ajoute quelques trouvailles telle que l’intervention ponctuelle d’un commentaire qui aggrave la la fausseté des scènes, assimilées Dés lors à une sorte de “ roman-photo ”.

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La comédie avait jusqu’ici élu domicile dans ce qui héritait du théâtre de boulevard et du music-hall : le sit-com. Qu’elle prenne pied dans le feuilleton, et avec cette qualité, n’est certes pas une mauvaise nouvelle.

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Épisodes

Épisodes a précédé Série Noire de peu, mais dans un autre registre, plus vif, certainement, mais aussi plus conventionnel. Ici, c’est un couple de scénaristes britanniques qui, ayant remporté un prix en Grande-Bretagne pour leur sitcom Lyman’s Boys, se voient proposer par un producteur américain de reproduire leur série à Los Angeles. Soit. À partir de cette mince trame, on imagine aisément les développements : mirage d’Hollywood et avalanche de quiproquos, gaffes, désillusions et incompréhensions. Les américains savent parfaitement se moquer d’eux-mêmes et mettre en scène leurs travers et ceci avec d’autant plus de jubilation qu’ils composent avec leurs vieux complices anglais. La sitcom originale sera peu à peu vidé de son sens au profit d’arguments plus commerciaux, telle la longueur de la minijupe d’une actrice ou le renom d’une vedette. Aucun cliché ne nous est épargné, aucun gag à répétition, aucun “ truc ” scénaristique : la somptueuse villa n’est en réalité qu’un décor pour émissions de télé-réalité, avec colonnes en polystyrène, le producteur est insensible et inculte, sa responsable des comédies ne fait que grimacer, le vieil acteur anglais, titulaire du rôle, est éjecté au profit d’une vedette de sit-com américaine, le gardien à l’entrée de leur somptueuse villa hollywoodienne ne parvient jamais à reconnaître les deux héros, en revanche, lorsque Matt LeBlanc, la vedette de télévision, se présente, il le salue et lui ouvre la grille, etc, etc…

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Il faut dire que la production connaît son sujet : David Crane, le co-auteur de Episodes, fut autrefois le co-auteur de la sit-com Friends et Matt LeBlanc, la vedette de Friends, interprète ici son propre rôle. Rien de la standardisation américaine ne leur échappe, ni de la caricature de la caricature.

La critique portée par Episodes envers le système qui l’a produite reste ainsi à la surface des choses, sans réelle conséquence sur la galaxie de clichés dont Hollywood aime se parer. Une sitcom peut-être réellement remettre en cause les sitcoms ? Sans doute pas, tant qu’elle recourt au même langage.

 

Le langage du maître

Éloge et dérision du ratage pour Série Noire, affres du succès pour Episodes, ces deux séries, aux antipodes l’une de l’autre, se répondent étrangement. Au fond, sous ses dehors de comédie enlevée, à l’américaine, la seconde est la plus tragique : tout y est faux, les rapports humains comme les décors, tout y est en toc, à commencer par la « réussite » sociale. La première, à l’inverse, conserve une foi en ce qu’il y a de plus minable, de plus dérisoire en chacun, en un mot : de plus humain.

Mais qu’en est-il du propos sur les séries elles-mêmes puisqu’elles sont le sujet ? La question se pose simplement : Peut-on porter la critique envers à un discours en utilisant le même langage ? Il me semble que Série Noire, grâce à son décalage, son humour aigre-doux et surtout son choix de transposer l’histoire dans un autre registre, en recourant à des moyens inattendus, parvient sinon à une critique radicale, du moins à un pastiche efficace.

 

Série Noire est un feuilleton créé par François Létourneau et Jean-François Rivard, diffusée en 2014 sur Radio Canada et interprété notamment par : François Létourneau, Vincent-Guillaume Otis, Édith Cochrane, Caroline Bouchard…

Épisodes est un feuilleton créé par David Crane and Jeffrey Klarik et diffusé sur Showtime et BBC Two en 2011. Il est interprété par Matt LeBlanc, Stephen Mangan, Tamsin Greig, John Pankow, Kathleen Rose Perkins, Mircea Monroe…

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