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De la sainteté à l’ère numérique

The Code

 

Albert Robida, graveur, éditeur, écrivain, dessinateur, mettait ainsi en scène la femme de Philoxène Lorris, le grand inventeur du téléphonoscope, une télévision interactive : “ J’en ai assez de vos scènes incessantes ! J’en ai assez, enfin, de votre surveillance par Télé ou par phonographe ! Savez-vous que vous m’insultez avec toutes vos machines qui notent mes faits et gestes ; je ne peux plus supporter ces façons ! ” Ce fragment de La Vie Electrique date de 1890, soit quarante ans avant l’invention de la télévision et quatre vingt cinq ans avant préliminaires d’Internet. Puissions-nous réagir aussi sainement que cette dame et nous offusquer de l’irrespect des systèmes de surveillance.

The Code

Albert Robida, le moqueur, a disparu des mémoires au profit de Jules Verne, le thuriféraire de la technologie. Résultat : nous sommes sous contrôle et nous ne nous en offusquons plus. Sous contrôle de qui, de quoi, impossible de le savoir vraiment. De la NSA, administration d’Etat, à Google, société privée, tout une nasse invisible nous enserre.

Que dit à ce sujet The Code, série australienne récemment diffusée sur ARTE ? Elle dit que les sociétés capitalistes de l’âge du numérique sont des sociétés autoritaires où les individus sont surveillés, contrôlés et où les puissances financières régulent la marche du monde. Pour appuyer cet aspect des choses, l’action est montrée à intervalles réguliers du point de vue de caméras de surveillance. Mais au-delà, le récit tout entier se concentre sur le jeu du chat et de la souris que se livrent hackers et services de sécurité sur internet.

The Code

Rien de très original dans cette rapide description des lieux à l’âge de la globalisation numérique. Chaque mois une nouvelle affaire d’espionnage des populations éclate, Snowden est toujours en Russie, Julian Assange réside toujours à l’ambassade d’Equateur à Londres, Chelsea Manning a encore devant elle 33 années de prison. L’époque où un Daniel Ellsberg pouvait l’emporter au nom de la liberté d’expression semble définitivement résolu. Le plus inquiétant est que nous l’acceptions si facilement, contrairement à une Mme Lorris.

Dans le Libération du 27 février 2015, Camille Gévaudan n’économise pas les sarcasmes à l’égard de cette série et de la représentation du hackers et d’internet qui y est faite. Selon elle, les créateurs de The Code seraient fascinés par la jeune génération, bien plus pointue que l’ancienne en matière d’informatique, et auraient peiné à produire une esthétique à la hauteur. “ Quels que soient les effets visuels déployés, écrit-elle. l’informatique ne sera jamais sexy ”. Soit.

The Code

Dès lors une question se pose : qu’est ce qui serait “ sexy ” dans le réel ? Le travail ? Les relations sociales ? Les tribunaux ? Les transports en commun ? L’hôpital ? Les routes ? Les postes de police ? Les cimetières ? Les églises ? La guerre ? La politique ? Pourtant, cela nous a donné, dans l’ordre : Mad Men, Desperate Housewives, Ally McBeal, L’Abonné de la Ligne U, Urgences, Route 66, The Fall, 6 Feet under, The confession, Over*There, Borgen, autant de fictions formidablement “ sexy ” ou, plus vraisemblablement, tout à fait passionnantes. Le travail du cinéma et de la télévision n’a jamais été de donner une représentation des conducteurs de train qui satisfasse les conducteurs de train mais de traduire, de transférer le métier de conducteur de train dans un registre commun, c’est à dire qui soulève des questions universelles. C’est même à cela que sert l’esthétique. Et c’est ainsi que Renoir réalise la Bête Humaine et que cette bête est à la fois la locomotive humanisée et son conducteur déshumanisé et que le bruit des chaudières et des pistons envahit chaque plan et que les fumées des locomotives à vapeur grisaillent jusqu’au ciel.

On se moque que les hackers passent leurs nuits devant des écrans sinistres. Ce qui nous intéresse, nous autres, c’est que le hacker pénètre dans des dossiers secrets et en révèle le contenu au monde, créant au passage un scandale planétaire. Que cela lui prenne des semaines ne nous intéresse pas vraiment. Cela ralentirait même sérieusement le rythme.

The Code

Camille Gévaudan aurait dû s’arrêter sur une facilité bien plus condamnable, qui ne relève pas de la véracité et ne relève pas du stupide conflit des jeunes contre les vieux où les jeunes ont déjà gagné parce que les vieux sont déjà morts. Cette facilité est plus idéologique et revient comme un leitmotiv dans les séries américaines. Elle postule une foi inébranlable dans le pouvoir de la vérité.

Il y a donc complot dans cette histoire. Complot des puissants, politiciens et capitalistes, qui dissimulent leurs méfaits au peuple. Un journaliste enquête, avec l’aide de son frère hacker dépressif. Ils finissent par découvrir la vérité et, à l’aide d’un petit groupe, répandent largement l’information. Victoire, le peuple connaît la vérité, les coupables doivent plier bagage.

L’idée très américaine qui veut que la libre expression suffit à contenir la tyrannie, fonde de toute éternité le rôle démocratique de la presse de ce côté du monde. Que cette presse soit propriété d’un Murdoch, pour ne citer que lui, importe peu. Comme si, en France, on imaginait que Le Figaro, propriété de Dassault, ou TF1, Propriété de Bouygues, soit les remparts de la démocratie… La leçon donnée par le New York Times à l’époque du Water Gate reste dominant.

Les scénaristes de The Code ont dû percevoir les limites de leur propos puisqu’ils ont attribué le rôle du chevalier blanc non à un grand quotidien mais à un site d’informations de troisième zone. Internet se substitue ici aux médias traditionnels, il est à la fois l’outil qui permet de découvrir la vérité et celui qui permet de la divulguer. C’est, semble-t-il, l’arme absolue en l’état actuel de la démocratie. On peut en douter.

IL faudrait qu’un sociologue se penche sur les rapports entre ce populisme et le protestantisme. La défiance constitutive envers tout pouvoir, perçu comme forcément occulte et porté à la tyrannie, et d’autre part la croyance en la puissance de la vérité directement transmise au peuple me semble avoir partie liée avec une religion qui s’est affranchie du Vatican, a privilégié le rapport direct de chacun avec le Créateur et s’est organisé à partir de communautés égalitaires.

Quoiqu’il en soit, transposées dans le contexte européen, ce sont là des idées qui, aussi, sous-tendent l’inlassable discours complotiste de l’Extrême-Droite.

The Code

Néanmoins, tout ceci ne se fait pas sans personnages et les personnages qui nous importent ne sont pas totalement lisses. Des deux hackers qui tiennent la vedette l’un est visiblement perturbé, l’autre, une immigrée, est tenue en laisse par les autorités. Pour l’un comme pour l’autre, il semble qu’il existe un univers plus réel ou du moins plus facilement fréquentable de l’autre côté des écrans. Qu’ils soient tous les deux en marge est à la fois une banalité et un indice. Banalité parce que la marginalisation des geeks, rivés à leurs écrans, est communément perçue comme une désocialisation plutôt que que comme une socialisation différente. Indice parce que c’est par eux, les marginaux, les désocialisés, que la vérité advient. Où plutôt, c’est à eux qu’est délivrée la vérité. Et cela au prix de la souffrance que les autres ne se privent pas de leur infliger. Ne tenait-on pas le même discours vis-à-vis des anachorètes ?

De là à voir dans ces étranges geeks des sortes d’ermites de la globalisation numérique, presque des saints, il n’y a qu’un pas minuscule…

 

The Code est une série australienne crée par Shelley Birse et diffusé sur ABC1 en septembre-octobre 2014. Elle est interprétée notamment par Dan Spielman, Ashley Zukerman, Adele Perovi, Chelsie Preston Crayford, Paul Tassone, Lucy Lawless, Aaron Pedersen…

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