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La seconde fois

 

Les séries ont des vies comme les nôtres. On dit parfois que la première saison d’une série est sa mise en place, comme son enfance. Récit, personnages, cadre, rythme, esthétique s’élaborent, se calent, se cherchent. La deuxième saison, qui serait comme une maturité, développe le récit à partir de ce qui a déjà été éprouvé, les scénaristes gagnent en confiance et en liberté. On dit aussi qu’à la troisième, celle où les habitudes se font sentir, la série peut s’essouffler et se répéter.

De telles évidences, évidemment, s’effondrent devant tous les contre-exemples qui ne manqueront pas d’accourir à l’esprit. Même 24 (heures chrono) dont la mécanique narrative était devenue si visible dès la deuxième saison, a tenu sur le même rythme pendant 7 ans, ne produisant aucune lassitude mais bien au contraire ce plaisir propre aux séries : celui de la répétition, celui de retrouver chaque chose à sa place, en conformité avec ce que l’on attend d’elle. Et je ne remonte pas à des succès planétaires comme Dallas ou son équivalent contemporain, Game of Thrones, dont l’intérêt ne résidait ou ne réside certainement pas dans l’inventivité.

Pierre Sérisier, sur son excellent blog du Monde, affirme au contraire que : ‟ La saison 2 est toujours la plus difficile. C’est avec elle qu’une série commence à s’inscrire dans la durée, qu’elle vérifie la pertinence de son concept, la profondeur de son intrigue, la complexité de ses personnages et ses perspectives d’évolution. Réussir une excellente première saison n’est jamais une garantie sur l’avenir. Loin de là. ”

Ainsi, selon lui, la première saison ne serait qu’une ‟générale”, pour parler comme au théâtre, et tout l’enjeu narratif, esthétique, symbolique, financier, logistique d’une série se jouerait plus tard, lors de sa reprise. Car à condition qu’il y ait une deuxième saison et que la série ne finisse pas tout droit au cimetière des chefs d’oeuvres étranglés au berceau, ce serait en effet là, au redémarrage d’un récit après un an de pause, que s’abattent les cartes.

Peut-être conviendrait-il de moduler cette opinion ou du moins l’éprouver auprès d’exemples. Par définition, une série ne répond qu’à une seule question : ‟ Et après ? ” Cela ne veut pas dire qu’elle n’aborde pas quantité de sujets ou ne pose quantité de problèmes mais, en tant que série, structurellement, elle est ne connaît qu’un dieu : la Continuité.

Or ce ‟ Et après ?” ne se pose jamais si clairement qu’à chaque reprise, après la longue interruption qui a rompu le charme. Dès lors que cette série est un feuilleton, c’est à dire une histoire continue qui se poursuit d’épisode en épisode, une saison 2 devrait reprendre là où l’on s’est arrêté, rappeler l’essentiel et laisser croître les germes plantées à la première saison. C’est n’est pas toujours le cas.

Les trois exemples qui suivent ont été choisis parmi les séries actuellement les plus suivies.

titre bureau des légendes

Le bureau des légendes, un héros submergé

Le Bureau des Légendes est le nom (inventé) qui désigne une section de nos services secrets chargée de placer des agents sous couverture à l’étranger. Nous avions laissé le héros, Guillaume Debailly, alias Malotru, grimpé en grade mais englué dans un double-jeu aux allures de trahison en bonne et due forme. De retour d’une longue mission en Syrie, il n’avait pu se défaire de sa couverture, le personnage de prof qu’il incarnait là-bas ni surtout de la liaison nouée avec la femme d’un dignitaire du régime. L’amour au détriment du devoir, pari vain dont l’inéluctable résultat nous a déjà été conté par Corneille en son temps.

Bureau malotru

L’an passé, à bout de ressources, Debailly a offert ses services à la CIA dans l’espoir que celle-ci parviendrait à faire libérer sa maîtresse, désormais prisonnière de la dictature.

Cette seconde saison confirme à la fois les qualités et les défauts de la série mais elle s’attache surtout à développer les personnages secondaires esquissés l’année précédente. Ceci au point que leurs histoires individuelles empiètent nettement sur le récit consacré au héros, Dailly qui, lui, n’évolue plus. Certes, il finit par faire libérer sa belle, mais leur relation est brisée par trop de dissimulations et de souffrances. Parallèlement, ce donc sont les aventures de Marina Loiseau, une agent sous couverture en Iran, de Marie-Jeanne Duthilleul ex-référence de Debailly et maintenant référente de Marina, de Raymond Sisteron, analyste expédié sur le terrain et enfin l’apparition de la jeune Céline Delorme qui nous occupent. La série devient chorale, provoquant ainsi un sérieux effet de ralentissement. Les récits secondaires, tous soigneusement liés au récit principal, enflent et tendent à prendre toute la place. A-t-on encore envie de suivre de Guillaume Debailly ? Ne serait-on pas davantage sollicité par Marina, par Céline, par Raymond ? À quel fil doit-on se retenir ?

Marina

Les scénaristes ont pris un risque et conscients de leur audace, ils ont veillé à ce que l’atomisation du récit soit contenue en liant ces différentes trames. Cela ne suffit malheureusement pas à effacer l’impression de piétinement du sujet qui est censé nous tenir en haleine, celui de Debailly.

Dès son premier épisode, une série pose les conditions du récit. Elle passe un pacte avec le spectateur. Les personnages peuvent évoluer mais l’organisation collective, c’est à dire le système de relations des personnages entre eux, est quasi-immuable. Ou du moins, n’évolue-t-elle que très progressivement. Avec Le Bureau des Légendes, d’une saison à l’autre, on passe d’un récit organisé autour d’un individu, à un récit éclaté entre cinq ou six. Le sevrage est brutal.

C’est pourquoi, on voit mal comment poursuivre ce Bureau des Légendes sans sacrifier Debailly, ce héros qu’on aura laissé se dissoudre et dont le spectateur a finit par se lasser.

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Second écueil sur lequel bute Le Bureau des Légendes : Ce moralisme dont la télévision française ne parvient à se débarrasser. Le Bureau des Légendes aligne des personnages qui, tous, du moins côté français, restent exemplaires. Même le traître, Debailly, est mû par une raison noble : l’amour. Même l’autre traîtresse, la psy qui s’est vendue elle-aussi à la CIA, ne le fait qu’en mémoire de son mari mort dans les Twin Towers, le 11 septembre. Tous les autres agents sont à l’avenant : désintéressés, courageux, droits. Pas un seul salopard. C’est décourageant. On n’a pas besoin de modèles, on a besoin de personnages dans lesquels se reconnaître, qualités et défauts confondus. D’ailleurs, qui a dit: ‟ Plus le méchant est réussi, plus le film est réussi ” ? Hitchcock, non ? Alors…

Dans le même genre, les britanniques nous avaient époustouflés dix ans de suite avec Spooks. À l’exception de deux, les personnages changeaient – parfois brutalement – mais la structure collective restait tenue et d’une densité exceptionnelle. Cette cohésion permettait aux personnages d’évoluer mais surtout, elle garantissait une continuité en cas de rupture, comme lors de la disparition d’un des personnages. C’est aussi qu’il y avait un réel propos dans Spooks, notamment la dénonciation de la lâcheté ou de l’aveuglement de responsables politiques qui laissent aux fonctionnaires le soin de gérer les conséquences parfois désastreuses de leurs décisions. Les espions n’avaient pas à être moralement exemplaires ou pas, ils faisaient leur travail d’espions. Comme de simples fonctionnaires, donc comme des individus interchangeables, dont on se sert et que l’on oublie après usage.

Sans doute manque-t-il au trop sentimental Bureau des Légendes un tel tranchant.

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Wayward Pines, sacrifier pour mieux continuer

Wayward Pines s’offre un saut dans le temps entre sa première et sa seconde saison. Plusieurs années sont éclipsées. Ethan Burke et David Pilcher, les deux figures principales, sont morts et les deux autres, Pam Pilcher et Megan Fisher, désormais marginalisées, ne surviveront guère. Pour rappel, Wayward Pines dépeint d’un village dans lequel se retrouvent des personnages de notre époque, certains volontaires, d’autres kidnappés, deux millénaires plus tard, alors que l’humanité s’est réfugiée dans cette nouvelle arche de Noé, cernée non par les flots mais par de dangereux ‟ abbies ”, humanoïdes dégénérés et dangereusement féroces, nés de la destruction l’environnement.

WP Abby

Règne en cette nouvelle saison une nouvelle génération, appelée la Première Génération puisqu’il s’agit de jeunes gens nés à Wayward Pines et qui n’ont donc rien connu d’autre. Sans grande inventivité, les scénaristes font de ces jeunes gens des émules de Mussolini : uniformes, militarisation, hiérarchie, discours simplistes, répression brutale des opposants, parjure, tout cela sous prétexte de l’état de guerre permanent contres les Abbies.

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Certes, auparavant, sous le règne du gourou autocrate Pilcher, les exécutions allaient bon train mais au moins, l’autocrate cherchait-il à convaincre de sa politique. Et nous, spectateurs, étions placés face au dilemme vécu par son opposant, Ethen Burke, parachuté du passé contre son gré, qui devait s’opposer à la tyrannie au moment où il en découvrait les raisons : protéger la population de la menace extérieure.

La question de la démocratie confrontée à la guerre est aussi vieille que la démocratie mais elle est résonne fortement en des temps où des fanatiques se font exploser dans nos villes. On comprend la mentalité de forteresse assiégée, la nécessité du mur d’enceinte électrifié, même si l’artificialité d’une vie aussi carcérale n’a rien d’enviable. Le choix, au cours de la première saison, se posait entre la démocratie et la survie de l’espèce.

Elle ne se pose plus avec la deuxième saison. Au contraire, elle s’inverse. Le successeur d’Ethan Burke est un médecin, Theo Yedlin, lui aussi arraché à son époque. Protégé par ses compétences, il jouit d’une relative autonomie et devient rapidement convaincu que les Abbies ne sont pas seulement des monstres. Ils sont capables de se sacrifier pour la réussite collective, d’éprouver des sentiments, de communiquer avec nous. Ces découvertes se heurteront aux méthodes plus expéditives des maîtres de la ville, dont l’absence de projet devient rapidement flagrante. On se résout finalement à l’eugénisme. La forteresse assiégée n’a aucun avenir possible. Les murs, quoi qu’en disent ceux qui en édifient pour se protéger de la réalité, ne servent à rien.

Cité WP

Wayward Pines aura ainsi réussi à prolonger le postulat de départ, en sacrifiant ce qui faisait le sel de la première saison (le mystère de cette ville semblable au village du Prisonnier), en remplaçant l’essentiel des personnages et en nous entraînant d’une position idéologique (la forteresse assiégée) à son opposé (la possibilité d’un dialogue) sans sacrifier le cœur du récit : l’aventure d’une arche humaine à la dérive sur sa propre planète, devenue hostile.

Wayward Pines est une série dialectique.

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Unreal, une saison de transition

Ce qui tombe bien, avec Unreal, c’est que l’histoire traite d’une émission de télé-réalité diffusée une fois par an au rythme d’une épisode par semaine durant 10 semaines. La série est donc chronologiquement en phase avec son sujet.

En introduction à la nouvelle saison d’Everlasting, puisque c’est le nom de cette déclinaison du Bachelor, les deux héroïnes, Quinn, la productrice exécutive et son adjointe Rachel se font tatouer sur le poignet : ‟ power, dick, money ” (le pouvoir, le sexe, l’argent). Quinn ayant réussi a éliminer le créateur de l’émission, son mari, et prendre la responsabilité de l’émission, Rachel, ayant été promue, les deux femmes assument leur pouvoir en adoptant une devise ostensiblement machiste.

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Pour le première fois et conformément aux vœux de Rachel, le nouveau candidat sera un afro-américain. Des femmes aux manettes et un noir en vedette, ne serait-ce pas petite révolution dans le business de la télévision. C’était du moins l’intention des créatrices, Marti Noxon et Sarah Gertrude Shapiro

Ces bonnes intentions n’ont pas empêché la critique française de tomber à bras raccourcis sur cette saison, accusée de ne pas mener son projet à terme. Que nous dit en effet Unreal des discriminations sexuelles et raciales ? Pas tant que cela, peut-être. A moins de prendre en compte le portrait à charge de l’indécrottable phallocrate Chet, l’ex-mari de Quinn. Quand au candidat noir, il n’est pas seulement noir, il est quaterback dans une prestigieuse équipe de football américain, ce qui lui confère un statut beaucoup plus enviable que celui de la majorité des afro-américains. On lui offre une douzaine de jouvencelles dont, pour le piment, une texane raciste et une intellectuelle, militante des droits des noirs. Mais cela a dû paraître insuffisant même aux scénaristes puisqu’elles ont jugé bon d’ajouter un épisode de bavure policière pour étoffer la question de la discrimination raciale.

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Néanmoins, ce dont souffre Unreal numéro 2 relève davantage d’un sensible manque de cohérence et d’équilibre que d’une difficulté à assumer ses enjeux. Cette série se fondant sur d’incessants rebondissements, on avait pris l’habitude de voir les situations se retourner comme des gants. La vivacité du récit ne laissait pas le temps d’y réfléchir trop. Cette fois, ils confinent (parfois) à l’indigeste.

Plus problématique est le déséquilibre entre les personnages. Si l’histoire est menée par une paire d’héroïnes, cela n’empêchait pas jusque là les hommes de tenir leur place, soit en rivalisant avec elles, soit en leur assénant leurs quatre vérités. Cette année, les personnages masculins sont devenus transparents. Jeremy, le chef opérateur ex-petit ami de Rachel, Darius Hill, le ‟ prétendant ”, Chet, le créateur de l’émission et ex-mari de Quinn, John Booth, le milliardaire et nouveau flirt de Quinn, sont marginalisés ou manquent cruellement de consistance. Le seul a véritablement tenir tête au couple infernal Quinn-Rachel est un jeune producteur, Coleman, dont on devine rapidement qu’il est bien trop tendre pour ne pas finir haché menu.

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Néanmoins, en dépit des handicaps décrits, cette saison comporte aussi les germes de ce qu’elle pourrait devenir et c’est pourquoi il faut la voir comme une saison de transition. C’est entendu, les hommes sont des poids morts dont il faut se débarrasser. Mais ce qui tend à occuper, d’abord souterrainement puis peu à peu plus évidement, tout l’espace est l’amour de Quinn et de Rachel. Ce sont elles le vrai couple et elle l’ont toujours été. On ne sait à quel point cet amour est composé de sentiments maternels et filiaux, d’admiration profonde ou de complicité intellectuelle, mais il est certain que l’apparition de très destructrice mère de Rachel et la réaction de Quinn qui, pour la première fois, semble craindre un adversaire, place définitivement la narration sous cet angle.

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Tout est faux dans l’univers d’Everlasting. Rachel le répète, c’est un spectacle, rien de plus : fausse gondole sur un faux lac, fausses prétendantes, faux champagne, fausses amourettes, fausses tragédies, mais il touche des millions de spectateurs qui, à travers ce faux généralisé, sont amenés à reconsidérer leurs idées sur la séduction, le rapport des hommes et des femmes, ou, cette fois, sur la discrimination. Surtout, il y a cette paire de femmes qui est en réalité un couple et qui énonce, sans y paraître, la violence des sentiments.

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La seconde fois ?

Les séries ont des vies comme les nôtres, disais-je en introduction. Elles passent de l’enfance à l’adolescence et celle-ci n’est évidemment pas une seconde enfance. C’est au contraire une sortie de l’enfance, l’âge d’autres découvertes, d’autres expériences.

Il n’y a jamais de seconde fois dans une vie. Comme il n’y a jamais de seconde fois à la télévision. Seulement des évolutions entre des états supposés plus stables et qui, vraisemblablement, ne le sont guère davantage. Chaque adolescence est unique et il ne faut jamais laisser dire qu’elle est l’âge le plus ingrat de la vie.

Note :

1(Juste pour le plaisir, ce dialogue entre une jeune accouchée et Pilcher, au moment où elle évoque son désir de visiter Paris :

– ‟ Je lisais Proust, vous connaissez ? C’est du genre vraiment ennuyant. Il y a douze livres et il se sent obligé de tout décrire mais quand il le fait bien… C’était juste d’avoir mordu dans un cookie qui a tout déclenché.

– Une madeleine.

– Oui, c’est ça ! J’ai dû chercher ce que c’était. Et les souvenirs sont revenus, ils l’ont submergé… Juste en ayant mordu dans une madeleine…

– Oui…

– Je veux avoir de tels souvenirs. Pour remplacer ceux que j’ai. Mais d’abord j’ai besoin d’avoir une vie.

– Peut-être en auras-tu une. Peut-être une totalement différente.

– Ou peut-être ne quitterai-je jamais l’Idaho. ”)

Wayward Pines est un feuilleton américain crée par Chad Hodge et la première saison a été diffusée en 2015 sur Fox. Il est interprété notamment par : Matt Dillon, Carla Gugino, Toby Jones , Shannyn Sossamon, Reed DiamondJason PatricDjimon HounsouHope Davis, etc…

Le Bureau des légendes est un feuilleton français créée par Éric Rochant diffusé depuis le 27 avril 2015 sur Canal+. Il est interprété notamment par Mathieu Kassovitz, Léa Drucker, Jean-Pierre Darroussin, Sara Giraudeau, Zineb Triki, Florence Loiret-Caille, Pauline Étienne, Jonathan Zaccaï …

Unreal est un feuilleton télévisé américaine créé par Marti Noxon et Sarah Gertrude Shapiro d’après le court métrage Sequin Raze de Shapiro et diffusée depuis juin 2015 sur Lifetime. Il est interprété notamment par : Shiri Appleby, Constance Zimmer, Craig Bierko,…

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