Chronos dans son miroir
“In historical research, if you put any event under a microscope, you will find a whole dimension of completely weird, incredible things going on. It’s as if there’s the macro level of historical research, where things sort of obey natural laws and the usual things happen and unusual things don’t happen, and then there’s this other level where everything is really weird.”
Josiah Thompson (au sujet de la position d’Updike)
Stephen King a traité de manière si désinvolte le début et la fin de 11.22.63 qu’on en vient à croire que son sujet n’était qu’un prétexte. Pourtant, le sujet, sans être extraordinairement original, avait des atouts indéniables puisqu’il touchait à l’un des grands thèmes de l’imaginaire collectif : L’assassinat de Kennedy, source de tout les complotismes, acte fondateur de la modernité (avec les premiers pas sur la Lune).
Seulement Stephen King n’a pas écrit un scénario mais une simple règle du jeu : à l’instigation d’un vieil ami, Jake se retrouve projeté en 1960. “Sauve JFK et tu sauves aussi Bobby Kennedy [son frère assassiné en 1968] ; JFK reste président et Lyndon Johnson ne se retrouve pas engagé au Vietnam ; tous ces soldats ne meurent pas et c’est le destin de toute une génération déchirée et tourmentée qui s’en trouve modifié.” Jake a donc trois ans devant lui pour empêcher l’assassinat de Kennedy. S’il revient dans le présent, seulement deux minutes se sont écoulées. S’il retourne dans le passé, ce sera toujours au même instant en 1960 et son retour effacera tout ce qu’il a fait lors de son voyage précédent. Le passé lui résiste : dès lors qu’il perturbe trop le passé, ses actes rencontrent une opposition violente.
Le thème du voyage dans le temps permet des récits d’autant plus excitants que la logique y est impérative. Stephen King lui-même réussi à se prendre à son propre piège : juste à l’instant j’évoquais l’opposition que rencontre le personnage dès lors qu’il tente de trop perturber le passé. Ce peut être un plafond qui s’écroule ou une voiture qui tente de l’écraser. Imaginons, qu’il ne réagisse pas à temps : il serait tué en 1960 alors qu’il est né dans les années 80. Contradiction ingérable même pour la physique quantique.
A la réflexion, cet aspect de l’histoire est d’ailleurs celui qui pose le plus de problème. Le passé semble doté d’une conscience de lui-même et d’un instinct de sauvegarde, ce qui est une façon très étrange de le considérer, bien trop spiritualiste. Chronos est mort avec les Grecs anciens.
Stephen King semble aussi gêné dans sa conclusion, résumée dans un ultime épisode, de façon élégante par certains aspects mais beaucoup trop condensée. Trop d’informations dont le spectateur aurait eu besoin sont escamotées. Le sauvetage de Kennedy n’a pas eu les effets escomptés. Il faut tout effacer. La frustration est inévitable. Tout comme d’ailleurs celle de ne pas en apprendre davantage ni sur les détails de l’attentat ni sur les motivations d’Oswald ou celle de voir la série soigneusement éviter toute interprétation de l’évènement, comme aurait su l’assumer (et l’a assumé) un Oliver Stone.
Néanmoins, tout jeu vaut davantage pour son développement que pour son prétexte (les règles du jeu) ou sa conclusion (qui a gagné?). La matière de la série, sa chair, est constituée de petites histoires qui émaillent chaque épisode, souvent touchantes, la plupart du temps réussies, et qui ne cessent de dénoncer l’Amérique de cette époque, raciste, cul-bénie, obtuse, stupidement patriotique. Une Amérique que l’on a certainement pas envie de retrouver et dont l’assassinat de Kennedy (des deux Kennedy puis de Martin Luther King, pour être exhaustif) marque le début de la fin.
Au fil de ces petits récits, qui voient notre personnage avancer pas à pas vers le fatal 22 novembre 1963, se déploie l’histoire d’amour qu’il noue avec une collègue. Une histoire d’amour pour souder le tout ? L’originalité n’est pas le fort de cette série, on l’a déjà souligné. Mais comment résister à une histoire d’amour ? Ou plutôt comment s’y laisser prendre tout en ne la comprenant pas tout à fait. Les différences culturelles font barrière. Comment s’expriment les sentiments entre des amis, entre un père ou une mère et un enfant, entre deux amoureux dans la culture américaine ? Quels mots, quels gestes utilise-t-on ? Ceci, nous le découvrons à la lumière des réactions d’un américain contemporain projeté dans le passé, donc choqué ou amusé par des comportements et des coutumes qui lui paraissent dépassés. Ce n’est pas la moindre qualité de 11.22.63 que de nous éveiller, aussi, à cette anthropologie de l’intime.
Enfin – et ce n’est pas le plus passionnant -, mais les scénaristes se sont visiblement amusés à le faire, on ne peut échapper à quantité de clins d’oeil que cette série réserve aux connaisseurs de l’affaire Kennedy. Cela va de la présence de ‟ l’homme au parapluie ‟ sur la pelouse de Dealey Plaza et d’un autre qui filme (Charles Bronson ? Dave Wiegman?) à la prise de vue aérienne similaire à celle de Patsy Paschall (clignotement du film 8mm compris), ou à des répliques d’Oswald mises dans la bouche du héros (les fameuses ‟ tringles de rideau ” qu’Oswald prétend transporter dans un emballage qui contient en réalité sa carabine), etc… Il faut bien que les scénaristes s’amusent, eux-aussi, de temps à autre.
11/22/63 est une mini-série télévisée américaines basée sur le livre de Stephen King 22/11/63. Elle est produite par J.J.Abrams et Stephen King. Elle est interprétée notamment par : James Franco, Sarah Gadon, Daniel Webber, Chris Cooper, George MacKay et Lucy Fry.
PS :
Ce que l’on ne saura pas, en revanche, est que l’idée d’un voyageur dans le temps qui interviendrait pour empêcher l’assassinat de Kennedy avait été formulée bien avant Stephen King dans un roman de Ken Grimwood, Replay, publié en 1986, prix World Fantasy du meilleur roman 1988.