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Medellin est tout petit pour ceux qui s’aiment d’un si grand amour

 

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Seconde et dernière saison de Narcos, du moins en ce qui concerne les aventures de Pablo Escobar, parrain du Cartel de Medellin et donc plus grand trafiquant de cocaïne au monde. La première saison nous avait décrit son ascension, la suivante, s’il y en a une, s’attachera à nous présenter d’autres fâcheux. Comme je l’avais écrit dans un précédent article, toute la difficulté d’une série de ce type, tient dans l’équilibre à trouver entre la vérité historique et la fictionnalisation des faits. Lors de la première saison, cette obligation freinait la progression du récit et, cette fois encore, les quatre ou cinq premiers épisodes peinent à la tâche. Il peinent à atteindre ce qui leur permettrait d’ ‟ enclencher ” la fiction. Le choix d’un narrateur, l’agent de la DEA Murphy, sans aspérité et tout entier à sa fonction, n’est pas de nature à donner prise au drame. D’ailleurs, l’idée de lui faire introduire chaque épisode par une déclaration ‟ hard boiled ” en voix off tombe à plat tant elle dépareille avec un personnage qui n’a rien de la distance désabusée d’un Bosch ou d’un Sam Spade, pour ne citer qu’eux.

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Pour aggraver la difficulté, tout le début de la saison voit la DEA* mise de côté du fait d’une réorganisation de l’ambassade américaine et ses agents réduits au rôle de spectateurs. Le salut vient du collègue de Murphy, Peña, qui, rongé par l’inactivité, s’offre quelques sérieux écarts aux ordres et à la morale. Il s’associe secrètement avec un gang de Cali, rival d’Escobar, lui procure des informations classées secrètes et laisse les narco-trafiquants s’entretuer. Parallèlement pointe la CIA, grande spécialistes des coups tordus en Amérique latine aux époques Nixon et Reagan. À son initiative, un escadron de la mort, jusqu’alors cantonné à la lutte contre la guerilla communiste, apporte aux rivaux d’Escobar les forces militaires qui leur font défaut. La chute d’Escobar devient fatale. Et c’est alors que porté par ces deux personnages, l’agent de la DEA en rupture de ban et le baron de la drogue sur le déclin, le récit trouve enfin sa dimension tragique. Nous suivons maintenant deux personnages complexes, écartelés l’un entre son devoir et son objectif personnel, l’autre entre l’illusion de sa puissance et l’inexorabilité de son destin. Ils ne se trouveront pas mais se frôleront parmi les ombres. Plus Escobar s’enfonce, plus il devient humain, au point qu’à son corps défendant on finisse pas pencher de son côté. Plus Peña ment à ses supérieurs et que l’étau se resserre sur Escobar, plus on se solidarise avec ces deux hommes. On se surprend à s’apitoyer sur la famille d’Escobar, abandonnée, et l’on admire Tata, sa femme, pour sa dignité. On aimerait presque que ce criminel implacable échappe encore une fois à la police. Ses meurtres paraissent sinon justifiables, du moins compréhensibles. Symétriquement, plus Peña s’enfonce dans le piège où l’on placé ses mensonges, plus on proteste du succès de ses initiatives. Ce sont les perdants qui nous fascinent, rarement les gagnants.

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Tout ceci ne signifie pas que les auteurs tordent la vérité historique mais qu’au contraire, ils en tirent la moelle. Une séquence est sur ce point exemplaire : en dépit des consignes strictes d’Escobar, sa propre mère sort de la propriété pour aller à la messe. Dans l’église, elle est reconnue par un informateur du cartel de Cali. Cette imprudence est lourdement sanctionnée quelques dizaines de minutes plus tard, tandis que, revenue à la maison, elle se fait tancer par Tata : les paramilitaires à la solde du cartel de Cali mitraillent la maison, déciment les gardes du corps d’Escobar et, alors que la famille tente de fuir, abattent le frère de Tata. On pénêtre dans l’amphithéâtre, le conflit est posé : la faute morale de la belle-mère a conduit à la mort du frère. Le refus de la loi a déclenché une catastrophe mais une catastrophe soigneusement préméditée par le Destin. Non seulement elle n’atteint pas directement la coupable mais elle blesse au contraire sa rivale auprès du Prince. Pour dire plus vite : la Fatalité fait que la faute de la mère révèle son désir incestueux d’éliminer sa rivale auprès de son fils.

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Une autre dimension se fait alors jour : le malheur révèle la nature des êtres. La dignité aristocratique de Tata et sa force morale s’imposent à l’autoritarisme capricieux de la mère. Tata est l’élue du Prince, celle qui a été choisie pour ses vertus, la mère, elle, née pauvresse, ne peut que jouer de chantage affectif sur celui qui, contraint et forcé, restera son fils. Noblesse de l’amour contre la tyrannie de la parenté. La fin résoudra cette opposition en montrant une mère rejoignant son fils dans l’anéantissement promis et une épouse consciente que, pour le bien des leurs enfants, ils auront à se séparer mais que cette séparation, même par-delà la mort, ne sera que physique tant leur amour est puissant. Plus vaste que tout Medellin.

Oeil pour oeil

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Deux épisodes sont consacrés à un autre aspect du sujet, tout aussi problématique. Le Gouvernement colombien, exaspéré, rappelle à la tête du « bloc de recherche » une unité d’élite chargée de  traquer Escobar, le colonel Carillo, un dur à cuire, qui emprunte les méthodes des Narcos contre les Narcos. Meurtres, torture, rien ne l’effraie et les résultats sont immédiats. Carillo provoque Escobar sur son propre terrain.

Néanmoins, la révélation de ces actes, relayés par une presse complaisante envers Escobar, ruinent les efforts des forces de police. Le président colombien est mis en cause pour avoir couvert des méthodes criminelles. Escobar allègera son dilemme en piégeant et tuant Carillo.

En ces temps d’état d’urgence, en France, de « patriot act » aux USA et de résurrection de la Guerre Froide, la question nous atteint chaque jour. Elle est simple mais de tout temps, elle a pris à contre-pied des démocraties confrontées à leurs ennemis : régimes totalitaires ou groupes terroristes. Actuellement,  au sein même des institutions républicaines, l’Etat de Droit est contesté par des partis français pour lesquels l’efficacité prime sur la Loi.

Que faire ? La réponse tombe sous le sens. Il n’est pas sûr qu’elle soit la plus communément admise en ces temps de fascisation des esprits.

Les faits, la foi

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Le début de l’article abordait les rapports délicats entre les faits tels qu’il se sont produits et la nécessité de la fiction. L’implication de la CIA telle qu’elle apparaît dans Narcos (saison 2) reflète bien le rôle pervers de cette organisation en Amérique Latine et la mise de la DEA sur la touche au nom d’une lutte anti-communiste jugée prioritaire par Nixon et Reagan. Du moins, jusqu’au fameux Irangate. On a connu la même chose en Bolivie, au début des années 80, peut-être même de façon plus violente et cynique. On se souvient de Pinochet, de Videla, du plan Condor et de l’Ecole des Amériques. Tout cela est formulé, sans insistance, comme des repères historiques et une dénonciation utile de la politique des USA de l’époque. Ce que les auteurs auraient pu éviter, notamment sur la fin de la série, est de multiplier les images d’archives en contrepoint de leurs reconstitutions. Ces images tournées à l’épaule et immédiatement identifiables ne prouvent rien, n’apportent aucune crédibilité au propos. C’est une chose à laquelle il faut penser : les archives prouvent peut-être de la réalité des faits, elle ne parviennent pas nécessairement à convaincre. Convaincre nécessite d’autres talents. Car bien souvent, pour susciter la croyance, les tortueux sentiers de la séduction sont les plus directs.

* DEA = Drug Enforcement Administration

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