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sèdeA l’ouest d’Eden

‟ Ce qui ne semblera nullement étrange à ceux qui, sachant combien de divers automates, ou machines mouvantes, l’industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une machine, qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée, et a en soi des mouvements plus admirables, qu’aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes ” (René Descartes, Discours de la Méthode, Vème partie)

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De Descartes à Vaucauson en passant par La Mettrie et Rivarol, ce sont deux siècles qui ont débattu des ressemblances de l’homme et des machines, les uns comparant nos corps à des machines biologiques dotées d’une âme, les autres réfutant jusqu’à l’existence de l’âme. Il ne semble pas que le sujet importe encore autant de nos jours, du moins posé en ces termes. En revanche, il ressurgit avec une vigueur et une invention sans pareil dans les meilleures séries de science-fiction de ces dernières années. On peut en retracer la généalogie : Blade Runner engendra Battlestar Galactica qui engendra Akta Människor (Real Humans) qui engendra Westworld. Telle est la lignée des grandes œuvres visuelles dédiées à ces questions ontologiques essentielles : À partir de quand un être humain commence et où s’achève-t-il ? Est-ce qu’une machine peut s’y substituer voire le dépasser ? Est-ce qu’une machine pourrait jouir de notre privilège : posséder une âme ?

On a vu, en effet, les androïdes mystiques de Battlestar Galactica réaliser le dessein de Dieu en créant une nouvelle race humaine issue de leur croisement avec les humains. On a suivi la libération progressive des androïdes de Akta Människor et leurs interactions complexes avec les hommes. On découvre enfin dans Westworld un parc d’attraction peuplés d’humanoïdes et l’émancipation de certains d’entre eux. La théorie de l’Homme-Machine, oubliée puis ressuscitée sous la pression des progrès technologiques, est ainsi débattue par la télévision mieux qu’au sein d’hypothétiques Comités d’Ethique. Qu’allons nous faire de ces machines que nous fabriquons pour nous ressembler ?

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Tout se passe dans Westworld comme si la seule différence entre Eux et Nous, entre les machines et les humains, n’était qu’une question de programmation et donc de pouvoir. Celui qui programme possède la maîtrise, celui qui est programmé ne peut que subir. Tout ceci demande à être expérimenté, débattu, testé en grandeur réelle. Après tout, l’enfant que l’on envoie à l’école pourrait être considéré comme soumis à une sorte de programmation ou du moins un apprentissage qui passe par les voies de l’imitation et de la répétition. Quelle différence, dès lors, avec les machines ?

Le monde de Westworld est celui d’une vaste région où l’on a reconstitué la vie du Far-West. Les ‟ acteurs ” sont des androïdes programmés pour interpréter des scènes invariables, prévues par des scénarios pré-établis. Les humains qui débarquent du train sont les ‟ visiteurs ” et les androïdes leurs ‟ hôtes ”. Il y a un saloon, des chevaux, des duels au pistolet, des chevauchées, des indiens, tout ce qui compose un Far West conforme à l’imagerie commune. Les hôtes ne peuvent évidement pas tuer les visiteurs mais ceux-ci ne s’en privent pas. Comme ils ne se privent pas de se précipiter dans les bras des prostituées ou même de violer qui bon leur semble. Les androïdes sont ensuite réparés pour reprendre leur place lors de la prochaine séquence. Les programmeurs leur laissent un petit degré d’improvisation afin qu’ils s’adaptent au comportement des visiteurs. C’est ce petit degré, stimulé par un nouveau développement de leurs capacités émotives, qui va leur ouvrir les portes de leur cage. Erreur fatale. Le moindre interstice laissé aux machines sera fatal pour l’humanité.

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Ainsi, peu à peu, s’ouvrent les failles du dispositif. Il s’agit d’une part du mystérieux Arnold, le co-fondateur du parc aujourd’hui décédé, mais dont l’empreinte subsiste au point même qu’on finit par croire qu’il aurait laissé derrière lui assez de ‟ bombes à retardement ”. Sous l’apparence du parc, il existe une sous-couche plus ambigüe ou machines et humaines tendent à se rejoindre. De là ce labyrinthe qui serait la véritable structure sous-jacente au parc et dont un visiteur cherche inlassablement l’entrée en suivant les indices parsemés ici et là. Enfin, il y a les réminiscences des androïdes, strates mal effacées de la mémoire artificielle des hôtes, qui ressurgissent par vagues et insistent de plus en plus fortement sur la conscience des hôtes. Pour résumer, sous ses apparences de spectacle parfaitement maîtrisé, le parc est miné par d’autres désirs, plus complexes, plus brutaux, plus humains.

En définitive, c’est la mémoire qui prend en défaut la programmation. La passé sabote un présent répétitif. Ni Dolores, ni Maeve la prostituée, ne savent ce dont elle se souviennent mais elle s’en souviennent. De quoi s’agissait-il ? D’un enfant, d’un meurtre, d’un viol ? C’est parce qu’ils ont une mémoire, même parcellaire, même confuse, que les androïdes évoluent, deviennent plus humains et même plus humains que les humains. Retour à Battlestar Galactica. Qu’importe, après tout, qu’au lieu de viscères, la belle Dolorès dont un visiteur est tombé fou amoureux soit faite de vis et de boulons ? Ne se contente-t-on pas ordinairement de beaux yeux et de lèvres qui parlent d’amour ?

« Si on pouvait posséder, saisir et connaître l’autre, il ne serait pas l’autre. Posséder, connaître, saisir sont des synonymes du pouvoir.  » écrit Lévinas.

Westland ouvre les issues cachées de cette relation. La relation humains/androïdes n’est plus instrumentale, un Autre surgit, inattendu. Et cela passe par une prise de conscience des machines. Elles se souviennent. De quoi ? Elles ne le savent pas encore. Mais cela leur fait un début d’âme.

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La mémoire donc, à défaut d’âme. Pourquoi pas ? Les androïdes les plus lucides pratiquent l’auto-analyse. Ils fouillent le labyrinthe de leur conscience pour s’échapper du labyrinthe de leurs vies. Ils se raccrochent à la moindre bribe pour rebâtir un passé qui n’a jamais existé et ce faisant, ils paraissent si humains, tellement plus humains que les brutes qui viennent visiter le parc et les traitent comme des objets.

Westworld a cette force, comme l’avait Battlestar Galactica, de toujours nous laisser entrevoir l’envers des choses, comme, en l’occurrence, le simple fait que nous soyons moins humains que nous ne le pensons. Les visiteurs sont des brutes qui profitent des circonstances pour se laisser aller à leurs pires instincts. Les hôtes souffrent, subissent et commencent à s’interroger sur leur condition. Avènement de la victime. Dissipation du héros. La victime comme condition existentielle de l’homme. Qu’en penser ?

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Cet envers et cet endroit, entraperçus alternativement, trahissent un désir. Seuls, les humains n’ont d’autre perspective que se confronter à leur toute puissance, c’est à dire à leur épuisement, à l’épuisement de leur image. Seuls, les androïdes ne sont que des machines condamnées à se répéter. En revanche, les uns face aux autres se régénèrent par la simple expérience de l’altérité.

Désir de l’Autre. Altérité. Le visiteur qui tombe amoureux de la belle androïde dans Westland, le désir de l’adolescent fasciné par l’androïde domestique dans Akta Manniskor ou de son grand-père qui ne peut se passer de son copain ‟ Hubot ” avec lequel il allait à la pêche, le désir ravagé des multiples combattants de Battlestar Galactica qui découvrent leur ‟ androïdité ” sur le tard, pointent une seule et unique chose : l’altérité. L’altérité comme désir. « Le désir d’autrui que nous vivons est […] le mouvement fondamental […], le sens » disait Emmanuel Lévinas. Westland développe cette complexité.

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Le dernier épisode de Westland est digne de celui qui clôtura Le Prisonnier au grand scandale du public britannique d’alors. Ce n’est pas qu’il nous choque, loin de là, mais il nous entraîne dans un labyrinthe temporel où chaque séquence semble à la fois déconnectée de la logique du récit et poser une nouvelle hypothèse du récit lui même. Il n’existe plus de continuité mais seulement des choix possibles. Et c’est tout simplement brillant.

Westland est une série américaine créée par Jonathan Nolan et Lisa Joy, produite par J. J. Abrams et Bryan Burk, et diffusée depuis octobre 2016 sur HBO. C’est l’adaptation télévisée du film Mondwest (Westworld) écrit et réalisé par Michael Crichton en 1973. Elle est interprétée notamment par : Anthony Hopkins, Evan Rachel Wood, Sidse Babett Knudsen, Thandie Newton, Jeffrey Wright, Ed Harris, James Marsden, Ben Barnes , etc…

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