Tu ne voleras point, tu ne tueras point
Quel genre requiert autant de doigté que la tragi-comédie ? Maintenir la tension tout du long du drame tout en le ponctuant de légèreté ? Comment faire pour que la seconde ne ruine pas la première ? Tel est le défi auquel s′attaque Good Behavior, improbable histoire criminelle qui fait se rencontrer une voleuse pathologique et un tueur argentin. Il est fascinant de voir à quel point les suspens nous tiennent haletants quand, un épisode plus loin, le cocasse balaie toute tension. Le sentiment a postériori est que l′on ne sait plus très bien sur quel tableau joue Good Behavior mais qu′elle le fait très bien. Y croit-on, n′y croit-on pas ? La réponse varie selon les épisodes qui, il faut bien avouer, ne se valent pas tous.
Ex-droguée, ex-taularde, alcoolique, voleuse, Letty est aussi une mère à laquelle la Justice interdit de revoir son enfant. Lui, on ne sait pas encore très bien mais ce tueur à gages n′est visiblement pas un mauvais homme. En dépit de sa famille et de son « métier », il montre qu′il pourrait faire un excellent père et un parfait mari. Chacun a une surface, qui relève de la Loi des hommes, et une profondeur, qui, elle, relève de l′humanité.
Au fil d′un périple guidé par les commandes passées à Javier, des tentatives de Letty de retrouver son fils et de ses petits dérapages cleptomanes, on découvre quantité de gens respectables qui, plus ou moins ouvertement, plus ou moins discrètement, sont, eux, de parfaits salauds. C′est l′ancien petit ami qui cache à sa femme son addiction à l′héroïne et son homosexualité, c′est la grand-mère qui fait payer 1000 dollars chaque visite de sa fille à son petit-fils. De ce fait, au fil de ce qui devient un road-movie au travers de la Caroline du Nord, les vols et meurtres du couple finissent par paraître peu de choses en regard d′une bassesse morale si largement partagée, à commencer celle qui corrompt leurs familles respectives. Tout compte fait, Letty ne vole que dans les hôtels de luxe et des gens qui ont les moyens et les assurances suffisantes pour s′en remettre. Elle commet ses indélicatesses plus par jeu que par strict appât du gain. Et même s’il s’agissait de lucre, l’argent ne lui sert qu’à payer son indigne mère en échange de quelques heures passée avec son fils. L′officier d′insertion et de probation qui la suit, et qui, par faiblesse sentimentale, couvre ses manquements, est notre représentant dans cette histoire, celui qui, comme nous le ferions nous-même, évite de sévir parce que Letty est plus immature que criminelle, parce qu′elle a un charme fou et qu′elle paye bien plus que la peine qu′elle mérite en étant privée de son enfant. Son apparente liberté est une réelle prison.
De même, les motivations de Javier, pour être plus obscures et complexes, n′en font pas un tueur froid. Son second meurtre venge une famille détruite par un chauffard criminel. Le femme de sa victime elle-même hait son mari. Comme pour Letty, ce qui lui vient de sa famille, et qui a probablement à voir avec l’époque de la dictature argentine, rend ses crimes bien moins condamnables qu′ils n′y paraissent. Ainsi exposées, la morale et la justice s′accordent mal en ce terreau de l′Amérique réactionnaire qu′est la Caroline du Nord.
Bonnie et Clyde des temps modernes, Letty et Javier forment un curieux couple, donc, où chacun tente de refréner l′autre : Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas. Mais hélas, parce que le monde est celui que l’on connaît, on a beau faire, on n′échappe pas à son rôle.
Ainsi, d′une manière quelque peu hitchcockienne Good Behavior est l′histoire de deux criminels – aux yeux de la Justice – qui tentent de survivre dans un monde bien plus coupable – aux yeux de la Morale -.
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