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Le Maître du haut Château est adapté d′un roman de Philip K. Dick – un de ses meilleurs – dans lequel les Alliés ont perdu la Seconde guerre mondiale et où les Etats-Unis sont partagés entre les Pacific States of America sous domination japonaise et le Reich américain, sous domination allemande. Entre les deux, dans les Rocheuses, dépérit lentement une zone neutre. L′histoire se partage entre divers groupes d′Américains, parfois résistants parfois collabos, et d′occupants. Dans le roman, ce qui fait le lien entre ces personnes ou ces petits groupes est la circulation clandestine d′un livre interdit, Le Poids de la sauterelle, sur lequel les occupants n′ont de cesse de mettre la main pour la simple raison qu′il raconte la victoire des alliés, c′est dire l′histoire telle que nous, lecteurs contemporains, la connaissons.

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Dans la série écrite par Eric Overmyer et Frank Spotnitz, il ne s′agit plus d′un roman qui circule sous le manteau mais de films documentaires qui montrent les images que nous, spectateurs, connaissons par coeur, du débarquement de juin 44, de la Chute de Berlin ou d′Hiroshima. Les films saisis par les nazis sont immédiatement expédiés à Berlin où Hitler se les projette, seul, dans son bureau. Berlin est devenue la Germania imaginée par Albert Speer, Hitler est maintenant un vieillard cacochyme, Eichmann, Goebbels, Himmler, complotent inlassablement tandis qu′une sorte de guerre froide s′est installée avec le Japon.

Les années ont donc passé depuis la victoire des Alliés, l′Amérique s′est modernisée et ressemble à celle des années 60 que nous connaissons, drapeaux et décorations nazies en plus. C′est donc une Amérique paisible mais où on extermine les juifs et les handicapés, où les femmes restent à la maison et se consacrent à leur maternité et où, bien évidemment, les arts dégénérés (entendez le jazz et le blues) sont proscrits. L′obergruppenführer John Smith fait office de gouverneur de cette extension du Reich.

Côté Pacifique, les Californiens n′ont pas succombé aux charmes du militarisme nippon. D′ailleurs, les Japonais, qui les tiennent pour une race inférieure, n′exigent que leur soumission, pas leur adhésion. Pour eux, la Californie est une simple colonie qu′il suffit d′exploiter comme telle. Il n’y a que les riches à se ruiner en (fausses) antiquités américaines comme les boutons de manchettes que portait Lincoln le jour de son assassinat. La différence entre les deux occupations est dans la continuité des distances idéologiques des années 40 entre fascistes, nazis et militaristes. Il s′y ajoute un écart technologique qui n′aurait cessé de croître, les allemands ayant vaincu les USA au renfort de bombes atomiques et possédant une aviation militaire et civile à réaction, ce que les japonais sont encore loin de maîtriser. En terme d′uchronie, Le Maître du Haut Château imagine donc un monde quinze ans après la 2de Guerre mondiale, tel que la logique porterait à le concevoir à partir de l′hypothèse d′une victoire de l′Axe.

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Dans le roman, on commence par croire que le livre interdit qui montre la victoire des alliés est un ouvrage de fiction dans le récit et un ouvrage documentaire dans le nôtre. Mais est-ce bien tout ? Les nazis et les résistants le tiennent visiblement pour bien plus qu′une fiction subversive. Il est vu comme la révélation d′une vérité cachée ou du moins d′évènements qui, d′une manière ou d′une autre, ont eu lieu. La victoire de l′Axe ne serait-elle qu′une possibilité parmi d′autres ? c′est ce que les Nazis comme les japonais redoutent plus que tout. Leur conquête du monde ne serait que la conquête d′un monde.

Dans la série, le livre est remplacé par des bobines de films noir et blanc, des images documentaires filmées que l′on reconnaît aisément (Hiroshima, débarquement de juin 44, chute de Berlin). Le choix réduit l′interprétation, ce ne sont plus de possibles fictions tant l′image mécaniquement enregistrée est signe de vérité, ou du moins de preuve. L′idée de la puissance subversive de la fiction est abandonnée, la série délaisse la mise en abîme qui faisait le coeur du roman.

Le roman intitulé Le Maître du Haut Château est d′abord un texte sur le texte, une fiction sur la fiction. La série tente la même opération, mais dans le domaine des images. Tâche périlleuse tant les images documentaires « trouent » le cours de la fiction. C′est une question de nature d′images. La matérialité même des images documentaires leur octroie une force de « vérité » bien plus grande que celle des images de la fiction dans lesquelles elles sont insérées. En conséquence, le résultat diffère notablement de celui obtenu par Dick dans son roman. Plutôt qu′une mise en abyme, on assiste au déchirement du tissu de la fiction.

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Aussi, la série, surtout dans sa seconde saison, se déporte-t-elle sur la dimension politique de l′histoire : qu′est-ce qu′être américain et nazi dans les années 60 ? Comment la civilisation américaine s′accommoderait-elle de sa nazification ?

Le plus simplement du monde répondent Eric Overmyer et  Frank Spotnitz. Ce sera croix gammées et corn-flakes. La plus évidente normalité de l′inhumanité. Dans la salle à manger de son pavillon de banlieue résidentielle, le bourreau nazi prend le petit déjeuner en famille avant d′aller faire torturer quelque résistant. La scène pourrait-être tirée de n′importe quelle série américaine sur la classe moyenne, si ce n′étaient les uniformes du père et du fils. Etait-ce différent en Allemagne dans les années 40 ? Non. La banalité du mal est une des définitions du nazisme. Hannah Arendt en a dit ce qu’il fallait en dire.

Une scène montre deux hommes occupés à changer une roue de camion. Une sorte de neige grisâtre se met à tomber.

– “Qu’est-ce que c’est?

Ça c’est l’hôpital. Les mardis, ils brûlent les handicapés, les malades en phase terminale… des boulets pour l’Etat”.

Et ils reprennent leurs occupations comme si de rien n’était.

La série suit sa trajectoire, ne s′attarde jamais, n′insiste pas. L′obergruppenführer Smith est un père à l′ancienne qui place sa famille au dessus de tout. Son alter-ego, L′ambassadeur japonais, lui, s′évade par la méditation d′un monde dont les excès le révulsent.

Mais pour un public américain, avec ses origines et ses aspirations, avec l′idée qu′il se fait de lui-même, se voir dépeint comme de banals collabos français a dû être un choc. Hélas, l′élection du grotesque Trump prouve qu′une série télévisée ne suffit pas à prévenir une population.

Dans Le Maître du Haut Château, rien n′est totalement tranché. Au point même que les hésitations des principaux personnages dans leurs convictions politiques ou affectives amènent le récit à flotter et perdre de son emprise. C′est la faiblesse d′une adaptation qui se libère de son modèle et entreprend une fresque peut-être trop vaste, donc distendue, du monde de l′uchronie originelle. La séquence finale de la deuxième saison, aux antipodes de ce qu′aurait imaginé Philip K. Dick, avoue cet échec. Du moins ce demi-échec tant on se laisse aussi séduire par l’ironie sous-jacente à la description d’un passé qui n’a jamais existé.

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The Man In The High Castle une série TV écrite par Eric Overmyer et Frank Spotnitz et diffusée par Amazon. Elle est interprétée notamment par Alexa Davalos, Rupert Evans, Rufus Sewell, Luke Kleintank, Cary-Hiroyuki Tagawa, Joel de la Fuente, etc…

2 réflexions sur “Le maître du Haut Château

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