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Tout récemment, Massimo Osanna, directeur des fouilles de Pompéi, a présenté les résultats d’analyses génétiques réalisées à partir des restes organiques emprisonnés dans le moulage des fameux amants de Pompei. Jusque-là, il s’agissait évidemment d’un homme et d’une femme. L′archéologue Vittorio Spinazzola, à l’origine de la découverte des restes, avait cependant suggéré qu’il puisse s’agir de deux femmes, peut-être une mère et sa fille. Des analyses ADN sembleraient nous orienter maintenant vers deux hommes.

On se souvient de la séquence de Voyage en Italie où Ingrid Bergman et George Sanders observaient l′extraction de ces deux corps du sol volcanique, et les sentiments qui les bouleversaient devant deux êtres qui se jetaient l′un vers l′autre à l′instant de mourir, alors qu′eux, par orgueil, s’étaient déjà séparés. Qu′en penseraient-ils aujourd′hui ?

Tout est question d′époque.

Transparent, dont je voudrais parler, pose aussi une question d′époque. Pour un mélodrame aussi focalisé sur le changement d′identité ou de préférences sexuelles et le droit d′être accepté pour ce qu′on est, il aurait mieux valu arriver plus tôt. Depuis déjà longtemps, de nombreuses féministes ont mis en cause un mouvement de libération qui certes, apporta plus d′égalité avec les hommes et le droit de disposer de son corps mais qui fut essentiellement celui des femme de la bourgeoisie blanche, lesquelles ignorèrent le racisme et la pauvreté que les femmes noires ou hispaniques avaient, elles, à subir en plus. « Nous étions beaucoup à ressentir qu’on nous demandait de choisir entre race ou genre, et nous voulions traiter les deux conjointement. Nous nous sentions marginalisées dans nos mouvements pour l’égalité raciale de même que nous le ressentions dans les mouvements l’égalité des sexes. Si les féministes blanches de classe moyennes avaient tendance à être racistes, beaucoup de stratégies antiracistes avaient tendance à être masculinistes » (Angela Davis).

Or Transparent, la série dont il est ici question, évite elle-aussi la question sociale.

Transparent 2

Pour faire vite, Transparent traite du genre et du choix de celui auquel on appartient conformément ou en dépit des apparences. La famille Pfefferman est concernée dans son ensemble, à commencer par Mort, le père, un professeur d′université déjà âgé qui accomplit son désir de toujours : vivre comme la femme qu′il est. Suit Sarah, la fille aînée, femme au foyer frustrée qui retrouve un amour lesbien de jeunesse et plaque son mari, puis Ali, la benjamine, joyeusement nymphomane et enfin Josh, le cadet, amateur de jouvencelles. Tout ce beau monde vit dans le confort de la bourgeoisie libérale californienne, avec ce que cela implique de facilités matérielles et culturelles pour assumer ses choix. Evidemment, découvrir son père habillé en femme à 60 ans passés crée un choc mais quand simultanément, celui-ci vous surprend dans les bras de votre copine d′autrefois (alors que vous êtes sa fille), l′effet comique prend le dessus. Et lance le « coming out » du père. D′où le titre de la série, Trans-parent.

Transparent est un mélodrame, pas un drame. La même histoire dans un milieu moins favorisé aurait durci le trait. Mais, plus profondément, la même histoire dans un milieu d′afro-américains, d′hispaniques, d′arabes ou d′asiatiques aurait-elle eu la même exemplarité ? Rien n’est moins sûr tant le « causasien » semble demeurer la référence dominante dans la production audiovisuelle américaine, celle, donc, qui s′impose à tous comme « neutre ». Pareillement ici, en France, où l’on peut facilement comprendre que l′histoire d′un transgenre n′aurait pas la même incidence si elle se déroulait dans un milieu de bourgeois parisiens athées ou dans une famille arabe musulmane.

Est-ce le prix à payer pour être acceptable par une majorité ? Dans le cas de Transparent, on peut craindre qu’il soit hasardeux de désigner une classe privilégiée comme les bourgeois libéraux californiens, dont le laxisme moral est sans cesse dénoncé par les franges conservatrices de la société américaine.

Les seuls noirs que la première saison met en scène sont deux gaillards avec lesquels la benjamine fantasme une partie à trois améliorée au substances illicites. Lorsqu′ils comprennent la manœuvre, ils la mettent à la porte. Curieuse scène que nous ne comprendrions mal si les relations « interraciales » ne relevaient pas, elles-aussi, aussi d′un tabou incrusté dans la mémoire américaine. Mais le résultat est qu’Ali se sert d’eux et finit par être exclue, ce qui est une traduction soit brutale soit cynique des relations entre noirs et blancs.

Transparent 1

« Voici mon père, et il est une femme »

La famille Pfefferman est une famille juive, apparemment non pratiquante, mais résolument ancrée dans une culture où l′humour et l′auto-dérision sont les vertus les mieux partagées. Cette famille compose le cadre idéal d′un genre qui doit sans cesse éviter de se laisser piéger par la gravité de ses sujets. L′histoire a été inspirée à la scénariste Jill Solloway par sa propre famille, notamment son père qui devint femme transgenre en 2011.

Des activistes transgenres ont reproché à Jill Solloway d′avoir embauché un acteur « cisgenre » (non trans) pour interpréter le rôle d′un transgenre. Celle-ci a présenté ses excuses avant d′argumenter qu′outre les qualités de Jeffrey Tabor, l′acteur qui incarne le père, il n′y avait pas une seule façon d′être transgenre, que sa série n′était pas la ultime série sur la question et que le choix d′un homme « cis » qui ne s′est pas encore engagé dans une transition médicale pouvait potentiellement être un choix plus efficace. Mais elle a promis que son équipe de scénariste, qui comporte déjà la poétesse homosexuelle Ali Liebegott, s′augmenterait d′une scénariste transgenre. Victoire donc pour les activistes.

Pendant ce temps, trop occupés que nous étions par le genre, personne n’a évoqué la situation sociale des personnages de la série..

Transparent 3

La question qui est posée au sujet de Transparent est-elle dans la continuité d′une évolution qui a permis l′émancipation des femmes et la reconnaissance des minorités ? Ce n′est pas sûr. Dès lors que confier le rôle d′un transgenre à un cisgenre serait discriminatoire parce qu′on empêcherait un authentique transgenre d′apparaître l′écran ou – autre argument – parce qu′un cisgenre n′aurait aucune légitimité à jouer ou écrire un rôle de transgenre, c′est la fonction même de l′acteur ou du scénariste qui sont niés. Seul un scénariste homosexuel pourrait écrire sur l′homosexualité ? Seul un acteur transgenre pourrait interpréter un transgenre ?

La preuve du contraire a déjà été faite : dans Hit & Miss avec Chloé Sevigny, Paris avec Sarah-Jane Sauvegrain, ou Louis(e) avec Claire Nebout, ce sont des actrices qui interprètent des transgenres. Bien ou mal, cela peut toujours se discuter, mais en terme de direction d’acteurs en non en terme de genre. Dans The OA, l′un des acteurs était en revanche un authentique adolescent transgenre. Son rôle ni sa prestation n′insistant pas sur cet aspect, le personnage était ce qu′il était, le plus simplement du monde, sans que l′on ne prête particulièrement attention à ce qui le différenciait. En donnant le premier rôle à un transgenre et en organisant tout son propos sur l′identité et les choix affectifs et sexuels, Transparent ne pouvait bien évidemment jouer de ces nuances. C’est pourquoi, en dépit de la qualité de son écriture et du talent de ses acteurs, Transparent trébuche sur deux sérieux obstacles : l′élitisme social qu′elle promeut et le sectarisme identitaire qu’elle ne combat pas.

Il y a un siècle bientôt, Virginia Woolf écrivait Orlando.

Transparent est une série télévisée américaine créée par Jill Soloway et diffusée depuis 2014 sur Amazon Video. Elle est interprétée notamment par Jeffrey Tambor, Amy Landecker, Jay Duplass, Gaby Hoffmann, Judith Light 

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