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Le jardin aux sentiers qui bifurquent

 

The OA condense tout ce que l′on peut attendre d′une série d′adolescents.

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Prairie, une jeune fille aveugle disparue depuis des années se jette du haut d′un pont. Elle est sauvée en dépit d’un grave coma. Par miracle, le traumatisme lui a redonné la vue. Peu de temps après, ses parents adoptifs la retrouvent, soulagés et émus. Mais plutôt que de leur raconter ce qu′elle a vécu durant ses années d′absence, elle assemble autour d′elle un groupe composé d′adolescents et d′une professeur du lycée pour leur raconter son invraisemblable histoire, la nuit, à l′abri d′une maison abandonnée. Son histoire est celle d′une fille d′oligarque russe confiée par sécurité à une lointaine parente aux USA qui la vend à un couple en quête d′enfant à adopter.

Parvenue à l′adolescence, elle fugue pour retrouver son père, qui, elle en est convaincue, la retrouvera dans une station de métro de New-York. Lors de cette fugue, un homme l′aborde et la kidnappe pour l′enfermer avec trois autres dans le sous-sol du chalet tout au fond d’une forêt. A l′abri des curieux, il mène en effet des expériences sur des personnes ayant vécu des « expériences de mort imminente » afin de prouver la réalité d′une vie après la mort et de découvrir l′accès à cette autre monde. L′accès aux autres dimensions se ferait grâce à une danse enchaînant cinq suites de mouvements magiques que seuls révèlent les expériences de mort imminente et la rencontre avec une étrange figure de l′au-delà. Prairie  fait la traversée entre les deux mondes, elle parle à la mystérieuse femme de l’au-delà et, bribe après bribe, elle apprend le secret. Prairie est l′OA, l′Ange Original.

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Ainsi rapportée, l′histoire passerait pour navrante. Elle véhicule cependant sans doute mieux que d′autres ce qui fait l′esprit de l′adolescence : subjectivité galopante, relations fusionnelles, narcissisme, prédominance de l′émotionnel ou difficulté à gérer les frustrations. Outre Prairie, qui tient plus de l′adulescente que de l′adolescente, chacun de ses compagnons incarne à sa façon les symptômes de cet âge : violence, identité sexuelle mouvante, intégration sociale difficile, etc.

Le cadre, celui d′une banlieue pavillonnaire, est suffisamment peu décrit pour laisser flotter le récit et laisser place à un autre : celui qui vient d′être raconté et que Prairie, soir après soir, révèle à son petit groupe.

Croit-on à son histoire échevelée d′oligarque russe, d′enlèvement, de savant fou et d′ange ? Est-ce que ses compagnons, eux, y croient ? Ou plutôt, quel équilibre se forme entre nous, spectateurs, et eux, auditeurs, d′un même récit ? Lorsqu′ils ferment les yeux pour entendre le récit de Prairie, nous, nous voyons les images. Nos images « visuelles » sont leurs images mentales. C′est pourquoi l′enjeu narratif de The OA, n′est sans doute pas à chercher dans ses platitudes sur la mort imminente, le savant fou ou les anges mais dans notre propre adhésion à l′histoire, adhésion symétrique sans être totalement semblable à celle de son petit auditoire. C′est la genèse d′un récit qui devient croyance, qui s′exprime au travers d′une danse rituelle et dont nous-mêmes ne parvenons pas vraiment à douter tant le scénario sait toujours tenir l′équilibre entre ce qui accrédite la fiction de Prairie et ce qui la démasque.

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Fiction de l′adolescence, donc, où les corps sont traités avec l’appréhension de cet âge. Prairie correspond plutôt bien à l′idée d′un ange, dans sa conception doloriste. Toujours un peu souffrant, essentiellement asexué. Le regard des autres sur elle, en tous cas, l′est. Les cellules où elle et quatre autres sont enfermés durant des années, toutes de verre épais mais transparent, ne possèdent ni toilettes ni douches. La proximité qui se crée entre elle et son voisin de cellule Homer se limite à des simulations de contacts de part et d′autre de la paroi de verre. Leurs vêtements sont toujours propres. La saleté, les déchets n′existent pas dans The OA. Pas plus que le sexe. Ian, un des membres de la petite bande, est transexuel. Une seule phrase, prononcée hors-champ par sa mère, le révèle. Hors-champ car il ne sera pas autrement question de sa sexualité comme de celle d′aucun autre, à l′exception d′un baiser à la toute fin entre Steeve et une camarade de lycée.

Steeve, justement. Ce garçon, incapable de contrôler sa violence, est physiquement ingouvernable quand les autres se tiennent au contraire en retrait. On pourrait aussi parler de la professeure dont la corpulence entrave les gestes. Cette ambivalence des corps, trop absents ou excessifs, et qui ne finissent réellement par s′exprimer à l’unisson (et avec une certaine grâce) qu′au travers de la danse magique, accentue le rôle de la parole. C′est elle, finalement, qui, par son envoûtement, fonde la foi qui soude la petite communauté et la fait évoluer synchroniquement.

Croit-on au histoires ? Et jusqu′à quel point y croit-on collectivement ?

The OA est une histoire dans une histoire, certes, emboîtement d′histoires à la façon de poupées russes, peut-être, mais surtout l′émergence d′une foi. A l’origine, c’est le récit de Prairie s’enracine dans le flou des croyances : survivance, vie après vie, autres dimensions, le tout venant de l’occultisme… mais on pourrait aussi bien en retrouver les origines dans le christianisme ou les cultes à mystères qui invoquaient un Dieu mort puis ressuscité. Les anges, eux-aussi, appartiennent à cet espace incertain qui va de la Bible à Swedenborg. Qu’importe, le récit fonde le rite : la danse magique qui doit permettre d’atteindre la dimension spirituelle. Cela ne fonctionne pas comme on l’espère mais produit quelque chose de plus concret : une communauté humaine.

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The OA est une série américaine créée par Brit Marling et Zat Batmanglij et diffusée en 2016 sur Netflix. Elle est interprétée notamment par : Brit Marling, Emory Cohen, Scott Wilson, Alive Krige, Phillis Smith…

Une réflexion sur “The OA

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