Théorème : tout mythe exerce une attraction directement proportionnelle à la grandeur des paysages où l′action se déroule. Le Western nous en a maintes fois fait la démonstration.
En logeant Tin Star et ses personnages au pied des Montagnes Rocheuses canadiennes, dans un paysage bien trop vaste pour de simples humains, cerné de montagnes démesurées et abandonné à l′immensité de forêts enneigées, il était inévitable que l′humanité qu’on y découvrirait ne soit pas seulement faite de chair et de sang. On ne peint pas un panorama comme une miniature. Il faut un minimum d’emphase. Ce sera donc une tragédie – encore une – où les pères affronteront les fils, où les mères appelleront à la vengeance, où le sang fera couler le sang, et cette tragédie, parce que nous ne sommes pas sous le soleil de Grèce mais dans les neiges du grand Nord, s′accomplira méthodiquement, sans hâte, portée par la mécanique de l′inéluctable davantage que par l′excès des passions.
Nouveau chef du petit poste de police de Little Big Bear, Jim Worth (Tim Roth) s′installe avec sa famille à proximité. Il n′est pas canadien mais britannique. Avec un passé d’alcoolique, ce qui n’est pas incompatible. On imagine qu’il vient achever sa carrière de policier dans une région calme, avec sa famille, au sein de paysages somptueux. Au même moment, une raffinerie s′installe à Little Big Bear. Outre les motards qui viennent régulièrement semer la pagaille et de possibles tensions avec les amérindiens, il faudra bientôt assurer l′ordre au sein d′une population rurale grossie de dizaines d′ouvriers et d’employés attirés par l’argent facile. Petit parfum de ruée vers l’or. Les trafics de drogue ou d’armes et la prostitution ne manqueront pas de s’inviter au banquet du gaz de schiste. Mais, plus gravement, ce sont les dégâts sur l′environnement et la santé publique qui sont à craindre. La pollution massive engendrée par l′exploitation du gaz de schiste* au Canada est dans tous les esprits. North Stream Oil, la société qui exploite l′usine, défend l′image d′un pétrole « propre », un peu comme Trump avec son « magnifique charbon propre »**. Ce n’est malheureusement pas avec ses deux inoffensifs subalternes que Jim Worth peut espérer mener sa tâche à bien. A condition, toutefois qu’il en ait jamais eu l’intention.
Le décor planté, Tin Star s′ouvre par un drame : profitant d′un arrêt sur le bas côté d′une route, un tueur masqué tente d′abattre Jim dans sa voiture. Jim esquive, c′est son fils Petey, un petit garçon de 5 ans qui est tué. Toute l′histoire, là d′où elle vient, ce qu′elle accomplira et là où elle s′achèvera, tient en ces quelques secondes. Le meurtre du petit garçon, dû au réflexe de survie de son père, ne relève pas de l′accident, comme on le comprendra peu à peu, mais de la fatalité. Il faudra du temps pour parvenir à cette conclusion, beaucoup de temps, trop peut-être. Le rythme exagérément lent de Tin Star s′accorde aux paysages, sans nul doute, mais il prend aussi le risque de perdre le spectateur en chemin.
Tin Star soutient également la gageure de développer deux lignes narratives, celle d′une vengeance personnelle et celle de la résistance collective aux pétroliers. Conflit intime d’un côté, conflit politique de l’autre. Que ces deux lignes se croisent est évident, qu′elles s′alimentent l′est beaucoup moins. La seconde aurait mérité d′être plus fouillée, elle ne tient que par le duel entre Elizabeth Bradshaw (Christina Hendricks) responsable de la communication de North Stream Oil et le sinistre Louis Gagnon (Christopher Heyerdahl), chef de la sécurité de la même compagnie. L’idéaliste (supposée) et le caïman. L’affrontement frôle la caricature. Il y avait pourtant de quoi faire, avec une sombre histoire de communauté amérindienne intoxiquée puis payée pour se taire. Le scénario diverge. L’autre ligne, la première, celle qui puise dans les tréfonds des ressentiments humains, finit heureusement par s’accaparer l’écran. Car ce qui affleure, irrésistiblement, est digne d’une grande tragédie.
Une telle tragédie dit ce qu’est un père pour son fils, une mère pour sa fille, un frère pour sa soeur. Elle dit les liens du sang et de l’amour. Elle dit les rapports impossibles entre la loi et les liens du sang. Et comment tout ceci ne peut s’achever que dans une terrible débâcle. In extremis, Tin Star, parvient à en articuler l’essentiel.
Une fois la saison achevée, la perspective devient enfin lisible. Elle est implacable : les pères tuent leurs enfants de la même façon que Chronos dévorait les siens, par crainte d’être éliminé par l’un d’entre eux. Les enfants se dressent contre les pères mais ils ne sont ni assez forts ni assez froids. La génération précédente, celle des pères, des mères et des oncles achève de s′entretuer. Les enfants sont happés par ce cycle de haines et de vengeances sans y avoir la moindre responsabilité. Ils subissent, c′est leur condition d′enfants. Les dernières scènes sont implacables. Forcément sublimes pourrait-on écrire, avec Duras en tête.
Malheureusement, il faut beaucoup de temps avant d′en arriver là. Beaucoup trop. C′est le défaut de la série. Sans être trop exigeant, on peut légitimement déplorer d′avoir à attendre le huitième épisode (sur un total de 10 !) pour enfin comprendre les liens qui relient les principaux personnages et être informés des prémices du récit.
Les deux derniers épisodes se trouvent alors propulsés par une dynamique qui faisait jusque là défaut. C′est évidemment trop tard.
Tin Star un feuilleton de Rowan Joffe produit par Amazon en 2017. Il est interprété notamment par Tim Roth, Christina Hendricks, Genevieve O’Reilly, Abigail Lawrie, Christopher Heyerdahl, Kevin Hanchard, Oliver Coopersmith…
Notes :
* 800 000 litres de pétrole déversés dans la nature, suite à une rupture du pipe-line Keystone XL, en novembre 2017 (l’article du monde ici), des séismes engendrés par l′exploitation des gaz de schiste (un autre article du Monde ici), et une pollution irrémédiable des sols et nappes phréatiques.