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Trust aurait pu faire une excellente tragédie. Peut-être même est-ce le cas. Ou pas. Donald Sutherland y trouve un rôle à sa géniale démesure, celui de John-Paul Getty, pétrolier milliardaire à la pingrerie proverbiale. Reclus dans son palais de Sutton Place, dans le Sussex, le patriarche consacre l′essentiel de son temps à sa collection d′art. Celle-ci, considérable, qui est devenue l′actuel Getty Center de Brentwood, en Californie, inspira à Umberto Eco l′un de ses chapitres de « La guerre du faux ». Le personnage de Getty aurait aussi pu tout aussi bien servir de modèle au Citizen Kane de Welles si Randolph Hearst n′avait pas fait l′affaire.

Trust getty miroirs

Getty passe donc ses dernières années dans son palais de style Tudor entouré de sa secrétaire personnelle, de son impeccable majordome, Bullimore, d′un harem (sous contrat) de quatre femmes, de Bela von Block, son biographe appointé et accessoirement de Chace, le chef de la sécurité. Nous sommes en 1973, la Grande-Bretagne est durement ébranlée par le choc pétrolier, l’inflation atteint 25%. Aucun écho ne nous en parviendra.

Cela commence comme Le Roi Lear, avec l′évocation par John-Paul Getty de sa succession devant la tablée de ses femmes. Son courtisan biographe lui en fait la remarque. Comme le roi de Shakespeare qui voulait léguer son trône à la plus méritante de ses filles était incapable de distinguer la fleur vertueuse dans un bouquet de malices, Getty ne parvient pas à se choisir un successeur. Son fils aîné s′est suicidé, les deux suivants suivent des carrières d′artistes, quand au dernier, Paul, les frasques de sa jeunesse, largement imbibées de drogues et d′alcool, ont ruiné ses chances.

Voici qu′au cours d′une réception débarque inopinément un jeune homme, John Paul Getty troisième du nom, fils de Paul, une sorte de Jim Morrisson adolescent, naïf comme on l′est à 16 ans mais, on s′en apercevra plus tard, aussi retors qu′un authentique Getty. Son grand-père croit se reconnaître dans ce jeune homme sans complexe. Il décide d′en faire son héritier après une solide formation sur les plateformes pétrolières. Il est même prêt à lui avancer les 6000 dollars dont il a besoin pour régler ses dettes. Connaissant la pingrerie du personnage, c′est la preuve d′un coup de foudre. Il fait visiter à son petit-fils une ou deux plateformes pétrolières, lui explique l′organisation d′une société qui ne dépend de personne et le montage juridique qui lui permet d′échapper totalement aux impôts.

Trust gamin

Hélas, le propre père de John Paul III, qui ambitionnait le trône, se charge de réduire à néant l′hypothèse du petit-fils en révélant au vieux l′addiction de son fils à la cocaïne.

Echec, donc, de John Paul III qui reprend le chemin de Rome où l′attend sa petite bande de parasites. Pour trouver les 6000 dollars il ne lui reste qu′à simuler son enlèvement. La mise en scène est vite montée avec la complicité de l′un de ses créanciers. Malheureusement, celui-ci a d′autres plans en tête, il passe la main à un authentique mafieux calabrais. Voilà comment débute une affaire qui défraya la chronique en cette année 1973.

Trust mère paparazzi

À Rome, les paparazzi assiègent le domicile de Gail, la mère de John Paul III. Le téléphone ne cesse de sonner pour de fausses revendications d’enlèvement ou des demandes d’interview. Par principe, le vieux Getty prend les devants et annonce son refus de payer. « J’ai 14 petits-enfants, déclare-t-il. Si je paie cette rançon, j’aurai 14 kidnappings ! » Trois mois plus tard, Gail est contactée par les ravisseurs. Ils exigent 17 millions de dollars. Elle ne les a pas, et son ex-mari, Paul, pas davantage. La pression sur le grand-père s′accroît chaque jour sans produire sur lui le moindre effet.

Trust mafia

Les ravisseurs identifiés, Trust devient l′affrontement de deux clans séparés par quelques milliers de kilomètres, celui de Getty, gangréné par les rivalités internes, et celui des bandits de la ′Ndrangheta, qui se voit à l′aube de la fortune. Les deux chefs de ces clans, le vieux Getty et Don Salvatore ne parlent pas la même langue, n′ont pas la même éducation, ni les mêmes vies ni la même histoire mais au fond, ils partagent les mêmes convictions. La séquence où Getty rencontre enfin son « homologue » calabrais, dans les ruines de la maison d′Hadrien, à Rome, les montre palabrant paisiblement, comme deux vieux comparses. Ils partagent une vision archaïque de la société, un rapport nostalgique au passé et une forte conscience de leurs responsabilités. Ce sont deux hommes âgés – deux vieux filous – qui discutent dans un paysage de ruines antiques. Au cours de cette scène, sans doute la plus belle de la série, Getty tombe le masque du tyran clownesque.

Trust Villa hadrien 2

Le vieux roi au seuil de la mort, le palais trop vaste, les fils indignes, les femmes envieuses, l′ombre de la mort partout présente, la mère courageuse qui défie ceux qui s′en prennent à son fils, les luttes intestines pour l′argent et le pouvoir, l′affrontement de deux empires, Trust avait de quoi transformer un fait-divers en brillante tragédie. Un pied dans le tragique, un autre dans le grotesque, Trust pouvait tenir cette ligne de crête en s′appuyant sur le plus strict respect de l′humanité de ses personnages.

Trust split-screen 1

Pourtant, dès le second épisode, Trust redistribue les cartes. On découvre Chace, ancien de la CIA, chef de la sécurité de Getty. Chapeau de cow-boy vissé sur la tête, bolo tie au cou et santiags aux pieds, c′est une caricature que les italiens voient débarquer chez eux, aussi discrète que les éléphants d′Hannibal. Ce Chace multiplie les adresses au spectateur, en regard caméra, tel un valet de comédie qui confie au public son opinion sur les autres personnages ou les situations. À nouveau genre nouveau style, les split-screen divisent l′image en plusieurs points de vue. L′artifice déroute, il ne répond à aucune nécessité dramatique. Deux épisodes sont conçus sur ce modèle, en rupture avec l′esthétique de l′ensemble. Le sous-titre inscrit au stylo sur l’écran par Chace finit de nous précipiter dans la bande dessinée.

Trust BD

Puis, à mesure que l′on s′approche de la fin, l’image privilégie des cadres qui ne dépareilleraient pas dans les magazines de voyage sur papier glacé : paysages vides et enneigés, points de vue zénithaux, lents travellings avant sur un décor vide, images réduites à une stricte mais élégante géométrie. Le choix du blanc comme tonalité de la remise de rançon (vêtements blancs, voiture blanche et valise blanches dans un paysage de neige) laisse perplexe.

Trsut neige cabine 2

En réalité, ce jeu de l′élastique formel contraint le spectateur à constamment changer de pied pour retrouver la ligne mais ne il rompt pas le contrat de la continuité. Car Trust est une série post-moderne. Trust est une œuvre de post-télévision. Si la continuité n′est pas vraiment remise en question, c’est qu′il ne s′agit plus de la continuité d′un récit, comme dans la plupart des feuilletons ou des films, mais de celle de la complicité entre l′auteur et son public. Cela signifie que les ruptures volontaires de forme comme d′énonciation sont là pour mettre le spectateur à une distance choisie, du côté de l′auteur plus que des personnages. Il est invité à croire au récit sans y croire, à apprécier à sa juste valeur la maîtrise audacieuse des codes, à se ranger parmi les petits malins, les non-dupes, nos contemporains.

Un auteur a hélas tort de se prétendre plus malin que ses personnages, ou plus malin que son récit.

Trust Penelope

Seules Anna Chancelor sous les traits de Penelope, la première dame de Sutton Place, ou Hilary Swank qui offre une Gail Getty taillée en mère courage, annulent la distance entre le spectateur et le récit. Ajoutons le personnage de Primo, interprété par Luca Marinelli, qui fait un tueur d′une redoutable froideur s′il n′était discrédité en toute fin par le caprice de l′auteur au sujet du blanc. Ces trois là plus Bullimore, le majordome, qui esquisse vers la fin une touchante ambiguïté, nous auraient emmenés dans un récit beaucoup plus conventionnel, certes, mais autrement plus subtil et plus efficace. Nous aurions préféré, en effet, un récit à une démonstration.

Mais tout espoir se perd tandis que la saison se conclut sur une évocation de Getty en Roi Midas. Les murs, les plafonds, se verre, l′eau dans son verre se transforment en or. On avait commencé par le Roi Lear, on finit par la légende du roi Midas. Ce n′est pas que nous l′ayons déduit de ce que que nous avons vu, ressenti, entendu, soupçonné ou déduit mais bel et bien que cela nous a été clairement asséné.

Welles n′a pas fait de Hearst une marionnette, Brecht n′a pas réduit Hitler à un pantin, au contraire, tous les deux ont, cruellement peut-être, assigné ces figures à leur insondable destin. C’est cela qui manque à Trust, une main invisible.

PS : En réalité, le vieux Getty consentit à participer au versement de la rançon, mais à sa façon. Il avança 2,2 millions de dollars, c′est à dire la somme maximale qu′il pouvait déduire de ses impôts et il prêta 800 000 dollars restant à son fils, au taux d’intérêt de 4 %.

Trust est un feuilleton écrit par Simon Beaufoy et diffusé en 2018 sur FX. Il est interprété notamment par : Donald Sutherland, Anna Chancelor, Hilary Swank, Harris Dickinson , Michael Esper , Silas Carson, Brendan Fraser, Nicola Rignanese, Luca Marinelli , …

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