Au nom de la vérité ne mériterait pas un article si elle ne se différenciait des autres sit-coms par une astuce scénaristique et une pauvreté de moyens quasi-héroïque. D’ailleurs, est-ce une sitcom ?
Les sitcoms et les soap-opera sont les versions contemporaines du photo-roman d′autrefois. Il ne faut pas en attendre plus et on espère qu′un jour d′habiles activistes s′amuseront à les détourner comme les situationnistes le firent de leur ancêtre *. Pour l′instant, et avec beaucoup de retard puisque ce programme date de 2012, satisfaisons nous de l′original et voyons ce que celui-ci nous offre.
Le projet intègre le sentimentalisme bêtasse imposé par le genre. « Chacun d’entre nous s’est déjà retrouvé au moins une fois, au cœur de la tourmente… Au nom de la vérité s’attache à des héros du quotidien en prise avec une décision capitale. Chaque épisode est une tranche de vie dans laquelle chacun peut s’identifier ou projeter sa propre famille. Ces moments qui dérapent, ces accidents de la vie, ces histoires secrètes qui encombrent notre quotidien… C’est tout l’univers de votre nouvelle série » annonce TF1.
Là, pourtant, n′est pas l′essentiel, car, comme ses concurrentes, Au nom de la vérité réussit à vampiriser une autre forme du photo-roman moderne : la télé-réalité. Si celle-ci est plus authentiquement télévisuelle puisqu′elle se fonde un pseudo-direct quand la sitcom tire, elle, davantage vers le théâtre de boulevard, la fusion des deux met à l′honneur deux procédés narratifs d′importance : le confessionnal et le récit off.
Le confessionnal a été abâtardi depuis Le Loft. Les explications des participants sur leur conduite ne se déroulent plus dans un placard tendu de violet – signe de pénitence – mais sur un fond coloré aussi kitsch que les décors de l′émission. Néanmoins, il s’est imposé comme une figure de style incontournable de la télé-réalité.
Le récit off, lui, vient du documentaire mais il n′a cessé de contaminer les fictions pour masquer les ellipses excessives ou rappeler à intervalle régulier la situation à laquelle nous sommes parvenus.
Tout comme Le Jour où tout bascula et les programmes de ce genre, Au nom de la vérité recycle donc ces deux rhétoriques. Après une scène entre deux personnages, par exemple, l’un des deux prend le temps de justifier face caméra le pourquoi et le comment de son comportement. Un commentaire off permet ensuite de le retrouver quelques minutes ou quelques heures plus tard.
Qu′on me permette de donner en exemple un début d′épisode :
Gaspard rentre chez lui, c′est à dire chez sa mère chez laquelle il demeure désormais :
Commentaire off : « Nous sommes à Noisy-le-sec, en région parisienne. Après avoir rompu avec sa petite amie, Gaspar, étudiant en psychologie, est revenu vivre chez sa mère, Patricia, en attendant de trouver un nouvel appartement »
Suit une scène dialoguée sans intérêt majeur entre Gaspard et sa mère à l′intérieur de la maison.
Puis : Commentaire off pour préparer la transition avec le dialogue suivant : « Même si Gaspard n′a plus de sentiment pour son ex-petite amie Samantha, la séparation reste difficile car la jeune femme ne semble pas accepter la situation »
Seconde scène dialoguée entre le fils et sa mère où les deux évoquent le problème affectif de Gaspar.
La sonnette de l′entrée annonce Samantha. Confession de Gaspard seul, face à la caméra : « Samantha, c′était mon premier amour. On a passé trois ans ensemble dans un petit appartement à côté de la fac. C′était génial, mais je ne suis plus amoureux et elle a du mal à l′accepter. »
Confession de la mère, seule, face caméra : « Pauvre Gaspard ! Sa rupture avec Samantha s′avère compliquée. Mais bon, il faut reconnaître qu′elle a un sacré caractère ! Moi je suis sûre que ça va finir par s′arranger. Et puis, euh… je suis là pour lui ! Il sait qu′il peut compter sur moi.»
Scène extérieure, Gaspar sort du pavillon ;
Commentaire off : « Quelques minutes plus tard, Gaspard redoute le face à face avec son ex-petite amie Samantha, elle aussi étudiante en psychologie. Pourtant, la jeune femme va se montrer plus conciliante qu′il ne se l′imaginait .»
Tout cela prend trois minutes, scènes dialoguées comprises, sur les vingt-quatre de l′épisode. Le temps est ainsi étonnement modelé, sans la moindre concession au réalisme. Les informations essentielles (Gaspar s′est séparé de Samantha qui l′aime pourtant toujours) sont formulées à quatre reprises : une première fois par le commentaire off, une seconde fois dans la scène jouée, une troisième fois dans la confession de Gaspar et une dernière fois dans la confession de la mère. On comprend qu′à ce rythme l′action progresse peu, comme si le conflit psychologique du personnage principal avait gélifié l′ensemble du récit. On a rarement atteint un tel étirement du temps, ce temps réduit à n′évoquer qu′une simple et unique action qui, de surcroît, est déjà passée : la rupture de Gaspard et de Samantha. Le temps subjectif des personnages – on pourrait dire d′un seul des personnages – se substitue au temps objectif des horloges. Tout est prodigieusement ralenti par la répétition du même.
Il ne faut pas prendre à la légère cette vampirisation de formes d’énonciation propres à d’autres genres télévisuels. La distinction entre effets de réalité et effets de fiction s’estompe. On a vu cela dans un grand nombre de documentaires historiques où les évocations d’une époque sont mises en scène, entre deux interviews d’historiens. Pour répondre à la question posée en introduction, avec Au nom de la vérité ou avec Le jour où tout bascula, nous ne sommes plus dans la sitcom traditionnelle mais dans une autre forme : la réalité scénarisée (de l’anglais scripted reality). Celle-ci est définie par le Ministère de la Culture comme un « genre de programme télévisuel tiré de faits divers ou de situations de la vie courante, empruntant aux procédés du reportage et recourant à des scènes reconstituées afin de produire un effet d’authenticité. » Le CSA est dans l’embarras devant cet hybride qu’il ne sait où caser. Fiction, documentaire ? La question elle-même se pose-t-elle….?
On pourrait en effet rappeler aux autorités de tutelle qu’en 1922 Flaherty avait déjà mis en scène les esquimaux de Nanouk. Godard disait d’ailleurs au sujet de ce film : « »Quand on lit le récit du tournage de Nanouk de Flaherty, qu’on prend pour un documentaire, on apprend que Flaherty a payé ses Esquimaux, il s’est disputé avec eux, il les a forcés à pêcher du poisson tous les jours alors qu’ils n’en avaient pas envie, bref, il a fait une équipe de cinéma avec eux et ce fut du coup un ethnologue formidable. »
Au nom de la Vérité est un document ethnologique, c’est Nanouk en 2018, à Noisy-le-sec.
* http://www.mucem.org/programme/exposition-et-temps-forts/roman-photo
Au nom de la vérité est une série quotidienne par Serenity Fiction et diffusée depuis 2012 sur TF1.