Dix pour cent est un ruisseau qui se laisse caresser par les herbes des prés. Transparent et frais, il contourne les obstacles, s′étale lorsque ses berges s′effacent, reprend son lit sagement quand elles l′étreignent. On peut en regarder les trois saisons sans dommage. Le microcosme d′une agence d′acteurs est un lieu formidable. Celui de l′agence ASK en particulier puisqu′on y croise au fil des épisodes tout ce que la France compte de vedettes du cinéma. C′est un lieu de passions, d′emballements et d′improvisation où les colères s′apaisent vite et où les blessures sont rapidement consolées. Concurrence entre agents et entre leur agences, petites trahisons, subterfuges et complots de bouts de chandelle, liaisons secrètes, cette agence est une scène de théâtre. On y donne chaque jour la représentation d′une comédie à quatre personnages principaux : Matthias, Andréa, Arlette et Gabriel,, accompagnés de leurs valets Camille, Noémie, Hervé, tous effondrés par le décès de leur patron et abandonnés en roue libre jusqu′à ce qu′un nouveau ne prenne les commandes, Hicham. Matthias, Arlette, Andréa et Gabriel sont agents artistiques associés. Chacun détient son propre fichier de « talents », c′est à dire d′acteurs, et une part de la société.
Chaque épisode introduit un nouvel invité qui apporte son ingrédient : Isabelle Huppert fait chevaucher ses tournages en dépit de ses contrats, François Berléan et son jeune metteur en scène ne se supportent pas, Guy Marchand a des trous de mémoire suite à une petite attaque, Cécile de France fait trop âgée pour un rôle, Juliette Binoche, présidente du Festival de Cannes, est poursuivie par un homme d′affaires, les relations catastrophiques de Joey Starr et Julie Gayet déstabilisent un tournage, Nathalie Baye et sa fille Laura Smet regimbent quand on leur propose de jouer ensemble, Jean Dujardin ne parvient pas à s′extraire de son personnage, Monica Belluci cherche un amant, Line Renaud et Françoise Fabian se livrent à une compétition féroce, Julien Doré tourne son premier film, et j’oublie Fabrice Lucchini, Gérard Lanvin, Isabelle Adjani, Audrey Fleuriot, Béatrice Dalle, etc… Ces petits drames paraissent souvent tirés par les cheveux, et s′ils sont parfois issus des souvenirs du producteur/agent artistique/directeur de casting Dominique Besnehard qui a initié le projet, ce ne sont que des prétextes, on l′admet assez vite.
Nos quatre agents, eux, doivent rattraper chacune de ces situations périlleuses au prix, le plus souvent, de pieux mensonges ou de mises en scènes retorses. Il leur faut aussi gérer simultanément leurs propres vies affectives, toutes aussi hasardeuses. Dans ce sac de noeuds où les carrières s’emmêlent dans les vies privées, les parois vitrées des bureaux ont remplacé les portes par lesquelles on entre ou bien l’on sort mais le registre théâtral reste le même.
Camille, la fille cachée de Matthias, déboule sans prévenir chez ASK et est embauchée comme assistante d′Andréa. Cette dernière, Don Juan en jupon, séduit toutes les jolies filles à sa portée jusqu′à tomber amoureuse de l′inspectrice des impôts qui passe au crible les comptes de l′agence. Le trop sentimental Olivier cède aux charmes de la jolie standardiste et la lance comme actrice avant de culbuter dans les affres de la jalousie. Quand à Matthias lui-même, ses secrets et ses stratégies alambiquées sont autant d′impasses dans lesquelles il finit par se perdre.
Les fées ont dû se pencher sur le scénario de ce feuilleton tant il est joliment filmé et interprété. En oubliant deux ou trois caricatures qui auraient pu être évitées, certains plans resteront longtemps en mémoire. Je pense, entre autres, à la séquence finale de la première saison où l′ensemble de la petite équipe quitte l′agence ensemble et marche de nuit dans Paris, s′égrenant peu à peu en chemin. Deux prennent le taxi, deux autres s′arrêtent pour s’embrasser, les deux derniers s’enfoncent dans la perspective d’un pont, la nuit, à la recherche d’un cinéma…
Cette aimable construction dramatique repose sur la complicité avec un public qui reconnaît immédiatement les acteurs invités – ses acteurs – et s’amuse à les voir interpréter leur propre rôle. Nous sommes à la maison, entre nous, pantoufles aux pieds, et c’est agréable. Les acteurs sont d’une rare justesse et semble jubiler, eux-aussi, à faire leur métier.
Mais puisque 10 % ne parle que d′acteurs, de tournages, de cinéma, quelle idée du cinéma donne-t-il ? L′idée la plus conventionnelle, celle où la sueur disparaît derrière le talent et l′argent derrière les coupes de champagne, celle dont l’acmé serait le Festival de Cannes ? La mise en scène du cinéma par lui-même est aussi vieille que le cinéma. Fascination du dispositif de fascination. On est plus près de Chantons sous la pluie que de Sunset Boulevard. Les rappels de musiques de films, le naturel des acteurs, la caution des célébrités, la grande salle du Palais des Festivals de Cannes, les multiples scènes de tournage, le silence pudique au sujet des cachets et des droits, le désintérêt du travail des techniciens, en un mot l’absence de tout ce qui peut rappeler l’argent et la technique, concourent sans faillir à l′entretien du mythe. La sueur, les mains sales, les fins de mois, le statut des intermittents n’existent pas dans ce cinéma-là. Même le nouveau patron, ce jeune loup de l’ère des starts-up, paraît bien humain et sympathique.
Pour échapper à l’inévitable reproche de complaisance, l′astuce des auteurs aura été de rompre le charme dans les dernières minutes et de faire condamner l’un des personnages au nom d’une morale qui n’en a que le nom. Le plus madré de tous ces roublards d’agents artistiques chute pour avoir franchi les limites de la roublardise*. Il y avait un loup parmi les renards. Dix pour cent est une fable plutôt que le portrait d’un métier. Il ne se situe pas au niveau du réalisme social mais à celui du conte où les personnages sont ce qu’ils sont et en sont logiquement récompensés ou puni. Il manque ce dont les jours sont faits, concrètement. On ne s’appesantit jamais, ce qui est une qualité. Un peu de cruauté, pourtant, ne saurait nuire. Même dans une comédie.
Dix pour cent est un feuilleton en trois saisons créé par Fanny Herrero sur une idée de Dominique Besnehard et diffusé sur France 2. La direction artistique a été assurée par Cédric Klapisch. Ce feuilleton est interprété notamment par : Camille Cottin, Thibault de Montalembert, Grégory Montel, Fanny Sydney, Liliane Rovère, Assaad Bouab, Laure Calamy, etc.
Note :
* Dure loi du monde des affaires capable, par ailleurs, de jeter en prison un capitaine d’industrie guère plus voleur que ses égaux, l’affaire Carlos Goshn nous l’a opportunément rappelé en fin de dernière saison de Dix pour Cent. Fascinante synchronisation de la réalité et de sa représentation télévisée…
Pingback: L’Opéra | les carnets de la télévision