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Le complotisme qui s′épanouit de nos jours plonge en bonne partie ses racines dans l′Amérique de la Guerre Froide. Soucoupes volantes, extra-terrestres, Area 51, affaire Roswell, assassinat de Kennedy, entre les hallucinations des uns, les canulars des autres et les expérimentations secrètes de l′armée ou les machinations de la CIA, il y a là un terreau inépuisable sur lequel prospère la bêtise humaine depuis lors.

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À la suite du Projet Sign puis du Projet Grudge, le Projet Blue Book, fut une commission créée au sein de l′US Air Force afin d′enquêter sur les OVNI à une époque où ils avaient tendance à pulluler. Elle fonctionna de 1952 à 1969 et recruta en son sein des scientifiques dont l′astronome Josef Allen Hynek. Selon ce dernier, l′objectif de l′armée de l′air était plutôt de prouver l′inexistence des soucoupes volantes que de véritablement étudier le phénomène. Il ne pouvait s′agir pour elle que de ballons météorologiques, d′avions, de météorites et de phénomènes parfaitement naturels. Hynek, qui était tout à fait sceptique lors de son embauche, s′irrita des obstacles mis par l′armée et finit par modérer sa position initiale en reconnaissant qu′une bonne partie des observations était inexplicable*.

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C′est l′histoire de ce Josef Hynek que raconte Project Blue Book et elle le fait avec un indéniable souci de véracité. Il n′y est pas jusqu′à l′apparence physique du personnage principal qui ne soit précautionneusement respectée, barbiche et chapeau compris. Chaque épisode étant autonome et s′articulant autour d′un fait extraordinaire particulier, on peut parler de série tout autant que de feuilleton. C′est d′ailleurs la cause de la faiblesse structurelle de Project Blue Book, du moins dans sa première moitié. Au fil de la saison, le cadre d′une enquête par épisode devient frustrant tant il contraint chaque récit autonome dans les mêmes limites de durée. Mais surtout, la succession trop mécanique des enquêtes tue le rythme de l’ensemble. C′est le piège tendu à toute série et ce à quoi échappe le feuilleton qui peut se permettre, lui, de moduler la consistance narrative des épisodes et gérer le temps à l′échelle d′une saison ou plus. Ceci étant dit, à partir du 6ème épisode, une narration en second plan se met en place qui réduit l′importance du récit propre à chaque épisode et apporte enfin une cohérence à l′ensemble. Le feuilleton commence vraiment.

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Les rapports entre Hynek et l′armée d’une manière générale, et en particulier avec le capitaine qui le tient en laisse, varient tout au long de la saison. On frôle sans cesse la rupture, on finit même par en venir aux mains, avant se réconcilier. Certes, on peut penser que Hynek a intérêt à démasquer les supercheries et les illusions qui irritent l’armée puisque lui-même est sceptique. Ce sont les méthodes des militaires qui l’agacent, leur refus d’écouter et de chercher à comprendre. Il n′est là que pour crédibiliser leurs versions. De plus, ce que lui révèle le mystérieux homme en noir qui l’informe en cachette, ne lui permet de douter ni de la duplicité de ses employeurs ni de la réalité des évènements qu’il étudie.

Au-delà de ces soucis, la série navigue dans les eaux incertaines qui séparent la bonne foi des témoins de phénomènes para-normaux et la mise en scène de ces derniers, empruntée à l′esthétique du fantastique. Les scènes nocturnes sont privilégiées, avec de belles réussites visuelles lorsqu′il s′agit d′irréaliser un décor naturel. On imagine bien que faire cohabiter la vie quotidienne d′américains moyens avec l′apparition miraculeuse de vaisseaux venus de l′espace est une gageure. Elle est facilement soutenue grâce à des effets visuels utilisés parcimonieusement et avec une notable prédilection pour les ambiances nocturnes et les tonalités vert-bleutées.

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Tout cela manque néanmoins de pulpe – si je puis dire -, de « verve dramatique » comme l’écrit un critique américain. Rien ne manque pourtant, ni les personnages, ni les dialogues, ni les axes de caméra, ni les grosseurs de plan. La vie privée de Hynek aurait pu offrir cette matière manquante et les tentatives de séduction de sa femme par une adorable espionne auraient pu servir de prétexte. C’est peine perdue. Quelque chose ne « prend » pas, tout simplement, ce quelque chose qui nous séduirait et nous entraînerait dans le mouvement du récit. Cela tient vraisemblablement aux affects, à la retenue des personnages dans leurs comportements ou leurs expressions, à leur trop perceptible inhibition.

Autrefois, avec très peu de moyens, Les Envahisseurs (The Invaders, 1967-68), avait réussi à nous convaincre de l′intrusion d′extra-terrestres au coeur de l′Amérique profonde et à nous faire palpiter aux aventures de celui qui les avait démasqués mais se heurtait à l’incrédulité générale. Si j′évoque cette série ancienne, c′est parce que le parallèle entre les deux s′impose naturellement : c’est la même époque de référence, le même sujet.
Entre Project Blue Book et Les Envahisseurs, une autre série fait le lien : The X-files, immense succès des années 1993 à 2002, plus proche encore de Project Blue Book puisqu′elle mettait en scène deux enquêteurs du FBI chargés d′étudier de multiples phénomènes paranormaux.
X-files proposait deux personnages opposés : la sceptique et très rationnelle Scully imposée par la hiérarchie du FBI à un agent Mulder versé dans le paranormal et persuadé de l′existence d′un complot. La quête de Mulder pour retrouver sa sœur Samantha disparue dans des circonstances étranges était le fil rouge qui courait tout au long de la série. Des personnages secondaires tels que le bienveillant Skinner, le diabolique homme à la cigarette, le redoutable Alex Krycek ou les cocasses Lone Gunmen complétaient la distribution. X-files réussissait à recycler l′imaginaire du paranormal au service de l′intrigue, sans que l′on en soit dupe. La fiction s′affirmait comme telle, allant jusqu′à attribuer à la principale figure du complot, l′homme à la cigarette, aussi bien l′assassinat de Kennedy, que celui de Martin Luther King et qu′une collusion avec les extraterrestres. Mieux, le fait qu′il soit aussi présenté comme un écrivain raté, dont le seul manuscrit publié – l′histoire de sa vie – aurait été publié par un éditeur pornographique, suffisait à mesurer le second degré dans lequel toute la série baignait. On est loin de Project Blue Book qui repose sur des faits authentiques ** et se garde de tout humour.

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D′une façon plus austère, Les Envahisseurs décrivait l′Amérique des périphéries délaissées, peuplée d’incultes hostiles envers les étrangers et, plus généralement, envers tout ce qui leur semblait différent. Les Envahisseurs retournait comme un gant la peur d′une invasion extra-terrestre ou communiste – ce qui était un peu la même chose – en critique sévère d′une certaine Amérique.
Traitant de la même époque, les années 60, Project Blue Book préfère dépeindre une Amérique où les croyances irrationnelles, la science et la raison d′Etat se confrontent. Dans la scission entre une population crédule et le pouvoir incarné par l′Armée, s′immisce la science, départageant habilement l′une de l′autre. Parfois elle dénonce l′hypocrisie de militaires qui expérimentent secrètement des substances toxiques, d′autres fois elle démonte une mystification montée de toutes pièces par des faussaires ***, mais parfois aussi, elle reconnaît ne rien y comprendre.
Moins cinglant que Les Envahisseurs, Project Blue Book offre ainsi une alternative qui ne nie pas les conflits mais où la raison recouvre ses droits et où, simultanément, l’imagination n’est pas étouffée. Hynek écoute tous les témoins qui se présentent, il note leurs confessions, les soumet au crible de la logique scientifique. C’est l’homme de raison, l’honnête homme au pays des hystériques.

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L′Amérique que la série-feuilleton décrit n′est pas seulement celles des années 60 et pas seulement l’Amérique. Comme la plupart des séries et malgré sa rigueur factuelle, Project Blue Book s′adresse d’abord à nous, à l′époque que nous traversons, où les tensions s′exacerbent, où chaque évènement se voit interprété contradictoirement, où la science est contestée par la croyance, où plus aucun discours raisonnable ne parvient à s′imposer. On a suffisamment évoqué l′Amérique délaissée, rurale ou post-industrielle, qui s′est choisie un représentant aussi caricatural que Trump. Cela aurait pu tout aussi bien être la Hongrie d′Orbán, l′Israël de Netanyahou, les Philippines de Dutertre, le Brésil de Bolsonaro.

Notes :


* En 1960, Hynek créa un réseau informel de scientifiques du nom de Collège Invisible, un réseau informel de scientifiques intéressés par une étude rigoureuse du phénomène ovni. À partir du Collège Invisible, il créa en 1973 le Center for UFO Studies.
** Le site de la Chaîne History propose les documentaires relatifs aux évènements traités, à découvrir ici.
*** Il faut rappeler que sans être une tricherie mais tout simplement un poisson d’avril, la remise en cause des premiers pas d′Armstrong sur la Lune et la légende d′un tournage en studio par Kubrick est entièrement née d′un documentaire de William Karel diffusé le 1er avril 2002 sur Arte.par chaque épisode.

Project Blue Book est une série américaine créée par David O’Leary et diffusé début 2019 sur la chaîne History. Elle est interprétée notamment par : Aidan Gillen, Michael Malarkey, Laura Minnell, Michael Harney, Ksenia Solo, Neal McDonough, Robert john Burke….

Une réflexion sur “Project Blue Book

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