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The Spy est l′histoire authentique d′Eli Cohen, un espion israélien qui s′infiltra au plus au niveau du gouvernement syrien. Démasqué, il fut pendu en place publique le 18 mai 1965. Sa contribution fut telle qu′elle est reconnue par les Israéliens comme un des facteurs importants de leur victoire de la guerre des 6 jours et qu′Eli Cohen est toujours considéré par eux comme un héros national.

Réduite à 6 épisodes, comme cela est devenu la norme sous l′empire de Netflix, la série a du mal à raconter tant de choses en si peu de temps, aussi le fait-elle avec une sécheresse que la rigueur historique cautionne mais qui ne satisfait pas complètement le désir de romanesque. Si le problème s’était limité à ce détail, la critique aurait pu mener à une réflexion intéressante sur la façon de rapporter des faits historiques. Elle se contentera hélas de bien moins.

The Spy Eli + Chef

La première irritation tient à la production en 2019 d′une série à la gloire d′un héros israélien combattant un pays arabe, au moment où Israël s′est proclamé Etat-Nation du peuple juif et a imposé l′hébreu comme seule langue officielle, au détriment de la minorité arabe israélienne. Au moment où le premier ministre, menacé de procès pour corruption, provoque des élections anticipées et promet pendant sa campagne d′annexer une partie de la Cisjordanie et de légaliser les colonies sauvages israéliennes pour complaire aux plus extrémistes des électeurs. Au moment aussi où le président américain reconnaît Jérusalem comme capitale d′Israël pour satisfaire les évangélistes qui comptent ainsi hâter le règne de Dieu sur Terre. Au moment enfin où Israël maintient Gaza dans une cage à ciel ouvert et bombarde le Liban, la Syrie ou Gaza selon ses besoins à moins qu’il ne fasse pression sur les USA pour réduire l’Iran en cendres. Faire l′éloge d′un héros militaire israélien dans ces conditions est une prise de position qui assigne Israël à son état de guerre permanent avec les pays voisins et le décrit sous la forme d’une forteresse assiégée.

La seconde faute de The Spy est de ne pas respecter ses spectateurs. N′insistons pas sur la lourdeur pachydermique de plans tels que les deux ci-dessous qui signifient respectivement : « la nouvelle se répand en Syrie » puis « la nouvelle se répand en Israël ».

The Spy nouvelles SyrieThe Spy nouvelles israêl

Venons-en directement au héros qui est l’objet unique du récit. L′homme est du genre ordinaire, mais d′un ordinaire patriote. Il se distingue rapidement par son obstination des autres postulants aux services secrets. Il ne doute pas, ne remet rien en cause, on cherche en vain la faille, il n′en a pas. Il est loyal à son pays, loyal à sa femme et à sa famille. Pour le bien de son pays, il s’éloigne pourtant sa vie de famille et accepte de ne pas voir ses filles grandir. Premier signe distinctif du héros : rien ne le détourne de sa quête. Infiltré à Damas après un passage par Buenos Aires, il risque sa vie à chaque instant et semble indifférent au danger. Second attribut du héros : il n’est déjà plus de la chair des autres hommes. En quelques années, il devient le conseiller du président syrien et se voit proposer le vice-ministère de la défense. Son chef direct s′en émeut, mais au sommet de l′Etat, on choisit de pousser l′avantage jusqu′au bout, quitte à le perdre. Il obéit sans trop discuter. Troisième attribut du héros : il se sacrifie à la cause supérieure. On pourrait en effet raconter son histoire dans ce style télégraphique, sans rien en trahir de sa dimension légendaire. De tels héros d′acier relèvent d′une propagande archaïque qu′on aurait pourtant souhaité enterrée depuis longtemps.

The spy espion
L′histoire du véritable Eli Cohen est connue et, si on ne la connaît pas, le début du premier épisode nous raconte la fin de l’histoire, tuant dans l′oeuf tout désir de suspens. De suspens, il n′y en aura d′ailleurs jamais, le récit se déroulant mécaniquement sur le même rythme jusqu’à sa conclusion connue d’avance : l’espion sera démasqué et pendu.

Pourtant, si l′espionnage est un domaine où le cinéma comme la littérature nous ont donné quelques chef-d′œuvres, c′est parce qu′au contraire de The Spy, il est propice aux ombres et aux clairs obscurs. Tout y est réversible, les loyautés comme les amours, les convictions comme les attaches. L′individu y affronte des puissances cyniques qui calculent sur le long terme, souvent en pure perte. Le monde de l′espionnage est un château de sable où s′affrontent des guerriers désabusés. On s′engage pour défendre un idéal, ou quelque chose qui y ressemble, on revient débarrassé de toutes ses illusions. En ce sens, toute belle histoire d′espionnage est un roman d′initiation nihiliste.

The Spy réception Bs As

Rien de tout cela dans The Spy qui reste à distance d′un personnage fait d′un seul bloc et dont le patriotisme est l′unique boussole. Or s′il y a bien quelque chose de fondamental dans le cinéma comme à la télévision, c′est bien cette affaire de distance. Et pas seulement la distance de la caméra aux corps, mais celle des spectateurs aux êtres. C′est là l′essence de toute création ciné-télévisuelle. Le moindre interview de Léo Ferré par Denise Glaser ou de Roger Vaillant par Pierre Desgraupes nous l’a apprit. Avant de se lancer dans une fiction, il faudrait regarder tout cela, comprendre ce qu′est la télévision , comprendre sa force et ses faiblesses. Tout au contraire, Eli Cohen reste lointain, opaque, tel un robot qui accomplirait les tâches que lui ordonnent ses chefs. De lui, de son lui intime, on ne saura définitivement rien.

Et comme s′il était nécessaire d′insister encore pour que le message entre tout entier, tout le reste s′y met : Les décors sobrement gris du monde israélien contrastent avec ceux, criards et colorés, de la ville syrienne. La propreté et dépouillement des architectures comme des costumes israéliens s′opposent à la grandiloquence syrienne, la décence des mœurs des Israéliens dénonce les orgies de l′élite syrienne.

The Spy réunion de travailThe Spy fête

Le montage alterné poursuit sa logique démonstrative. Le grand chef des services secrets israéliens écoute religieusement la radio qui énonce la liste des noms des juifs rescapés des camps de concentration dans l’espoir d′entendre ceux de ses soeurs, quand un général syrien fait assassiner tous les innocents qui se trouvent sur sa route à l’occasion d′un coup d′Etat. Respect des morts d′un côté, irrespect de la vie de l′autre. Et je passe sur la profanation des cadavres de soldats israéliens par la foule syrienne…

The Spy chef + radioThe Spy soldats assassinés

D′une façon générale, les Israéliens sont présentés comme disciplinés et rusés tandis que les Syriens sont stupides et cruels. On est atterré. L’alternance des séquences entre les deux pays non seulement favorise la comparaison mais elle l’automatise. Il ne reste plus de place à la moindre réflexion, à la moindre interrogation. Il faut malheureusement reconnaître que le schématisme de The Spy semble ne pas avoir choqué la majorité de la presse qui préfère acclamer la performance de l’acteur Sacha Baron Cohen.

PS : Il y a quelques années, Gideon Raff nous avait offert une réalisation plus subtile avec Hatufi, adaptée par les Américains sous le titre de Homeland. Il est consternant de constater que cette veine s’est épuisée quelque part dans les sables du Golan.

The Spy est un mini-feuilleton écrit par Gideon Raff et Max Perry, produit par Legende production pour Canal+ et Netflix et diffusé sur ces chaînes en 2019, en France par OCS (Orange). Il est interprété notamment par : Sacha Baron Cohen, Hadar Ratzon-Rotem, Noah Emmerich, Moni Moshonov, Mourad Zaoui, Alexander Siddig, Waleed Zuaiter, …

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