Quand on regarde The Outsider, en ayant oublié que l′auteur de l′histoire originale est Stephen King, on croit aborder une œuvre à l′esthétique volontariste. L′obscurité, les pénombres denses dominent l’immense majorité des plans, même lorsqu′il s′agit de scènes en intérieur, au domicile d′un personnage par exemple, créant une insistante continuité des ombres. On est facilement séduit par ce parti pris qui s’écarte un brin de la norme.
Hopper aurait pu peindre beaucoup des plans de The Outsider, s′il n′avait peint que de nuit et presque sans lumières artificielles. Le climat que ces images installe est prenant, il faut le reconnaître, du moins jusqu′à ce que l′on prenne conscience de l′arrière-plan sonore, entièrement dédié à des grondements musicaux chargés d′entretenir un climat d′inquiétude. Nous sommes chez Stephen King. Il ne s′agit pas de raconter une histoire policière au moyen de choix esthétiques originaux mais de recourir aux lieux communs d′un genre, le fantastique.
Le reste enchaîne très vite : un meurtre d′enfant est commis par un individu rapidement identifié. Un inspecteur arrête le suspect, en public, au cours d’un match de base-ball. Son propre fils a lui-aussi été assassiné quelques temps plus tôt, il a des comptes à régler. Serait-ce par le même meurtrier. Toutefois, au fil de ses recherches de preuves, la police constate, médusée, que le suspect était au même instant à des centaines de kilomètres de là. La police est dépassée, le procureur, trop pressé, inculpe au plus vite avant que l′enquête ne s′effondre comme un château de cartes. Malheureusement, entre-temps, le suspect est abattu sur le chemin du tribunal.
Les contradictions apparues au cours de l′enquête sont trop flagrantes. Rongé par la culpabilité, l′inspecteur tente de renouer avec la femme du suspect. Il s′allie même avec son avocat qui, en plus de son détective attitré, en embauche une autre, de Chicago, pour mener la contre-enquête. L′affaire déborde de la Géorgie, il faut montrer patte blanche aux polices locales. D′autres meurtres sont commis, des enfants manquent d′être enlevés, la menace rôde, invisible et capable de prendre n′importe quel visage. Y compris celui d’une femme, incarcérée elle aussi pour meurtre d’enfants et qui clame son innocence.
Holly, la détective de Chicago a des talents de devineresse. Moitié comme ces personnes autistes qui parviennent à effectuer des calculs insensés ou à se souvenir de livres entiers sans les avoir vraiment lus, moitié comme une prêtresse vaudou qui traiterait d′égal à égal avec les esprits. Elle est, bien évidemment, noire.
Ralph, l′inspecteur, est construit à l′opposé. Père d′un garçon lui aussi assassiné, il semble flotter dans sa douleur comme dans un costume trop large. Il ne lui reste pour boussole que son refus de l′irrationnel. Hélas, son inertie en fait un personnage en creux, frappé de léthargie tandis que les autres autour de lui s′activent et finissent par s′accorder sur ce que le spectateur a déjà compris. Ses entretiens avec son psychologue, entre autres, ralentissent inutilement l′action. Quel intérêt peut bien avoir un débat entre rationalisme et superstition dans un feuilleton ouvertement fantastique ? Chacun a déjà compris que l′ennemi est un être invisible qui prend possession d′individus pour assouvir sa soif de meurtres.
La série dérape et chute dans le grotesque lorsque Jack Hoskin, un collègue de Ralph, tombe sous le pouvoir du monstre. Outre une scène digne des films d′horreur de série B où le démon prend les traits de sa mère pour le tabasser, tout ce qui touche à la déchéance du personnage est particulièrement pesant. L′insistance avec laquelle la série accumule les images de ses stigmates devient aussi pénible que l′inertie du héros.
Le fantastique prend toujours le risque du ridicule, c′est sa faiblesse. Je ne parle évidemment pas du fantastique d′Edgar Poe, Kafka, Stevenson ou même, dans un autre genre, du génial Franju, je parle de celui qui a fait les beaux jours de la Série B et qui est l’héritier du Boulevard du Crime. Tout ce qu’Outsider expose y est déjà : l′obscurité, la créature invisible et informe qui prend possession des êtres, les enfants, nécessairement victimes, le fou délirant, la maison ou grange isolée, la pénombre des grottes, les effets sonores… Pour éviter ces ornières, il aurait sans doute fallu aller puiser ailleurs que chez une machine à publier dénommée Stephen King, aussi populaire soit-elle.
The Outsider est un feuilleton américain adapté par Richard Price de l’oeuvre homonyme de Stephen King et diffusé en 2020 sur HBO. Il est interprété notamment par Ben Mendelsohn, Jason Bateman , Cynthia Erivo, Bill Camp, Marc Menchaca,…