Il n′y a rien de plus désagréable que d′étriller une œuvre avec laquelle, au fond, on est politiquement en accord. C′est le drame de la critique : se montrer toujours trop exigeant, réclamer que la forme s′adapte exactement au fond, n′accepter un propos que s′il est non seulement cohérent mais aussi énoncé d′une façon propre à son sujet, c′est-à-dire aussi juste dans l′intention que dans l′expression, parce que l′une ne peut aller sans l′autre sous peine de trahir l′essentiel.
On n′en sort pas.

Il est incontestable qu′Unorthodox est une œuvre émouvante. Nous ne le contesterons donc pas.
Que ses quatre longs épisodes forment une série est une autre question à laquelle on répondra évidemment non. Unorthodox n′est qu′un téléfilm de 4 heures découpé en 4 parties. Adapté d′un roman autobiographique, il prend certes quelques libertés avec le texte original, avec l’assentiment de son auteure, mais assure avec constance sa mission de dénoncer l′oppression des femmes dans la communauté des juifs hassidiques.
Ainsi, née dans une communauté de juifs orthodoxes aux USA, Esther (Etsy) Schwarz y a été élevée dans l′unique perspective de rester au foyer et de donner naissance à autant d′enfants que possible comme toutes les femmes. Mariée avec un jeune homme choisi par une marieuse, elle ne parvient pourtant pas à franchir l′étape des rapports sexuels. Son ignorance sur le sujet est abyssale. Malheureusement le temps passe et, devant l′absence de grossesse, la pression sociale croît jusqu’à devenir chaque jour plus insupportable.

Etsy étant une jeune fille, c′est par les femmes que l′oppression s′exerce. La mère de son mari, la première, qui s′immisce honteusement dans la vie du couple, la marieuse/conseillère conjugale/sexologue improvisée ensuite, qui lui fournit de quoi s’entraîner, les autres femmes de son âge enfin, qui surveillent ses allées et venues, etc… Car sa propre mère n’est plus là pour l’aider. Elle a abandonné le foyer depuis des années pour fuir un mari alcoolique.
Avant de disparaître, la mère d’Etsy a cependant pris le temps de remettre à sa fille des documents attestant d’une possible double nationalité allemande. C′est donc vers Berlin, qu′Etsy décide de s′évader quand elle constate qu′elle est enceinte.
Choquée par la découverte, sur place, des relations homosexuelles de sa mère, elle ne lui demande pas asile. Par chance, elle croise aussitôt après le chemin d′étudiants du conservatoire de musique qui l′intègrent leur groupe. La fugueuse ne souffrira pas trop longtemps de la précarité d’une réfugiée.

De l′autre côté de l′Atlantique, le rabbin a lancé sur ses traces son mari et un cousin de celui-ci. Etsy n′est pas seulement une femme qui a quitté son mari, c′est une mère qui enlève un futur enfant à la communauté.
En dépit des efforts de ses poursuivants, Etsy ne rentrera pas aux USA et réussira finalement à se faire admettre au conservatoire de Berlin dans un programme d′études musicales destiné aux personnes en difficulté grâce à sa culture musicale yiddish.
Cette fin heureuse n’efface pas la dureté des épreuves passées. En plus de l′adaptation à de nouvelles règles de vie, de la nécessité de fuir les deux hommes qui la traquent maladroitement, de la difficulté de communiquer avec sa mère et du rejet de sa grand-mère qui l′a élevée, des flash-backs rappellent ce à quoi elle échappe : sa vie à New York, avant, pendant son mariage et au cours de l′année qui suivit. À la cérémonie du mariage elle-même, le téléfilm consacre une si longue séquence que l′on bascule presque dans le documentaire.

Tout aussi passionnant est d′entendre les conversations tenues en yiddish au sein de la communauté hassidique. Unorthodox est historiquement la première série réalisée en cette langue (et en anglais). Lorsqu′on a aucune éducation en judaïsme, on apprend également quantité de coutumes que l’on ignore comme celle de raser la tête des femmes mariées et de les coiffer de perruques par crainte d′ «‘Hatsitsa », c′est à dire d′obstacle entre l′eau et la chair lors du bain rituel de purification (Mikvé).

Pourtant, l′empathie spontanée pour l′héroïne et la révélation d’un univers jusqu’alors méconnu suffisent-elles à accepter un témoignage aussi univoque ? Aucune ambiguïté, aucune contradiction ne vient troubler le courageux parcours de cette jeune femme vers la liberté. Les juifs orthodoxes sont, à l′égal de leurs homologues intégristes musulmans ou chrétiens, des réactionnaires bornés, fermés au reste du monde, qui réduisent toute vie sociale ou individuelle au respect de rites archaïques au sein d′un enclos patriarcal étanche.
Echappée de cette prison, Estry est éblouie par une Allemagne colorée, tolérante et chaleureuse. Les tons ternes du quartier de New York où elle a grandi laissent place au printemps propret de la capitale allemande. Le groupe d′amis musiciens qui l′adopte, compte une yémenite, une israélienne (probablement non-croyante), un couple gay composé d’un nigérian et d’un presque polonais et un seul garçon né à Berlin. Nous sommes à l’époque où ne fait pas d’études sans collectionner les billets d’avion. La façon dont ils font connaissance est aussi simpliste qu′une séquence de Friends, en moins drôle. Qu’importe ! Ces jeunes gens talentueux incarnent le cosmopolitisme moderne, l′exacte antithèse des hassidiques et ce que tous les intégrismes et nationalismes haïssent. Ils sont beaux, terriblement intelligents, ils aiment Bach, Mozart et la techno, comme Ally McGraw il y a cinquante ans.

A l’heure où le moindre voile hystérise le débat public, il est déroutant – et assez sain – de déplacer le problème de la sujétition des femmes du côté du judaïsme. On sait gré à Unorthodox d’ouvrir cette brèche. On lui est également reconnaissant de nous donner à voir un univers que très peu d’entre nous connaissent, à la manière d’un excellent documentaire.
Mais il y a les manques, rapidement camouflés. On a un peu pitié de Yanki, le mari abandonné, parce que l′on sent que lui non plus n′a jamais été libre de ses choix et qu′il est terrorisé par le mariage tout autant que sa future épouse. On aurait aimé aussi en savoir davantage sur le père alcoolique d’Etsy, vite escamoté dans une scène étrange où il apparaît derrière un tulle, effleurant presque son ex-femme, au tout début du mariage. On aurait été apprécié de passer un peu plus de temps dans le cimetière juif de Berlin aux côtés de Yanki et de son cousin. Aussi caricaturaux soient-ils, ils nous est impossible de penser qu’ils ne faisaient là que du tourisme.

L′impression ne dure pas, on oublie vite ces « creux » qui auraient donné de la densité au récit et donné leur chance à tous les personnages. Le monde en noir et blanc que propose Unorthodox est plus facile à déchiffrer que s′il se dispersait en camaïeu de gris. Il est plus confortable pour nos consciences, nous sommes du bon côté, tout va bien.
Unorthodox est un téléfilm en quatre parties adapté de l’autobiographie de Deborah Feldman, Unorthodox: The Scandalous Rejection of My Hasidic Roots, par Anna Winger, Alexa Karolinski et Daniel Hendler. Il a été produit en Allemagne par Studio Airlift et Real Film Berlin Gmbh et diffusé en 2020 sur Netflix. Unorthodox est interprété notamment par : Shira Haas, Amit Rahav, Jeff Wilbusch, Alex Reid, Dina Doron,…