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Néo-écossais noir, aquarelle du capitaine William Booth, 1788

Dans l’article précédent, je suggérais la comparaison entre The Underground Railroad d’une part, The Book of Negroes et The Good Lord Bird de l’autre sous prétexte que ces trois productions contemporaines reviennent sur l’histoire de l’esclavage aux USA. Qu’elles apparaissent presque en même temps, quarante-cinq ans après le grand évènement télévisuel de Roots, prouve la difficulté qu’il y a eu à briser le silence autour de ce trafic monstrueux et la bienveillance dont bénéficièrent les esclavagistes. Quant au racisme encore sous-jacent à la vie sociale et politique des USA, il est loin d’être éradiqué, on le constate chaque jour. Le mouvement Black Lives Matter, ceux pour lesquels Trump réclamait qu’on leur fracasse le crâne ou qu’on leur tire dessus, a néanmoins fait brutalement progresser la prise de conscience d’une nouvelle génération. Les conséquences sont ce qu’elles sont et il faudra que le temps passe avant de prendre la mesure de l’évolution des mentalités de ce pays. En revanche, inutile d’espérer quoi que ce soit de ce côté-ci de l’Atlantique qui traiterait de nos fameux ports négriers et du commerce triangulaire. Bien des fortunes pèseraient de tout leur poids pour éviter de raviver le souvenir de leurs origines.

Commençons donc par The Book of Negroes, une adaptation très marquée par son origine littéraire et assez proche, au fond, de l’ancêtre Roots qui, en six épisodes, relatait l’histoire d’une famille noire entre le XVIIIème siècle et les lendemains de la guerre de Sécession. Tout comme dans ce feuilleton, The Book of Negroes débute dans un petit village africain. La vie s’y écoule paisiblement jusqu’à ce que des chasseurs d’esclaves effectuent des razzias pour s’emparer de ceux qui s’éloignent du village, hommes, femmes ou enfants. Aussitôt capturés ils sont regroupés dans un fortin appartenant à l’armateur où ils sont marqués au fer rouge puis embarqués sur un navire à destination de l’Amérique. Les cales sont immondes et puantes, la promiscuité est maximale puisque l’on y allonge les captifs enchaînés côte à côte sur plusieurs rangs. Aucun air ne circule et les morts sont jetés par-dessus bord au fil de la traversée. La jeune Animata, capturée dans la forêt et ayant vu ses parents tués devant elle, débarque à bout de forces à Charlestown où elle est immédiatement achetée par un propriétaire terrien.

Des années plus tard, celui-ci la revendra après l’avoir violée et avoir vendu le bébé qu’elle a eu avec son mari secret, Chekura.

Animata a eu le temps d’apprendre à écrire et exercer son talent de sage-femme. Ceux qui en ont fait l’acquisition sont un couple de juifs qui ne se considèrent pas comme propriétaires d’esclaves puisqu’eux-mêmes, lui expliquent-elle, ne sont pas considérés comme des égaux par les autres blancs.

L’épidémie de variole puis la guerre d’indépendance bouleversent les cartes et Animata, désormais installée à New York sous la protection amicale d’un patron de bistrot, prend définitivement son indépendance. Les colons américains aimeraient aussi l’obtenir leur indépendance de la couronne. La guerre qu’ils mènent aux britanniques pousse ceux-ci à enrôler des esclaves en leur promettant la liberté en échange. Après la défaite, ils tiennent leur promesse et le commandant Clarkson propose à Animata de tenir le Livre des Nègres, un registre créé pour enregistrer les noms et descriptions des 3000 esclaves loyalistes noirs prêts à évacuer vers la Nouvelle Écosse.

Après une nouvelle péripétie qui la sépare à nouveau de Chekura, un passage insatisfaisant par la Nouvelle Écosse, puis par la Sierra Leone où un petit groupe d’anciens esclaves fonde Freetown sous l’égide de la Sierra Leone Company (1), Animata est conviée par le commandant Clarkson à déposer à Londres sur les réelles conditions du trafic des êtres humains. Elle le fait en rédigeant un livre qui obtient un grand succès et qui amène très vite à l’interdiction du commerce des esclaves.

Tout cela raconté en six épisodes ne laisse que peu de place aux subtilités.

Cette histoire édifiante condense en une personne ce que Roots faisait vivre à plusieurs générations. Si l’on fait abstraction une seconde de la couleur de peau de l’héroïne et de sa condition d’esclave, le récit pourrait être celui d’une orpheline tirée du ruisseau qui, par son talent et son obstination, parviendrait à faire reconnaître la cause des indigents après être passée par toutes les étapes de la souffrance : viol, humiliations, vol de son enfant, mais avoir conservé sa dignité intacte. On a l’impression de retrouver l’un de ces mélodrames romantiques à la Hector Malot, Victor Hugo ou George Sand, mélodrames qui n’étaient pas dénués d’enseignement social et historique.

Dans le même esprit, on pardonnera à The Book of Negroes un peu de son conformisme pour deux raisons qui touchent aux structures sociales et à l’histoire. La première est d’avoir introduit dans le récit un couple de juifs. Ces bourgeois sensiblement marginalisés et porteurs d’idées bien plus libérales que leurs compatriotes sont la preuve que le monde des blancs n’est pas homogène et que tout le monde n’y bénéficie pas du même statut pour des raisons d’origine ou de foi. La seconde est de rappeler que la puissance coloniale britannique n’était pas si partisane de l’esclavage, ou du moins qu’un débat existait en son sein à ce sujet, au contraire des colons qui l’affrontèrent armes à la main pour lui arracher une liberté qui comprenait celle de posséder d’autres êtres humains. La seule personne de Washington, généralissime des troupes rebelles et propriétaire d’esclaves, en est une preuve dûment affichée à plusieurs reprises par la série. Guerre d’indépendance, sans aucun doute, révolution libératrice, certainement pas.

Comme dans The Underground Railroad, la reconstitution est soutenue par des habilleurs et décorateurs consciencieux au point de faire porter à des esclaves des habits propres et nets, toujours comme neufs et de rendre les rues impeccables, sans animaux errants ni détritus. J’appelle cette maladresse la discordance des pièces neuves en référence à un film qui se déroulait il y a des siècles et où toutes les pièces de monnaie luisaient comme au sortir du moule, à croire qu’en ce temps ne circulait pas de vieille monnaie ternie comme de nos jours. Son inverse est la discordance du journal jauni repérée dans un film situé au XIXème siècle où les personnages lisaient des journaux aussi jaunis que les journaux que nous avons conservés depuis cette époque dans nos archives. On peut penser qu’en ce temps-là, ils étaient neufs.

C’est pourquoi il faut conclure sur ce qui manque : la sueur, la saleté et le sang. Des personnages aussi lisses, aux comportements aussi prévisibles deviennent vite des images d’Épinal animées. Animata est une petite fille puis une jeune femme et enfin une femme dont on chercherait en vain le moindre défaut. Tous ses actes et toutes ses pensées sont pétries de droiture et de sollicitude. Ainsi sont la plupart des esclaves ou ex-esclaves. Le seul noir qui ait péché est son mari, Chekura, puisqu’adolescent, il fit partie, contre son gré, des chasseurs d’esclaves qui capturèrent Animata. Il porte gravé en lui le remord de cette faute originelle et si l’amour que lui porte Animata peut suffire à le racheter aux yeux des autres, c’est le sacrifice de sa vie qui l’absout de sa faute originelle, lorsqu’en Sierra Leone il libère une petite fille détenue par des chasseurs d’esclaves .

Chez les blancs, en revanche, à part la femme de l’homme d’affaire juif qui meurt vite de la variole, l’homme d’affaire lui-même après réparation d’un grave préjudice à l’encontre d’Animata et le commandant quaker, aucun ne sort intact du récit.

Aminata retrouve sa fille vendue bébé et toutes les deux achèvent ce récit sur une plage, face à l’océan sur lequel, une vie plus tôt Animata partit, enchainée et terrorisée, vers une destination inconnue.

Politiquement correct, pourquoi pas, conventionnellement correct, non merci.

Note : 1 – Cette partie de l’histoire ressemble beaucoup à celle de Thomas Peters que l’on peut lire ici, dans un article plus général sur les esclaves noirs loyalistes que les Britanniques rapatrièrent au Canada : https://thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/black-loyalists-feature

The Book of Negroes est un feuilleton canadien créé par Clement Virgo et Lawrence Hill à partir du roman du même titre de Lawrence Hill et produit et diffusé par CBC (Canadian Broadcasting Corporation) en 2015. Il est interprété notamment par : Aunjanue Ellis, Lyriq Bent, Cuba Gooding Jr., Louis Gossett Jr., Kyle M. Hamilton, Ben Chaplin, Allan Hawco, Greg Bryk, Jane Alexander,…

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