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Normal People est une histoire d’amour, pas une histoire d’amour comme Autant en emporte le vent ou Docteur Jivago qui nous racontent en arrière-plan la guerre de sécession ou la révolution bolchevique à la façon dont fut racontée l’Iliade. C’est l’histoire simple de gens ordinaires si tant est que cela existe. C’est l’histoire d’un temps plein, comme dirait Queneau, qui classerait donc ce récit du côté des Odyssées, avec Bouvard et Pécuchet, Don Quichotte, le Satiricon, la Divine Comédie et tant d’autres grandes oeuvres. Car c’est bien d’une Odyssée qu’il s’agit, qui serait le portrait détaillé du sentiment amoureux comme Bouvard et Pécuchet fut celui de la sottise humaine.

Les protagonistes en sont Marianne et Connell, deux jeunes adultes que l’ont suit de la terminale à l’université. Marianne est intelligente, rebelle et issue d’une famille riche mais dysfonctionnelle. En l’absence du père, les relations avec son frère et sa mère sont désastreuses. Connell, lui, vit avec sa mère qui fait le ménage chez celle de Marianne, le père, là encore, est absent. Connell est un sportif accompli, sensible et introverti.

Comme d’autres avant eux, les concepteurs de la série évacuent du paysage tout ce qui pourrait freiner le cours du récit ou détourner l’attention de leur sujet : la passion amoureuse. Exit les problèmes sociaux, exit les soucis d’argent ou de logement. Connell, qui assure ses fins de mois en travaillant comme serveur, obtient la bourse réservée aux meilleurs étudiants et se voit ainsi déchargé des frais de scolarité. Marianne, qui n’en avait pas réellement besoin, obtient elle-aussi la bourse, ce qui la délivre de sa famille. Les contraintes sociales disparues, place à un récit strictement focalisé sur les montagnes russes affectives dans lesquels le couple va se jeter.

Afin de constituer une histoire, leur rencontre et leur relation sont en effet émaillée de tout ce qu’il faut de péripéties, occasionnant des ruptures plus ou moins durables. Les retrouvailles se concluent chaque fois sur une nouvelle désunion et les désunions sur de nouvelles retrouvailles, alors que tout laisse paraître que les deux jeunes gens ne cessent pas un instant d’être épris l’un de l’autre. Ces accidents de parcours peuvent paraître un peu systématiques et finissent par donner une impression d’artifice narratif, d’autant plus que le motif des ruptures est rarement évident. Une grande passion provoque des sentiments à sa mesure. Elle peut se montrer impérieuse, brutale, cruelle, tant elle exige de régner sans partage. Ce n’est pas le cas avec Marianne et Connell qui font preuve d’un rare respect de l’autre. Trop sans doute. Ils se séparent plutôt que de se chamailler. L’obsession du secret de Connell, un mot de trop de Marianne ou une attitude mal interprétée suffisent. On connaît l’hypersensibilité des jeunes amants aux moindres signes, actes ou paroles de l’autre, mais ici, les réactions témoigneraient curieusement d’un manque de confiance dans l’autre, d’une incapacité de le comprendre, d’une immaturité affective. Quoi qu’il en soit, nous n’en savons pas grand-chose. Or, contradictoirement et en regrettant un procédé trop répétitif, c’est peut-être là une des grandes qualités de la série.

Car les causes d’une rupture ont toujours quelque chose d’opaque pour les personnes extérieures au couple, d’autant plus qu’elles peuvent être multiples ou à peine conscientes. Normal People, qui nous fait subtilement pénétrer dans l’intimité du couple et frôler si sensiblement ces deux êtres est tout aussi habile à nous mettre devant l’impossibilité de tout savoir, de tout comprendre d’un couple lorsqu’on y est extérieur. L’attention que porte la caméra aux deux amants, la lumière dont ils bénéficient, le jeu subtil des acteurs nous absorbe dans leur fusion amoureuse, le mutisme naturel de Connell et les secrets de Marianne nous excluent de leurs divorces.

Sans doute, leur idéalisation de l’amour les amène-t-elle à briser plutôt que de s’expliquer, mais il y a plus profond. Le mutisme de ce Connell nous dit qu’il sera un grand écrivain, il manifeste déjà la capacité d’observer le monde qui l’entoure, sans broncher, en emmagasinant la matière de ses futurs romans, mais c’est au prix d’une incapacité à gérer ses émotions. On comprend également les difficultés relationnelles de Marianne, prise entre un grand frère brutal et une mère distante. Très tôt, dès leurs premiers rapports sexuels et sans aucun motif, Marianne s’inquiète de la possibilité que Connell la frappe. Ce n’est que vers la fin et à la suite d’autres rencontres, qu’on comprendra ses ambivalences.

À tant se focaliser sur le couple Marianne-Connell, la série tient à distance la plupart des autres personnages, mais ni plus ni moins que le couple qui, naturellement, s’extrait de la compagnie humaine pour ne se consacrer qu’à lui-même. Néanmoins, éloigner ne devrait pas être synonyme de négliger et l’on regrette le traitement des deux amants de passage de Marianne, ostensiblement caricaturés. Nous donner le point de vue du couple ou de l’un des partenaires du couple, soigner subtilement l’image de l’un ou des deux n’implique pas de bâcler les portraits des autres.  L’héroïsation du couple ne se nourrit pas de tels contrastes, bien au contraire.

Ce voyage sur les eaux agitées de la passion amoureuse ne pouvait s’achever sur une vie de famille paisible. Les gens heureux n’ont pas d’histoire, dit-on. La fin, telle qu’elle a été choisie, n’est pas entièrement convaincante, il manque trop d’arguments pour y adhérer. Disons qu’il s’agissait de clore pour ne rien laisser de cette passion hors des limites temporelles de la série. Chacun peu, bien sûr, imaginer ce que le destin réservera à ces deux jeunes gens, mais l’on sait que le vaste monde est tout petit pour ceux qui, comme eux, s’aiment d’un aussi grand amour.

Normal People est un feuilleton irlandais en douze épisodes de 30 minutes adaptés du roman de Sally Rooney par elle-même et Alice Birch, réalisé par Lenny Abrahamson et Hettie Macdonald et produite par Element Pictures en association avec Screen Ireland. Il est interprété notamment par : Daisy Edgar-Jones et Paul Mescal

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