J’ai tout récemment qualifié une série coréenne de science-fiction de « lunaire » parce qu’elle paraissait flotter en légère apesanteur. Je peux, de la même façon et sans forcer la comparaison, qualifier la série française de science-fiction Infiniti de « solaire », non pour ce qu’elle posséderait de lumineux ou de chaleureux, mais bien, au contraire, pour ses paysages de steppes désertiques, l’ambiance de fin du monde qui y règne et le rôle destructeur que le soleil y joue.

Depuis l’explosion de la navette Challenger et les restrictions budgétaires qui lui sont infligées, la Nasa doit recourir aux bons services du cosmodrome de Baïkonour pour expédier ses astronautes vers la Station Spatiale Internationale (1). Les Européens sont logés à la même enseigne.
Malheureusement, Baïkonour étant située au Kazakhstan et l’Union Soviétique n’existant plus, la Russie a décidé de l’abandonner progressivement, puisqu’elle est désormais située en territoire étranger et que les Kazakhs exigent un loyer. Les activités spatiales russes se poursuivront à Vostochny, un tout nouveau cosmodrome construit en Sibérie, près de la frontière chinoise. Ceci fait qu’au beau milieu d’une immense steppe rase, sous un soleil sans ombre, se dresse un immense centre spatial datant des années 50, encore actif mais déjà en partie abandonné.
À quelque distance, en roulant vers le nord-est, s’étale un désert interdit, contaminé par les essais nucléaires russes effectués pendant 40 ans entre 1949 et 1989 au rythme soutenu d’un peu plus d’un par mois.

Tel est le décor d’Infiniti où l’on passe d’une salle de contrôle parfaitement opérationnelle et de bureaux au mobilier soviétique luisants de propreté à un immeuble entièrement squatté ou à des stations radar désertes plantées au milieu de nulle part.

Avoir su profiter de ce décor authentique, mais semblable à celui d’un film post-apocalyptique, est un choix judicieux comme l’est celui d’y avoir situé l’action de nos jours alors que la pollution nucléaire est l’un des grands dangers environnementaux actuels et que les puissances étatiques comme les simples multimilliardaires colonisent l’espace avec la même avidité que les aventuriers du temps de la marine à voiles. Ne pas avoir gommé les différences linguistiques, mais avoir tourné, nous dit-on, en 5 langues différentes, en contournant habilement les barrières, dénote également une volonté qui rompt avec la paresse ordinaire. Quand on apprend de surcroit qu’une bonne partie de la série – les scènes d’intérieur, je suppose – a été tournée en Ukraine, on est impressionné par la coincidence de la réalité et de la fiction comme si l’on pouvait lire la première au travers de la seconde. Involontairement, puisqu’elle a été imaginée et tournée bien avant l’invasion de l’Ukraine, la série décalquerait la situation actuelle de cette partie du monde, autrefois appelée URSS, et son écroulement sans fin, hérissé de meurtres brutaux, individuels ou collectifs. La quasi-familiarité que nous entretenons depuis peu avec ces pays devenus brutalement si proches du fait d’une guerre participe ainsi grandement à l’adhésion que la série peut susciter.

Comme dans un western de John Ford, le paysage donne son échelle à l’histoire. Ici, dans la steppe kazakh comme autrefois dans le désert du Nevada, les êtres humains sont seuls et démunis face à la grandeur de la Création. La cité de Baïkonour elle-même, composée de vieux immeubles, de hangars d’assemblages, de rampes de lancement et d’un centre de contrôle, ne suffit pas à les protéger. Tout autour, la steppe s’étend à l’infini. Entre les cendres du feu nucléaire et les tempêtes solaires qui menacent les astronautes dans leur station spatiale, le danger de la consumation est partout, invisible, mais rappelé ici par la tempête qui soulève la poussière radioactive, deux meurtres par immolation et quelques irradiés dans l’espace.

Anna Zarathi, une spationaute française doit s’envoler pour la Station Spatiale Internationale. Une crise de convulsions la fait débarquer au moment de l’envol. Anthony Kurz, son suppléant et accessoirement son amant, la remplace. Peu après, un cargo de ravitaillement Souyoz percute la Station au moment de l’amarrage, entraînant des dégâts considérables, en raison soit d’un mauvais alignement du Soyouz, soit d’une manœuvre erronée de Kurz. Voilà pour l’introduction dans les cieux.

Simultanément, un cadavre décapité et couvert de cire est retrouvé sur un toit d’immeuble abandonné par la police kazakh. Il s’agit de Kurz, qui est supposé se trouver au même instant en position délicate quatre cents kilomètres au-dessus de la Terre. Anna reconnaît le corps. Isaak Turgun, un policier têtu et indiscipliné, se charge de l’enquête. Voilà pour l’introduction sur Terre.
Réaliste, fantastique, ou d’anticipation, le récit conjugue les trois genres avec habileté, bien qu’il nous faille toute la saison pour relier l’enquête du policier kazakh et l’accident de la Station Spatiale. Tout cela sera dénoué, mais à grande vitesse, en un seul épisode, comme cela devient une désagréable habitude avec les productions aux normes Netflix.
Ceci fait qu’à défaut de pénétrer dans l’intrigue à mesure qu’elle se construit, du moins suffisamment pour se prendre au jeu, on s’intéresse à autre chose. Et ce qui nous intéresse, en plus du décor inhospitalier, c’est justement que l’essentiel y fonctionne tout de même, que des fusées partent encore de Baïkonour, qu’il y a des archives dans ce cosmodrome et un gardien pour les garder, un service de sécurité aussi, des ingénieurs, un semblant d’administration, des chambres pour les astronautes et que l’on croie à tout cela. Du moins, que l’on y croie tout autant qu’à un village planté en plein milieu du désert du Nevada avec son saloon, son shérif et ses cow-boys lorsqu’on regarde un western (Ici, ce sont les Russes qui jouent les blancs et les Kazakhs les Indiens).
La mise en scène ne cherche pas à nous convaincre davantage. On ne saura pas qui sont vraiment ces gens, ni Anna, ni Kurz, ni Lydia, la fascinante patronne de l’Agence spatiale russe, ni Isaak, ni Reva, la jeune ingénieure indienne, ni Emil Durkhov, le chef du programme spatial. L’histoire elle-même finit par se fondre dans un brouillard où se mêlent chamanisme kazakh, science-fiction et fantastique. On oubliera vite les entorses à la véracité. Deux ou trois dialogues tentent de nous éclairer, mais il est trop tard. C’était avant qu’il fallait nous prendre au piège.

Ce ne sont pas, non plus, les explications des auteurs qui pourront nous convaincre. « C’est vrai, déclarent-ils maladroitement (2),qu’on a construit le personnage de la cosmonaute Anna comme une sorte de Jeanne d’Arc cosmique qui entendait des voix. On cherche toujours des stéréotypes quand on veut construire un personnage. Le contrepied parfait, c’est un flic rationaliste qui incarne justement la raison ».
Les stéréotypes ne sont pas réputés pour stimuler l’inventivité, mais soit ! Acceptons que les personnages ne soient que ce qu’ils sont, conformes à leurs inusables modèles. Nous nous sommes installés durant cinq épisodes dans une attente sans objet. Rien ne pouvait trouver d’explication, ni les cadavres décapités et enduits de cire, ni la station accidentée et privée de communications mais où la vie résistait, ni les complots des uns contre les autres, ni la magie d’une chamane, ni les intuitions d’Anna ni les déductions d’Isaak. Nous sommes nous laissés porter par l’observation d’un improbable condensé d’humanité isolé dans un paysage désertique et dont l’activité consiste étrangement à envoyer des gens dans un engin qui flotte au-dessus de leurs têtes et dont on ne saisit pas vraiment l’utilité. Ces êtres sont les acteurs d’une pièce de théâtre un peu absurde. Ils n’existent que lorsqu’ils sont en scène et lorsqu’ils y sont, ils lèvent la tête vers les étoiles ou se penchent sur des cadavres sans tête. Ils ne comprennent ni les unes ni les autres. Ils n’ont pas d’autre vie, sortis de scène, ils n’existent plus..
C’est pourquoi, au sujet d’Infiniti, on pourrait parler de suspension, de léger flottement de l’esprit.
Notes : 1 – Problème en cours de résolution grâce aux engins d’Elon Musk et de Boeing. Pour de plus amples informations, lire ici. 2 – Ici, à France Info
Infiniti est un mini-feuilleton français en 6 épisodes créé par Stéphane Pannetier et Julien Vanlerenberghe et diffusé sur Canal + en 2022. Il est interprété notamment par : Céline Sallette, Daniar Alshinov, Vlad Ivanov, Karina Arutyunyan, Anatolii Panchenko, Lex Shrapnel, Ellora Torchia…