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Patriot

Si l’on vous raconte une histoire qui se déroule pour l’essentiel au Luxembourg, que le décor est en réalité celui de Prague et qu’une foule de détails sont ostensiblement faux, il y a des chances pour que le lieu où se déroule cette histoire n’ait aucune importance.

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Si le personnage principal, est à ce point dépressif qu’il passe son temps à rester assis sur une chaise à regarder dans le vide et qu’il ne manifeste aucun intérêt pour quoi que ce soit sinon faire du vélo sans frein ou à se confier sur une guitare folk, il est vraisemblable que le héros n’ait que peu de prise sur le récit.

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S’il s’agit d’une affaire d’espionnage et que l’unité de la CIA concernée, réduite à un père et ses deux fils, est en butte à un adversaire composé de deux agents iraniens, eux aussi frères, une femme voilée et un gang de costauds brésiliens sortis de nulle part, on peut craindre que la véracité ne soit pas le premier souci des auteurs.

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Si l’unité de police en charge de la résolution d’un meurtre commis par le héros est entièrement féminine, contrairement à toutes les statistiques connues, même au Luxembourg, on peut douter que ce soit l’effet d’un militantisme féministe, au vu des capacités déplorables de cette formation d’élite.

On pourrait ainsi continuer à passer en revue tous les aspects de Patriot, la série de Steven Conrad, sans trouver le moindre point commun avec ce que produit d’ordinaire la télévision, raison pour laquelle la presse anglo-saxonne se montre aussi enthousiaste tout en limitant, il est vrai, ses louanges à le seule excentricité de la série. Jamais, dit-elle, on a vu pareille chose.

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Le vide qui semble meubler l’essentiel des 52 minutes de chaque épisode trouve sa source dans un épisode douloureux, préalable à la série, où l’agent américain John Tavner (Michael Dorman) aurait été capturé puis torturé par l’ennemi parce que l’équipe censée le secourir aurait raté son intervention. L’histoire prend ainsi sa source dans un ratage et ne fera par la suite qu’accumuler les ratages, comme si la mission – voire la vie en général – se déroulait dans un bourbier dont il est impossible de s’extraire quoi qu’on veuille et quoi qu’on fasse.

Une fois John chargé par son père (Terry O’Quinn) de sa nouvelle mission, un transfert secret d’argent à un candidat de l’opposition en Iran, tout ce qui suit n’est qu’un amoncellement de ratés. Le sac d’argent ayant été remis au mauvais intermédiaire, très vite il ne s’agit plus que de le retrouver et de s’en emparer avant que l’on s’en aperçoive, tâche d’autant plus vaine que la somme égarée n’est que de 170 000 dollars. Quant à la couverture de pseudo-ingénieur dans une entreprise de tuyauterie qu’utilise John, elle est difficilement crédible du fait de son ignorance dans le domaine. De surcroît, ses collègues, tous plus saugrenus les uns que les autres, ne font rien pour donner de l’épaisseur à cet aspect de l’histoire, la palme du ridicule revenant à un ancien militaire féru d’espionnage auquel John est contraint de s’allier.

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Le plus étonnant est que l’on finit par y croire. La série ne provoquera pas les émotions attendues d’un véritable film d’espionnage mais elle nous fascine par sa logique propre, sa capacité à créer et faire vivre tout un monde peuplé d’êtres légèrement décalés, à nous prendre dans les rets d’un récit sans grand intérêt, sinon de faire fonctionner à la perfection un assemblage de personnages bizarres, de faux décors et de péripéties en toc. La scène où, pour décider qui choisira l’heure de l’interrogatoire, la commissaire et le héros tirent avec le plus grand sérieux à pierre-papier-ciseaux, résume à elle seule la place de l’absurde dans le récit.

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Tout ceci n’empêche pas une réelle cinégénie. Beaucoup de plans sont remarquables, soit du fait de leur composition colorée, soit pour leur mouvement de caméra et la mise en scène qui lui est associée comme par exemple dans ce très lent et quasi-insensible travelling avant où l’on voit John assis dans sa buse préférée, quelque part sur le terrain vague de l’usine, écouter tous ses collègues venus lui parler les uns après les autres, en une sorte de ballet.

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Perpetual Grace, Ltd

La même recette est appliquée avec plus d’efficacité dans une série un peu plus récente du même auteur, Perpetual Grace Ltd. Une partie de la distribution est identique (Terry O’Quinn, Chris Conrad, Kurtwood Smith, Hana Mae Lee, Michael Chermus, etc.) et plusieurs personnages sont reconnaissables : le héros, James, flegmatique et inactif, qui vit sous une fausse identité, le père, Byron, autoritaire mais affectueux, New Leaf, le fils d’une famille escroquée par Byron qui finit par devenir l’allié de James-Paul Allen, l’impassible Ranger du Texas qui poursuit obstinément le héros à l’exemple de la commissaire luxembourgeoise de Patriot, ou la marionnettiste voleuse d’origine asiatique devenue ici maître chanteur… Quant au motif, c’est à nouveau une somme d’argent, ici volée par Paul Allen à son père Byron, ancien taulard devenu pasteur évangéliste, qui, lui-même, escroque ses paroissiens. Paul Allen veut faire croire à sa mort et convainc James de prendre sa place et son nom. Il oublie seulement de le prévenir qu’il est recherché pour meurtre.

Personne ne remettra la main sur l’argent, et tout le monde poursuivra tout le monde en vain dans le désert du Nouveau-Mexique comme précédemment dans le Luxembourg de Patriot. Mais c’est précisément parce que la ville de Luxembourg n’a aucun point commun avec un désert comme celui-ci que cette nouvelle série offre à l’auteur la possibilité de se défaire des loufoqueries de la série précédentes pour développer un absurde épuré.

Après la musique folk de Patriot, Perpetual Grace offre des paysages, une lenteur et une inaction qui évoquent à l’évidence les westerns tardifs. La plupart des scènes se jouent dans des étendues arides et des patelins sans grâce, sans que l’on sache toujours très bien comment les personnages ont pu atterrir là. Ce n’est pas le bout du monde, mais un no man’s land traversé de routes infiniment rectilignes et où rien ne pousse sinon les crotales. Mais c’est un décor où l’extravagant ne se distingue plus du raisonnable. (1)

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En prenant les choses sérieusement, on pouvait voir dans Patriot le tableau d’une société dans laquelle il n’y a plus grand-chose à espérer car tout acte y était confronté à sa trop flagrante inutilité. Dans Perpetual Grace, on accède à un monde tout aussi vain mais où, profitant du vide qu’offre le désert, l’imaginaire se libère et le récit s’élargit à une dimension quasi-magique. C’est par exemple Hector Contreras (Luis Guzman) le drôlatique policier mexicain qui écrit d’exécrables romans policiers où il se valorise exagérément, ou Glenn (Dash Williams), un adolescent victime d’une commotion crânienne et devenu d’une crédulité hilarante, ou encore les apparitions-disparitions dans un nuage de fumée de l’authentique Paul Allen et l’art de la lévitation qu’il pratique et enseigne à James.

Sans compter que, tout comme certains personnages de Patriot disparaissaient sans réelle raison, certaines figures de Perpetual Grace, Ltd ne connaissent qu’une existence éphémère tel un médecin légiste occupé à passer les tests de sélection de la Nasa pour devenir le premier astronaute mexicain ou un autre homme lui aussi si passionné par l’espace qu’il ne sort que déguisé en astronaute.

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Si, comme je l’ai dit, les deux séries se ressemblent au point que la seconde apparait comme la continuation ou le développement de la première par d’autres moyens et dans un autre contexte, c’est vraisemblablement parce que l’auteur s’est débarrassé de beaucoup d’éléments qui ne trouvaient leur justification que dans la composition en patchwork absurde du récit de Patriot, peuplé de personnages tombés de nulle part apparaissant et disparaissant sans véritable raison. Perpetual Grace, Ltd lui a donné l’occasion de resserrer son histoire sur un plus petit groupe qu’il a placé dans le paysage démesuré et désespérément stérile de l’Arizona, retrouvant les dimensions épiques du western. Simultanément la seconde série n’hésite pas à recourir à des formes visuelles rares ou audacieuses, telles que le split-screen, le noir et blanc à côté de la couleur, ou des flous radicaux pour illustrer la vision totalement déréglée de l’adolescent après sa commotion cérébrale.

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Il serait dommage de manquer Perpetual Grace Ltd. Indubitablement, un auteur y fonde une œuvre télévisuelle singulière qui se distingue du ronronnement contemporain. Pépites échappées à la surproduction asphyxiante qui marque les années 2020, fondées sur une troupe d’acteurs à l’instar de ce que pratiquaient de grands cinéastes d’autrefois, il serait étonnant que les deux séries ici présentées n’annoncent pas une carrière vigoureuse.

PS : On consultera avec plaisir le site de l’église de Notre Dame de la Grâce Perpétuelle créé en parallèle de la série télévisée, parodie extrêmement réussie des sites des églises évangéliques américaines : https://www.ourladyofperpetualgrace.com/

Note : 1 – Je me souviens d’avoir autrefois rencontré un patron de motel dans un patelin de l’Arizona (État voisin du Nouveau-Mexique et aussi désertique que lui) qui prétendait être « le dernier existentialiste de l’Arizona ». Ce personnage aurait pu figurer dans Perpetual Grace, Ltd.

Patriot est un mini-feuilleton américain en deux saisons de 10 et 8 épisodes créé par Steven Conrad. Il a été diffusé sur Amazon Prime Video entre 2015 et 2019. Il est interprété notamment par : Terry O’Quinn, Michael Dorman, Chris Conrad, Hana Mae Lee, Kurtwood Smith, Gil Bellows, Aliette Opheim, Michael Chermusn

Perpetual Grace est un mini-feuilleton américain en 10 épisodes créé par Steven Conrad pour MGM Televison. Il a été diffusé sur Epix en 2019. Il est notamment interprété par : Ben Kingsley, Jimmi Simpson, Luis Guzmán, Damon Herriman, Chris Conrad, Jacki Weaver, Terry O’Quinn, Kurtwood Smith, Timothy Spall, Michael Chernus, Hana Mae Lee, Luis Guzmán…

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