Home

Un serpent dans le jardin aux rosiers bien taillés.

L’église de Maids Moreton

Le faux prophète est une figure incontournable de la Bible. On imagine sans mal la raison pour laquelle chaque religion tient à proclamer que son Dieu est le seul véritable et qu’il faut prendre garde au faux prêcheur qui se fait passer pour son envoyé dans l’unique but de semer la désolation dans le troupeau des croyants.

Un pays comme les Etats-Unis d’Amérique où l’activisme des sectes n’a jamais fait défaut, a toujours offert de vastes opportunités aux escrocs et aux illuminés. Le cinéma en a traité magnifiquement avec La Nuit du Chasseur, le chef-d’œuvre de Charles Laughton auquel on peut ajouter Le Prédicateur de Robert Duvall ou, à la télévision, la série Damnation de Tony Tost, dont nous avons parlé ici.

Les faux prêcheurs, faux pasteurs, faux prophètes ou faux prédicateurs ne sont cependant pas l’exclusivité des Etats-Unis, il en existe de très bons exemples partout ailleurs, jusqu’en Russie, en Afrique où ils pullulent ou en Angleterre. L’érudit professeur anglais Peter Farquhar, écrivain distingué et chrétien sincère, aurait dû être le premier à le savoir.

Les véritables Peter Farquhar et Ben Field

Hélas, il succomba au charme d’un marguillier (1) et étudiant en théologie nommé Ben Field. Celui-ci ne rencontra guère de difficulté à le séduire tant le savant homme, qui souffrait de la contradiction entre sa « déviance » et sa foi chrétienne, languissait de ne pouvoir être aimé. Le jeune homme utilisa cette faiblesse morale pour en devenir l’ami intime, puis vivre avec lui et être désigné comme son légataire universel avant de l’assassiner et en hériter.

18 mois plus tard, il subjugua une voisine de Farquhar, Ann Moore-Martin, elle aussi retraitée et paroissienne fervente. Elle modifia son testament en sa faveur et s’apprêtait à accepter sa demande en mariage. Il ne parvint toutefois pas à l’assassiner en raison de la méfiance d’une nièce d’Ann, à juste titre soupçonneuse.

Ben Field (Éanna Hardwicke)

Les faits se déroulèrent dans un village du Buckinghamshire, Maids Moreton, entre 2014 et 2017. Field fut jugé en 2019 et condamné à la prison à vie avec un minimum de 36 ans pour l’assassinat de Peter Faquhar. Toutefois, il fut acquitté pour la tentative de meurtre sur Ann Moore-Martin. C’est là toute l’histoire que raconte The 6th Commandment.

Cette dramatique en quatre parties, spécialité britannique qui nous valut des chefs-d’œuvre tels que One Night, est rigoureusement découpée. La première partie est consacrée à Peter Farquhar, la deuxième à Ann Moore-Martin et les deux dernières à l’enquête et au jugement de Field et de son presque complice Martyn Smith.

Une des dernières tasses de thé de Peter (Timothy Spall)

La qualité de marguillier et d’étudiant pasteur de Field rassurait indéniablement ses victimes. Ici, les dialogues habilement ciselés par Sarah Phelps, achèvent de les convaincre, tout autant que nous autres spectateurs, de la pureté des intentions de Ben Field. Du moins, en ce qui nous concerne, jusqu’à ce que son assiduité à apporter le thé à son ami Peter et les troubles qui s’ensuivent chez ce dernier, éveillent nos soupçons. À partir d’un moment impossible à situer, la tasse de thé devient à nos yeux l’arme d’un crime, elle matérialise le meurtre à l’œuvre, comme dans Notorious (Les Enchaînés) d’Hitchcock, les tasses de café à l’arsenic servies à Ingrid Bergman par Claude Rains. D’objet sans âme, elle devient signe. Il suffit d’un gros plan sur la tasse vide ou de la proposition de Field de servir une nouvelle fois le thé pour que nos alarmes s’accroissent au sujet du crédule professeur. Il en sera de même, plus tard, avec la trop naïve Ann. Liz Zettl, la dernière vieille dame de la liste concoctée par Fields, échappera heureusement au piège.

Bien avant cela, le charme de la vie provinciale anglaise a agi. Nous avons perdu de notre vigilance dans l’air de la campagne parfumé par les rosiers, dans le calme d’un petit village que si peu de voitures dérange, sur le banc du cimetière au pied de la vieille église, bercés par la confiance intemporelle qui habite les lieux.

Loin de nous rappeler que les scènes que nous voyons se sont, en réalité, déroulées telles qu’on nous les présente, c’est-à-dire avec une réelle violence psychologique, nous plongeons dans un univers à la manière d’Agatha Christie, couleur feuilles mortes, où les tapis étouffent les sons et les portes évitent de claquer – mais pas de grincer – et où l’on s’enivre légèrement d’un bon gin, avant d’aller au lit (2).

Ben au hasard de son jogging

Le temps est condensé pour ressembler à quelques mois entre le printemps et l’été. Il ne pleut pas, on n’allume pas le feu dans les cheminées, on ne ressort ni les imperméables ni les écharpes du placard. Au contraire, Field et Smith effectuent leurs joggings sur les sentiers environnants tandis que leurs futures victimes taillent leurs rosiers avec soin. Cette réduction de plusieurs années en une période quasi continue de quelques mois où les ellipses sont à peine sensibles, alors qu’elles sont considérables, pose un léger problème de crédibilité lorsque Field courtise Ann sitôt la mort de Peter, alors qu’en réalité de nombreux mois séparèrent les deux. Qu’importe, car c’est dans ce tableau que se construit, avec lenteur, le portrait d’un authentique tueur, suffisamment dépourvu d’empathie pour étudier les âmes plutôt que de les aimer, mais qui leur procure ce qu’elles attendent si impatiemment : la fin de leur solitude.

L’étreinte au sommet du mont

Dans le cas de Peter, la proie est si vulnérable que son prédateur n’a qu’à lui retourner sa propre image d’homosexuel chrétien épurée, lavée du péché, assumée, pour qu’il ait le sentiment d’avoir trouvé l’âme sœur. L’homosexualité sans la culpabilité, et même sans le sexe, un savoir débarrassé du doute, une foi libérée du dégoût de soi-même. La lumière entre ainsi dans la vie de Peter. Ils gravissent tous les deux un sommet où l’air pur des hauteurs les grise, ils s’enlacent. Peter est dès lors pris comme le poisson à l’hameçon, Ben Field n’a plus besoin de se donner trop de mal pour le sortir de l’eau et le laisser s’asphyxier.

Le trouble de la personnalité narcissique que les psychiatres ont diagnostiqué chez Field au moment du procès, met un certain temps à affleurer au grand jour. Nous aussi sommes les victimes potentielles d’un tueur gentil et serviable au point de servir le thé avant même qu’on lui demande.

Une « hallucination » d’Ann (Anne Reid)

Ann, toute aussi croyante que Peter et aussi confondante de candeur, tombe à son tour sous le charme de Ben, de ses poèmes et de ses sourires. Elle se laisse abuser par une combinaison de médicaments hallucinogènes et de faux appels de Dieu écrits sur ses miroirs. Une chute au cours d’une crise la conduit heureusement à l’hôpital. La nièce intervient pour chasser de la maison le parasite qui s’y est incrusté. Le meurtrier de Peter Farquham n’aura pas l’occasion de resserrer son lacet sur une nouvelle victime.

La nièce protectrice (Annabel Scholey)

La proie fait-elle le prédateur comme l’occasion le larron ou l’un et l’autre se retrouvent-ils aussi naturellement que deux amants, mus par leurs désirs respectifs ? The 6th Commandment nous abandonne sur cette incertitude.

Nous conserverons toutefois une image chaleureuse de Peter Farquhart et d’Ann Moore-Martin en regard d’une répulsion instinctive envers l’impénétrable Ben Field. L’image glamour des tueurs en série propagée les séries télévisées céderait-elle enfin le terrain à une peinture plus sensible de leurs victimes ?

Notes : 1 – Marguillier : laïc bénévole chargé de la garde et de l’entretien de l’église. 2- Sans préjuger d’une contamination, j’ajoute qu’entre 2015 et 2020, Sarah Phelps a adapté pour la BBC plusieurs romans de la grande écrivaine anglaise sous forme de mini-séries dont ABC Murders avec John Malkovich en Hercule Poirot.

The Sixth Commandment (Le sixième Commandement) est une dramatique en 4 parties écrite par Sarah Phelps, réalisée par Saul Dibb et diffusée sur la BBC en juillet 2023. Elle est interprétée notamment par : Timothy Spall, Anne Reid, Éanna Hardwicke, Annabel Scholey, Conor MacNeill…

3 réflexions sur “The Sixth Commandment

  1. Bel article ! J’ai hâte de voir la série, un thème presque classique dont je raffole. Les méandres de l’esprit humain restent prévisibles et mystérieux . Nous sommes des oxymores incarnés . Merci

  2. Pingback: Tout pour Agnès | les carnets de la télévision

Répondre à les carnets de la television Annuler la réponse.