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La première saison de Feud mettait aux prises Bette Davis et Joan Crawford, monstres sacrés d’Hollywood, splendidement incarnées par Susan Sarandon et Jessica Lange. Le contexte était le tournage du film de Robert Aldrich, Qu’est-il arrivé à baby Jane ?, dont l’histoire raconte la rivalité entre deux sœurs actrices. La mise en abyme n’était pas pour rien dans la fascination qu’exerçait cette série sur le spectateur.

Truman Capote (Tom Hollander) exultant de joie au succès de son bal masqué (1)

Autant le combat entre ces deux grandes fauves était impressionnant de pugnacité, autant la seconde saison joue dans le registre de l’insidieux et génère chez le spectateur un inconfort dans lequel, étrangement, il se complait.

La rivalité s’exerce cette fois entre l’écrivain Truman Capote et celles qu’il appelle ses Cygnes, un quatuor de membres éminentes de la Café Society de New York, femmes élégantes et riches dont la vie se dissipe mondanités. Leurs noms ? Babe Paley (Naomi Watts), icône de la mode et femme du fondateur de la chaîne de télévision CBS, C. Z. Guest (Chloë Sevigny), journaliste, styliste, amie de quantité d’artistes et écrivains célèbres, Lee Radziwill (Calista Flockhart), sœur cadette de Jackie Kennedy et enfin Slim Keith (Diane Lane), autre icône de la mode, femme de deux producteurs de cinéma puis d’un baron anglais.

(faire défiler)

Le quartier général des Cygnes est La Cote Basque, un restaurant français chic de l’Upper East Side fréquenté par Onassis, Jackie Kennedy, Frank Sinatra, Marella Agnelli ou Wallis Simpson, la Duchesse de Windsor. C’est là aussi que les retrouve Truman Capote, avec lequel chacune d’entre elles entretient une amitié intime. Babe Paley, surtout.

Truman Capote, ex-jeune romancier prodige, auteur de succès comme Petit déjeuner chez Tiffany’s, est devenu une célébrité de la littérature américaine avec De sang froid. Ce roman lui a coûté 6 ans de travail et l’a laissé exsangue. Au terme d’une longue enquête sur le meurtre de la famille Clutter par Perry Smith et Dick Hickock, au Kansas, Capote a publié une œuvre qui inaugure un nouveau genre littéraire, le roman non-narratif.

à l’heure pour le déjeuner rituel à La Cite Basque

À présent, l’épreuve qu’il affronte est celle de tout auteur dont un ouvrage a connu un grand succès : Comment se relancer ? Chez Capote, la crise ouvre sur une lente et irrésistible déchéance que masquent de prime abord ses relations mondaines et l’intimité que lui réservent des femmes qu’il juge exceptionnelles, qui le distraient et accroissent sa réserve d’anecdotes, de détails de leurs vies privées et de ragots. Il veut tout à la fois faire le portrait de cette élite et en être. Il écoute, n’oublie rien, note tout et accumule une matière complète, détaillé, vivante. Hélas, reportant toujours l’écriture au lendemain, il s’enfonce dans l’alcoolisme et les drogues tandis que son désir insatiable de nouveaux amants le détourne de sa machine à écrire. Le passage à l’acte est différé jour après jour. Après tout, il n’est pas Proust, loin de là.

Rencontre avec John O’Shea (Russell Tovey ), qui sera son amant une décennie

Et puis un beau jour de 1975, le monde parfait des Cygnes explose. Truman Capote publie dans le magazine Esquire La Côte basque 1965, un chapitre de son prochain roman. Il y raconte tout, en particulier les détails de la vie de Babe Paley et de son mari William. Il s’y montre également implacable envers une autre mondaine, Ann Woodward (Demi Moore), qui se suicidera très peu de temps avant la parution du magazine, sans que l’on sache si elle en connaissait, ou non, le contenu.

Ann Woodward (Demi Moore)

Capote, le prédateur, est mis à l’index par la haute société. Il en souffre, les Cygnes en souffrent. Elles ont besoin de cet homosexuel qui les comprend bien mieux que leurs maris et dont elles pensent n’avoir rien à craindre. Lui éprouve le besoin de les admirer et de les protéger. Mais il est écrivain et un écrivain raconte tout, comme son ami de toujours, l’écrivain Jack Dunphy le lui rappelle. Il n’a pas le respect ni la pudeur de ceux qui n’écrivent pas.

GZ (Chloë Sevigny), la seule à ne pas boycotter Truman

Si je décris aussi longuement le propos du film, c’est pour que l’on se fasse une idée précise du décor. Dans l’enclos de la Café Society, il y a une mare et dans cette mare quatre Cygnes de la plus gracieuse variété. Leur métier de Cygne est d’être des cygnes, c’est-à-dire d’incarner l’élégance et la grâce au pays des oiseaux, où la concurrence est particulièrement rude. Les Cygnes sont leur propre œuvre d’art et leur vie consiste à en renouveler chaque jour la perfection. Un goût infaillible, une toilette du dernier chic, un port noble et une démarche distinguée, un teint sans défaut et l’esprit de repartie, tel est leur plumage.

Le point d’orgue de cette volière où l’on cultive l’entre-soi sans le moindre scrupule fut sans conteste le fameux bal masqué Noir et Blanc que Truman Capote offrit à 540 invités au Plaza Hotel de New York, « la fête la plus somptueuse du 20ᵉ siècle » comme le titre Vanity Fair. (1)

Le grand bal masqué Noir et Blanc offert par Truman Capote

Cependant, toute leur vie de mondaines, les Cygnes endurent la jalousie, l’envie, les ragots à n’en plus finir et ont besoin de se confier à une âme sœur. Par exemple, à celui qui se tient à leur disposition pour recueillir leurs confidences, qui les prend dans ses bras lorsqu’elles sont malheureuses : Truman. Hélas pour elles, il est aussi celui qui fait profession de raconter, de se servir de la vie des autres pour alimenter son œuvre. Tout lui est bon, il n’a aucune morale. L’art est en dehors de toute morale. Les Cygnes auraient dû le savoir et le prévoir.

Babe (Naomi Watts) se faisant consoler par Truman

Je veux dire à travers cela que Feud nous offre deux points de vue sur l’art. D’une part, celui où l’artiste se confond avec l’œuvre, cela vaut pour les Cygnes mais aussi pour le Truman Capote qui meurt d’envie de faire partie de leur monde, d’autre part, celui où l’artiste prélève dans son environnement une matière à laquelle il donne une forme, ce qui est le travail des écrivains comme Truman Capote. On ne peut pas jouer sur les deux tableaux à la fois. Ou je suis l’œuvre ou je fais du monde mon œuvre. Ce sont ces deux points de vue qui, s’étant nourris l’un de l’autre, se séparent violemment dans Feud pour devenir antagonistes. Avec tout de même une vraie victime, Anne Woodward.

Babe dans sa chambre

Comment Capote pouvait-il se leurrer au point de croire qu’il dénoncerait une élite mondaine dans laquelle il était admis, lui le plus mondain des mondains, sans y laisser de plumes ? Lorsqu’il enquêta pour écrire De Sang Froid, il côtoya plusieurs années les deux suspects, jusqu’à leur exécution. Il fit preuve avec eux d’une compréhension véritable et son roman avait des accents humanité qui le distinguait des autres. D’un acte horrible, il avait fait naître une œuvre sincère. Ce n’est pas le cas de Prières exaucées. C’est même l’inverse.

Image métaphorique, Truman déguste un cygne volé dans un parc et rôti à son intention.

Après La Cote basque, Truman publiera deux autres chapitres de Prières exaucées, toujours dans Esquire. Mais son dernier roman restera inachevé et sera publié tel quel après sa mort. Néanmoins, Andy Warhol, son admirateur de toujours, lui ouvrit les pages de sa revue Interview. Et il publia diverses nouvelles, essais ou portraits dans des magazines. Mais la veine était belle et bien tarie. (2)

Andy Warhol et Truman Capote

Note : 1 – les images noir et blanc qui illustrent cet article sont extraites de l’épisode consacré au Bal masqué organisé par Capote. Cet épisode emprunte la forme d’un documentaire tournée en 1966 par les frères Alfred et David Maysles sur l’écrivain. 2 – Je n’ai pas mentionné l’épisode qui met en scène Truman Capote et James Baldwin. Leur rencontre n’a jamais eu lieu. Il est toujours décevant de rompre le pacte passé avec le spectateur, en l’occurrence celui de la véracité, d’autant que le résultat est plus bavard et sentencieux que passionnant. Le souvenir de la même erreur commise dans The Crown laisse croire que le pli est malheureusement pris.

Feud – Capote versus The Swans est un feuilleton américain en 6 épisodes créé par Ryan Murphy et diffusé sur FX en 2024. Il est interprété notamment par : Tom Hollander, Naomi Watts, Chloë Sevigny, Calista Flockhart, Diane Lane, Demi Moore, Treat Williams, Joe Mantello, Jessica Lange, Molly Ringwald .

Une réflexion sur “Feud – Capote versus The Swans

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