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Le Britannia yatch d’Elisaberth II

Le navire amiral de la flotte Netflix est définitivement à quai, paré de tous les hommages. 6 saisons de 10 épisodes d’une heure chacun, soit 60 heures de navigation nous ont fait découvrir la longue carrière de la reine Elisabeth II, des derniers jours de son père George VI jusqu’aux derniers temps de son propre règne (1).

Son couronnement, le 2 juin 1953, fut le premier à être télévisé, à l’initiative du Prince Philip envers et contre l’avis de Churchill et de l’archevêque de Canterbury. Il donna également lieu à la première retransmission télévisée internationale, après les essais de « l’expérience de Calais » en août 1950 et de « la semaine de Paris » en juillet 1952 (2). Sous la houlette du producteur Jean d’Arcy, figure historique de la télévision française, de Cecil McGivern, directeur de la BBC et Jan Willem Renge, de la télévision néerlandaise, la cérémonie fut retransmise en direct au-delà la Manche. Côté français, Léon Zitrone, commenta la cérémonie. L’évènement fut considérable.

Extrait du Couronnement vu à la télévision française

Le règne d’Elisabeth II se confond ainsi avec celui de la télévision (3). Celle-ci se devait, à la toute fin de la vie de la monarque, de le retracer. Elisabeth II est décédée le 8 septembre 2022, The Crown s’est achevé en décembre 2023. À un peu plus d’an près, on aurait pu assister à sa magistrale sortie de scène en même temps qu’elle quittait ce monde. L’effet de miroir aurait été total.

La reine Elisabeth âgée (Imelda Staunton)

Comment reconstituer ce long périple de la monarchie britannique au cours des 70 années qu’il dura sans passer par les images d’archives et les commentaires de spécialistes ? Se livrer à une reconstitution historico-politique à la manière de Rome ou, à un niveau plus trivial, des Tudor ? Concocter un soap-opera à la façon de la Dynastie des Forsyte ou de Downtown Abbey ? Le hisser au niveau de l’épopée tant les conflits ont ravagé le royaume, de la 2de guerre mondiale au conflit Kosovo en passant par guerre civile Irlandaise ? En extraire une tragédie en se concentrant sur la fin de règne et la mort de Lady Diana ? En un mot quel point de vue adopter ?

Très simplement, les auteurs ont fait le choix, il n’y a qu’un et un seul point de fuite sur l’horizon du règne : la reine Elisabeth II, celle qui naît avec la mort de son père comme l’insecte adulte s’extrait d’Elisabeth Windsor, sa chrysalide, à l’instant précis de son couronnement où elle reçoit l’onction. Dès lors elle n’appartient plus complètement à ce monde. Elle se confond avec la couronne.

Elisabeth II Regina (Claire Foy)

Cette dualité des personnages et le conflit qui résulte de la coexistence des sentiments personnels et du devoir imprègne toute la série. Comme l’écrit la vieille reine Mary à sa petite fille peu avant son couronnement : « La fidélité à l’idéal dont tu as hérité est ton devoir suprême, car la vocation vient de la source la plus haute, de Dieu lui-même ». Plus tard, des commentaires désobligeants sur les monarchies « d’apparat », comme les cousines scandinaves, confirment le sens du sacré attaché à la couronne britannique. Il ne s’agit pas ici de justifier une morale mais de faire comprendre ce qu’elle représente pour ceux qui en sont les héritiers et qui ne va pas, pour eux-mêmes, sans contradictions ni contraintes.

Elisabeth, à sa maturité (Olivia Colman), devant son profil choisi pour orner les timbres postes du Royaume-Uni

Pour ne parler que de la période moderne, le roi Edouard VIII dut céder son trône et se contenter du titre de Duc de Windsor pour épouser une divorcée, la princesse Margaret ne put épouser l’homme de sa vie, un divorcé, et le prince Charles détruisit son mariage faute de pouvoir épouser Camilla, la divorcée qu’il convoitait depuis toujours. Nul n’ignore pourtant l’hypocrisie de règles qui tolère les maîtresses et les amants à condition de respecter les apparences mais où le divorce est objet de scandale. Au-delà de ces enjeux affectifs, il s’agit que les personnalités, Reine comprise, s’effacent devant la Couronne, c’est-à-dire l’idée même de la monarchie. Un jour d’absence d’Elisabeth, Churchill tance une Margaret à la langue trop bien pendue en public : « Votre oncle Edouard VIII a menacé de faire la même chose, d’imposer son individualité à l’institution, de lui donner vie ! Ce faisant, il a failli la détruire ! » Une monarchie n’a pas de vie, elle est.

Churchill (John Lithgow)

La défense de la celle-ci est un exercice de funambule qu’exécutera Elisabeth avec constance. Dans les faits, la monarchie n’est rien, elle n’a aucun pouvoir, le Parlement et surtout le « cabinet » (4) décident de tout, elle n’est qu’un symbole, celui de la couronne, c’est-à-dire du pouvoir. Certains, comme Charles et Margaret, voudraient la moderniser, d’autres, comme la reine-mère et la reine Mary sont pour le maintien du cadre moral et religieux traditionnel, ce à quoi Elisabeth, fondamentalement croyante, se ralliera. Quant au prince Philippe, rejeton de la royauté grecque, il savait mieux que quiconque la fragilité d’une monarchie, son père, André de Grèce, ayant dû fuir le pays du fait d’un coup d’Etat militaire et sa grand-tante, la tsarine Alexandra, ayant été exécutée par les bolcheviques. Dès lors, présenter une image irréprochable était à ses yeux un gage de survie.

Le sonneur, à l’aube

L’écart entre un Royaume Uni en évolution sociale, culturelle et technique constante et une famille ancrée dans une tradition séculaire s’est pourtant considérablement accru depuis Victoria. Pour ne prendre que cet exemple, les vacances du clan Windsor à Balmoral sont l’illustration parfaite des activités archaïsantes de la noblesse : les chevaux et la chasse passent en premier, un sonneur ouvre les dîners et annonce le lever du jour au son de la cornemuse, les couples font chambre à part, les horaires et règles vestimentaires sont précises, ne pas respecter un rituel vous classe irrémédiablement parmi les intrus. Le couple de Margaret Thatcher, que la reine n’appréciait pas, se fait prendre au piège en apparaissant en tenue de dîner à l’heure du thé, alors que le clan rentre de la chasse.

L’entrée ratée de Margaret Thatcher (Gillian Anderson) et de son mari (Stephen Boxer) à l’heure du thé à Balmoral

Cet autre monde, Elisabeth le défend avec fermeté devant Tony Blair, le Premier Ministre réformateur, qui entend épurer la liste des employés du palais de son grand fauconnier héréditaire, de sa distributrice de fleurs, de son gardien des cygnes, de son sonneur de cornemuse, de son responsable des verres et des faïences, et de quantité d’employés aux fonctions anachroniques. La Reine argumente que la tradition véhicule un savoir, une spiritualité, une beauté et une excentricité par rapport au reste de la société qui manifestent l’intemporalité de la couronne. Tony Blair abandonne. Pourtant, Elisabeth II est loin d’être insensible aux sondages et aux gros titres. Tout au long de la série, on reviendra sur cet écart grandissant entre la monarchie et la rue. L’exemple de Diana, la « princesse du peuple », commencera à faire prendre conscience à la Reine de son décalage avec son temps. Trop tard.

La Reine et Diana (Elizabeth Debicki)

Etre ou ne pas être prince

La contradiction s’aggrave en effet avec la nouvelle génération des Windsor. Les divorces d’Anne et d’Andrew, le mariage à trois de Charles, Diana et Camilla, la guerre entre Charles et Diana, les révélations des tabloïds, les conversations interceptées par un radio-amateur, les propos grivois reproduits par la presse, l’apitoiement sur soi, la violence des disputes, rien de cela ne relève ni de la décence ni de la grandeur morale que l’on attend de princes.

« [les poètes tragiques] imitaient les belles actions et celles des gens d’un beau caractère; [les poètes comiques], les actions des hommes inférieurs, lançant sur eux le blâme comme les autres célébraient leurs héros par des hymnes et des éloges. » écrivait Aristote. On attendait en effet une tragédie puisqu’on allait voir agir des personnages appartenant à une caste éminente, or on a, surtout sur la fin, le sentiment de sombrer dans un drame petit-bourgeois. Le blâme rejaillit sur Charles et Diana, qui nous sont chronologiquement les plus proches et que les auteurs choisissent d’habiller de ridicule après les avoir couverts d’importance. On suit le couple princier comme la population britannique le découvrait au travers la presse à scandale de l’époque, sans plus de pitié. Pourrait-on reprocher à The Crown de maltraiter ses personnages en ne donnant pas sa chance à chacun, et en cédant, finalement, à un jugement moral expéditif ?

Le désastreux voyage de noces de l’ex-roi Edouard 8 (Alex Jennings) en Allemagne

On ne s’apitoiera pas sur le portrait au vitriol d’Edouard VIII, alias le duc de Windsor, qui a troqué sa couronne contre une vie de jouissance auprès d’une américaine divorcée. Sa sympathie pour le régime nazi, à laquelle la série consacre un épisode, l’a délégitimé depuis longtemps (5).

Mais qu’il s’agisse d’un prince trop fragile, de son père traumatisé par son enfance, d’un roi traître ou d’une princesse à l’étroit dans son palais, les défauts de ces êtres pris dans l’étau de leurs amours et de leurs fonctions, ne sont pas ceux du commun des mortels. Ce qui permet en effet à The Crown d’échapper à la comédie bourgeoise et de conserver la fibre tragique est qu’il y est question, avec insistance, de conflits de destins et non de caractères, c’est-à-dire de la tension continue entre ce que chacun est et ce qu’il doit être.

Nerissa (de face) et Katerine (à droite, de dos) Bowes-Lyon

Ce qui me fait écrire ce qui précède saute au yeux au cours d’un épisode très troublant de la quatrième saison où Margaret découvre ce que même sa soeur la Reine ignore : l’existence des cousines Nerissa et Katherine Bowes-Lyon, internées en raison d’un très lourd handicap mental. Or le Burke’s Peerage, le registre de l’aristocratie et de la famille royale, les mentionne comme étant décédées. Cette ignorance ou plutôt cet effacement se traduit par l’absence de toute visite et de toute aide financière de la famille royale à ces handicapées. Si les choses ne se sont pas déroulées exactement ainsi et si Margaret n’a joué en réalité aucun rôle, il n’en reste pas moins que « l’inexistence » de ces cousines met à jour un tabou de la monarchie. Dans un système politique ou le pouvoir s’hérite, la pureté du sang joue le premier rôle. Il suffit en effet du moindre soupçon de défaillance congénitale pour disqualifier tous les membres de la famille royale pour le trône. C’est une autre raison de parler du rôle surplombant du destin dans The Crown.

Mohamed Al-Fayed (Salim Daw) accablé par la mort de son fils

Même le richissime Mohamed El-Fayed, le père de Dodi, se hausse in fine au niveau de dignité exigé lorsque le malheur punit son ambition démesurée. Jusqu’ici caricaturé en arriviste oriental, plutôt ridicule, il cède sur le coup du drame à la frénésie dénonciatrice avant de ravaler son chagrin et d’accepter un sort qu’il a lui-même provoqué. C’est lui qui a exigé que Dodi et Diana fassent un arrêt à Paris en rentrant de vacances pour épater la princesse avec un cadeau extravagant (et d’une rare maladresse). Mais il n’est pas le seul coupable. L’accident mortel sous le Pont de l’Alma conclut des années d’infidélités et de violences, de scandales et de trahisons. La morale a eu raison de l’existence, comme dans toute tragédie.

Les paparazzi atteignent l’entrée du tunnel du Pont de l’Alma

Ce qu’elle doit être, Elisabeth en est pénétrée depuis sa naissance et même depuis bien avant, tant elle maintient une parfaite dignité, du début de la première saison à la fin de la sixième, consciente jusqu’à la moelle de ses os de n’être que le socle impavide la Couronne. Ce qui ne la prot!ge pas des bourrasques des scandales comme la série le montre..

Car d’une façon ou d’une autre, tout ce qui arrive aux membres de la famille royale est soumis à son jugement. Margaret, la sœur bouillonnante, en fait les frais au cours d’une étrange scène de la première saison qui montre l’affrontement des deux sœurs au sujet de son impossible mariage. Chacun à son tour, les autres membres du clan, de Lord Mountbatten à la Reine-mère, la princesse Anne, le prince Charles, plus tard la princesse Diana et ses deux fils William et Harry, ou enfin, à un moindre niveau, les princes Edward et Andrew, se font un jour ou l’autre remettre à leur place. Seule la reine Mary, protégée par son âge, y échappe.

Philip (Matt Smith) aux côtés de Jackie Kennedy (Jodi Balfour)

J’ai gardé Philip pour la fin, compte-tenu de son rôle particulier. Son adaptation à la suprémacie de la Reine et à son titre inférieur provoque plusieurs crises de couple, mais au fil des épisodes on lui découvre un trait de caractère ou plutôt une fonction narritive particulière. Il est celui qui, en désaccord avec la Reine, va faire, seul, l’expérience de son erreur, prouvant, si besoin était, le rôle de boussole morale d’Elisabeth pour sa famille comme pour le pays.

La monarchie comme théâtre

Mais ce qui nous intéresse est ce que la série nous fait découvrir au sujet de tous ces personnages que je viens de citer à l’ère des journaux (à scandale), de la télévision (à scandale), de la radio et d’internet ? La réalité, toute la réalité, rien que la réalité ou bien une fictionnalisation de la réalité telle que nous en présente une multitude de docu-drames ? Et en ce dernier cas jusqu’où va la liberté d’invention des auteurs ? Exactement là où elle doit en rester à en juger par la description du piège monté par un journaliste peu scrupuleux de la BBC pour interviewer Diana ?

L’interview traquenard de Lady Diana

IL semble que les auteurs aient franchi les bornes avec la 5e saison à en juger par la volée de bois vert qui leur a été assénée par le premier ministre concerné, John Major. Deux épisodes, en effet, l’un à l’époque de John Major, l’autre à l’arrivée de Tony Blair, mettent en scène une tentative de Charles pour faire admettre aux premier ministres successifs la possibilité d’une abdication de sa mère. Bref, Charles aurait trahi et comploté, hypothèse non seulement improbable mais scandaleuse. Netflix aurait gagné à faire précéder chaque épisode d’un avertissement sur la liberté prise avec les faits. La sixième saison, ne se corrige pas tout à fait le tir. On y voit en effet la Reine demander à Tony Blair de l’aider à remonter la pente des sondages et celui-ci lui remettre un rapport pour moderniser la monarchie. Il y a peu de raison d’y croire, en revanche, ce que la série ne dit pas, c’est qu’il est intervenu auprès de la Reine à la demande de Charles afin qu’elle assouplisse son attitude lors de la mort de Diana. Et que penser de la correspondance que Charles aurait entretenue avec le duc de Windsor, partageant son aversion pour la rigueur et l’insensibilité de la famille royale ? Documentaire fictionnalisé ou fiction documentée ? Le statut de la série est mis en doute à chaque écart avec la vraisemblance.

De haut en bas : Charles (Dominic West), John Major (Jonny Lee Miller), Charles et Tony Blair (Bertie Carvel)

Pour préciser ma pensée, je voudrais revenir sur l’adjectif « étrange » employé plus haut à propos d’un différent entre Margaret et la Reine qui me semble être un bon exemple de la façon dont les comportements et les discours des uns et des autres sont rapportés par la série.

De haut en bas : La princesse Margaret (Vanessa Kirby) et la reine Elisabeth

Que Margaret se fasse reprocher telle ou telle attitude et soit démise de certaines responsabilités par Elisabeth n’est en rien surprenant. Ce qu’il l’est, en revanche, c’est qu’à l’initiative de Margaret la conversation s’arrête sur la préférence de leur père entre elles. « Elisabeth est ma fierté, Margaret est ma joie » aurait-il dit. Querelle de gamines de 12 ans qui n’a aucune raison d’être dans un entretien entre jeunes femmes adultes et assumant des responsabilités. Deux niveaux de discours se mêlent, le trivial et le respectable, désarçonnant le spectateur, alors que bien des dialogues sont d’une remarquable tenue. En ce domaine, la palme revient au duc de Windsor, le réprouvé, qui, répondant à un appel téléphonique d’Elisabeth, rehausse le registre avec ce poème improvisé, toujours sur le thème de la sororité :

À moitié sœur, à moitié reine

Étrange créature hybride

semblable à un Sphinx ou un Gamaïoun

Comme je suis Ganesh ou Minotaure

Nous sommes à moitié humains

arrachés des pages d’une mythologie bizarre

Avec nos deux côtés, l’humain et la Couronne

se livrant une guerre civile qui ne connaît par de fin

et qui détruit chacune de nos transactions humaines.

Nous sommes au théâtre.

Charles retravaille son discours d’investiture comme Prince de Galles au bord de la mer

Mais quoi que nous ayons pu éprouvé de plaisir comme de doute, de désenchantement comme de fascination en regardant The Crown, il nous restera longtemps en mémoire la saisissante intensité de séquence voires d’épisodes tout entiers, comme la séance de pose de Margaret dans le studio du photographe Tony Armstrong-Jones, pétrie de désir et de crainte, ou l’épisode de la visite des Kennedy et de la crise au Ghana, enlevé avec brio, l’émotion digne de la catastrophe d’Aberfan où un terril s’effondra, emportant 116 enfants d’une école, la fragilité de Charles confronté à la dure réalité du Pays de Galles ou ce simple poème du duc de Windsor que je viens de citer, inspiré par on ne sait quelle muse.

Philip (Tobias Menzies) aux obsèques des victimes de la tragédie d’Aberfal

De l’inépuisable concurrence de la fiction et de la réalité

Les contradictions internes sont loin d’être seules. Apparaissent également les contradictions « externes » comme celle qui ne s’effacera que lorsque décèdera le dernier humain ayant souvenir d’avoir connu de son vivant le règne d’Elisabeth II.

Car au fur et à mesure que la série se rapproche de notre présent, c’est-à-dire à partir de la terrible cinquième saison, la puissance de la fiction s’atténue jusqu’à presque s’effacer. C’est l’autre tectonique de The Crown. On peut nous raconter n’importe quelle Jeanne d’Arc, cela n’effraiera que les historiens professionnels, mais on ne nous déguisera pas Obama ni Trump. La réalité que nous avons vécue et vivons encore par le truchement des médias prend le pas sur l’imagination et la dramaturgie de l’une sur celle de l’autre. À un moment donné, suivant son âge et la connaissance qu’il a de l’histoire de la monarchie britannique, le spectateur commence à confronter ce qu’il voit à ce qu’il sait et à renâcler devant les libertés prises vis à vis de sa propre version. Mieux, il connaît ce que les personnages eux-mêmes ne savent pas encore. Dès qu’apparaissent Mohamed et Dodi Al-Fayed, Diana n’est plus qu’une morte en sursis. C’est probablement la raison pour laquelle l’épisode consacré à la mort de Diana débute par l’accident sous le Pont de l’Alma signifié par un bruit de choc sur une vue de l’extérieur du tunnel. Le reste de l’épisode se construit ensuite en flash-back, belle façon de tuer dans l’oeuf notre impatience de contempler l’immontrable, de jouir de l’obscène . Et donc de dire, sans le montrer, ce qu’a été l’accident, provoqué par la meute de paparazzi lancée aux trousses de Diana. La même voracité du regard est à l’œuvre, la leur comme la nôtre.

Les paparrazi à l’entrée du Pont de l’Alama quelques poignées de secondes après le drame.

The Crown est non seulement un récit chronologique mais aussi une lente transition entre la fiction et la réalité. Sans doute les générations à venir verront cette histoire avec la même distance que nous la vie d’Alexandre le Grand mais pour tous ceux qui ont connu le XXe siècle et le début du XXIe, cet effet de transition est sensible. L’assassinat de Kennedy et l’expédition d’Apollo 11, pour ne citer qu’eux, comptent parmi les évènements qui ont assuré l’ascendant de la télévision sur la génération de la seconde moitié du XXe siècle. Les retrouver à la télévision, au travers des yeux d’une famille royale qui, à cet instant, devient n’importe quelle famille réunie devant son poste de télévision, est une mise en abîme percutante. « What is there in thee, Moon, that thou shouldst move my heart so pentenly ? » Qu’y a-t-il en toi, Lune, pour que tu puisses remuer mon cœur avec tant d’ardeur ? se demandait avec une infinie justesse John Keats, qui, pourtant, à son époque, ne disposait pas de la télévision.

Diana en une image

Ne hâtons pas l’Histoire, ni la petite ni la grande. On affirmera qu’il suffit d’attendre que le dernier humain contemporain de Diana ou même de Kate Middleton décède pour que tout cela passe définitivement à la fiction, mais ce serait préjugé de la puissance créatrice de la réalité. D’ailleurs, Megan Markle aurait brillamment pris le relais à en croire la presse à scandale…

Rule, Britannia! rule the waves

Notes : 1 – Pour raconter une période aussi longue, la série est découpée en 6 saisons de 10 épisodes chacunes, groupées par deux. Les acteurs ne jouent que dans deux saisons successives et sont remplacés par de plus âgés dans les deux saisons suivantes de façon à suivre le vieillissement des personnages. Par conséquente, un bon tiers de la troisième saison et de la cinquième saison sont nécessaire pour s’accoutumer aux nouveaux aspects des personnages. 2 – Au sujet de la semaine franco-britannique, on pourra consulter cet article du Monde de 1952. 3 – Sur les relations entre la famille royale, en particulier le prince Philip, et la télévision, on pourra consulter cet article du Guardian (en anglais). 4 – le cabinet est l’organe supérieur de décision du gouvernement, il réuni le sministres les plus importants autour du Premier Ministre. 5 – Si l’abdication d’Edouard VIII eut officiellement pour raison son amour pour Mrs Wallis Simpson, des rumeurs persistantes relayés par de nombreux articles (notamment celui-ci de la BBC ou celui-ci du Monde (pour abonnés)) suggèrent que le gouvernement britannique aurait fortement appuyé l’abdication en raison des sympathies nazies du couple, notamment celles de Wallis Simpson qui fut la maîtresse de l’ambassadeur allemand à Londres Ribbentrop, alors qu’elle partageait déjà la vie d’Edouard WIII. L’accusation est confortée par de nombreuses photographies d’un voyage du couple en Allemagne et de sa réception par Hitler sans même compter les documents découverts pendant la débâche allemande prouvant la collaboration effective d’Edouard VIII avec l’espionnage allemand comme l’expose The Crown dans le 6e épisode de sa seconde saison.

The Crown est un feuilleton anglo-américain en 6 saisons de 10 épisodes chaque créé par Peter Morgan et diffusé sur Netflix de novembre 2016 à décembre 2023. Il est interprété notamment par : Khalid Abdalla, Gillian Anderson, Eileen Atkins, Marion Bailey, Meg Bellamy, Helena Bonham Carter, Bertie Carvel, Geraldine Chaplin, Emma Corrin, Charles Dance, Ben Daniels, Salim Daw, Erin Doherty, Claire Foy, Matthew Goode, Victoria Hamilton, Jared Harris, Alex Jennings, Anton Lesser, John Lithgow, Luther Ford, Ed McVey, Michael Maloney, Lesley Manville, Tobias Menzies, Ben Miles, Jonny Lee Miller, Jeremy Northam, Josh O’Connor, Jonathan Pryce, Imelda Staunton, Matt Smith, Jason Watkins, Olivia Williams, Greg Wise,…

Une réflexion sur “The Crown

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