The Diplomat (La Diplomate) appartient à un genre assez récent au regard de l’histoire de la télévision, puisqu’il commence approximativement avec The West Wing (À la Maison Blanche) en 1999, et se poursuit avec Borgen (Borgen, une femme au pouvoir), The House of Cards (Le Château de cartes), Designated Survivor (Survivant désigné), Secret State, This England ou Baron Noir pour ne citer que quelques-unes de ces séries de politique-fiction qui ont marqué les deux décades et demie passées.

Nous avons eu des hommes seuls, des femmes seules, mais rarement des couples. House of Cards faisait exception avec un duo venimeux interprété par Robin Wright et Kevin Spacey. The Diplomat reprend le flambeau avec une paire moins attendue, interprétée par Keri Russell et Rufus Sewell dans les rôles respectifs de Kate Wyler, nommée ambassadrice des USA au Royaume-Uni et de son mari Hal, lui-même diplomate de carrière. Le couple traverse une sérieuse crise et la nomination non-désirée de Kate à Londres aggrave les relations. À cela s’ajoute une perspective aussi peu désirée : une possible nomination à la vice-présidence des Etats-Unis. Mais son plus gros problème reste son mari, Hal, qu’elle aime, mais ne supporte plus. Leurs scènes de ménage, au moins aussi fréquentes que les réunions diplomatiques, se répètent tant que bientôt, on ne sait même plus pourquoi les deux héros se chamaillent.

Entre disputes et réconciliations, protocole et réunions de crise, le récit progresse par bonds et rebonds, retrouvant ainsi le rythme et le plaisir du feuilleton tel qu’on l’a un peu oublié. La ressemblance avec les diplomates policés du Quai d’Orsay ou de Whitehall voire même de réels représentants des USA n’est pas au menu. Nos ambassadeurs de télévision sont américains, par conséquent ciné-télévisuellement voués à l’action. Les manières et le langage diplomatiques de leurs collègues britanniques leur est étranger. Mais le décalage entre la franchise et l’énergie affichée par Kate Wyler et le flegme de son interlocuteur, le ministre des Affaires Étrangères britannique, apporte au récit sa touche de comédie, efficace, sans être vraiment originale. Quant à l’improbable flirt platonique entre ces deux personnages, qui sait ce qu’il en est véritablement dans l’univers feutré de la diplomatie ?

Ce qui paraît plus frappant est l’inscription revendiquée de la série dans un contexte politique précis : le mandat de Biden et les conséquences du départ des troupes US d’Afghanistan côté états-unien, les effets (désastreux) du Brexit côté britannique, la guerre en Ukraine et les mercenaires de Wagner pour tous les deux. Les références sont nombreuses et concrètes. Lorsque, par exemple, Kate Wyler propose de geler des avoirs russes en représailles d’un attentat plutôt que de frapper militairement la Russie, le premier ministre Trowbridge lui rétorque que la multitude de sanctions imposées à la Russie n’a en rien entravé son agression de l’Ukraine.
Kate Wyler est aussitôt informée par la cheffe de station de la CIA Eidra Park (Ali Ahn) de l’avancée de l’enquête sur l’attentat contre le porte-avion.
Une fiction politique est censée dévoiler les jeux internes au pouvoir politique. Ce faisant, elle peut, dans le meilleur des cas, offrir à la fois une pédagogie du pouvoir et une alternative au régime en place. En 2000 aux USA, par exemple, un sondage mettait le président Josiah Bartlet de The West Wing devant George W. Bush et Al Gore, les candidats pour la Maison Blanche.

Revenir à The West Wing est utile pour comprendre le rôle d’une fiction politique. Aaron Sorkin, son auteur, était (et est toujours) un libéral, au sens américain du terme, c’est-à-dire de Gauche, comme beaucoup de ses collègues scénaristes. Son projet était d’aller à l’encontre des clichés, des réflexes de méfiance ou d’hostilité systématiques qui frappent la classe politique, de réhabiliter la démocratie américaine. Il suffit en effet de lire les sempiternels « tous pourris » qui fleurissent dans les forums, sur les réseaux, dans les commentaires d’articles de journaux pour mesurer l’ampleur du problème. Ce mépris des politiciens est le terreau d’une Extrême-droite qui, elle, se veut l’incarnation directe du « peuple ». L’intuition de Sorkin de la nécessité de redonner du lustre à la fonction politique était pertinente quand on voit qui, désormais, gouverne les USA, quelle est la teneur de son discours et qui l’a élu. Il est vrai que The West Wing n’a rien pu contre la montée du néo-conservatisme, prélude à la démagogie trumpiste. Une série intelligente est hélas moins puissante que de grossiers mensonges.
Pourtant, en misant sur le discernement des spectateurs, en développant des sujets sensibles ou complexes, en présentant l’exercice du pouvoir sous un aspect positif, avec des personnages mus par une conscience morale et politique, sans toutefois gommer les coups fourrés, Sorkin avait fait en sorte qu’à l’époque, 16 millions de spectateurs déçus par l’élection de G.W.Bush s’étaient réfugiés chaque soir dans la réalité alternative de la présidence de Josiah Barlet.


Une longue et brillante carrière télévisuelle
C’est pourquoi retrouver Allison Janney, l’actrice de The West Wing , qui interprétait alors C.J. Cregg, porte-parole puis secrétaire générale de la Maison-Blanche, dans le rôle de la vice-présidente Grace Penn dans The Diplomat est bien plus qu’un clin d’oeil, c’est s’inscrire à la fois dans une histoire politique et dans une histoire de la télévision états-uniennes.(1)
Borgen aussi avait joué de cette pédagogie en présentant une première ministre contrainte d’avaler des couleuvres, de conclure des alliances contre-nature, mais qui toujours tenait son cap. Voir un tel personnage se débattre dans ses contradictions, comprendre ce qu’il préserve envers et contre tout quitte à céder sur le reste est une leçon de démocratie.

Ceci, The Diplomat le pratique constamment, mais dans le cadre des rapports internationaux. À chaque instant, on est amené à peser le pour et le contre, à se demander si telle initiative incongrue d’Hal est justifiable ou si Kate ne dépasse pas les limites de ses prérogatives. Incontestablement, les USA des Wyler ont retenu la leçon de la Guerre d’Irak, une ou deux fois mentionnée comme l’Erreur à ne pas reproduire. Kate en fait son credo pour bâtir sa politique, et insiste pour ne tenir compte que des faits, jamais des apparences ni des opinions. Malgré cela, la fugueuse ambassadrice n’échappera pas au piège que d’autres, plus retors, ont tendu.
Billie Appiah (Nana Mensah), la chef de cabinet du président s’entretient avec Stuart Heyford (Ato Essandoh), le directeur de cabinet de Kate Wyler.
La partie jouée par le couple de diplomates est d’autant plus délicate que les « joueurs » sont nombreux et mal identifiables. La politique internationale d’aujourd’hui est ainsi faite. Dans la série, un porte-avion britannique est frappé par un engin explosif. L’Iran est immédiatement accusé, puis la Russie, puis le groupe Lentov, alias Wagner, puis des milieux britanniques opaques. On ne sait rien, en réalité. Pas plus que lorsque Colin Powell exhibait une fiole d’anthrax à l’ONU ou que des « hommes en vert », sans insignes, envahissaient la Crimée. Dans ces conditions, la série s’écarte de la fiction politique pour frôler la série d’espionnage et le rôle de la cheffe de station de la CIA, Eidra Park, s’étoffe.

À cette imprécision des faits politico-militaires, répond l’indécision de Kate Wyler, incapable de décider du sort de son couple comme d’accepter la vice-présidence. Si, sur ces deux points, la série revient avec une insistance lassante qui ne trouve sa raison d’être qu’à la dernière minute des deux saisons, il n’en reste pas moins qu’elle crée un sentiment d’impuissance, d’énergie dépensée en pure perte. C’est justement ce monde que décrit The Diplomat, un monde de totale incertitude, notre monde.
Que faire en ce cas ?
La série y répond involontairement. Ni totalement sérieuse ni totalement légère, toujours à la limite de la crédibilité, The Diplomat nous séduit par son rythme et son humour. Autant qu’un style, ne serait-ce pas là une forme de morale ?

Note : 1 – Le nombre de récompenses obtenues par Allison Janney pour The West Wing (4 Emmy Awards en 4 ans, 6 nominations aux Golden Globes et Emmy awards) prouve la popularité de cette impressionnante actrice et l’impact de cette série sur le public américain. Sa nomination aux Golden Globes pour The Diplomat ce 5 janvier 2025 le confirme.
The Diplomat (La diplomate) est une série américaine en 2 saisons de 14 épisodes crée par Debora Cahn et diffusée en 2023 et 2024 sur Netflix. Elle est interprétée notamment par : Keri Russell, Rufus Sewell, David Gyasi, Ali Ahn, Rory Kinnear, Ato Essandoh,…



