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Zorro by Disney

Zorro

Les studios Disney partagent avec MacDonald et Coca-Cola le privilège de représenter les Etats-Unis dans le monde entier et pas forcément en bien. Le massacre des contes et légendes qui fût et reste leur fond de commerce a gâché bien des jeunesses ; mais, de la même façon qu’on peut céder à ses enfants, pousser la porte d’un MacDo et trouver un plaisir à une nourriture industrielle servie dans un décor banal, on peut goûter sans fausse culpabilité quasiment tout Zorro.

Zorro produit par Disney ce sont trois saisons diffusées entre 1957 et 19611 et dont les rediffusions ne cessent d’entretenir dans le monde entier le mythe du cavalier masqué dont l’épée, plutôt que de tuer, ridiculise définitivement l’adversaire en découpant un Z sur son plastron. Et puis, disons-le nettement : le générique compte parmi les plus belles réussites du genre. Vitesse, obscurité, violence, cruauté suggérée… on ne regarde Zorro que pour retrouver cette intensité à un moment ou l’autre de l’épisode.

 

L’homme derrière le masque

Zorro ? Qu’est-ce que Zorro ? Bandit de grand chemin, patriote ou Robin des bois ? Remonter au  Zorro original, Joaquim Murrieta, n’aide pas vraiment à faire la part des choses.

Certaines sources évoquent la révolte d’un chercheur d’or mexicain victime des prospecteurs anglo-saxons, dans la Californie des années 1850. Les « anglos » l’auraient battu, ligoté, auraient violé sa femme et pendu son demi-frère. La justice s’étant naturellement rangée du côté des bourreaux, Joaquim Murrieta se serait enfui dans les montagnes californiennes et se serait transformé en bandit-justicier. On dit aussi qu’il fut faussement accusé, avec son frère, du vol d’une mule et devint hors-la-loi par la force des choses. D’autres textes parlent plus simplement d’un bandit de grand chemin, voleur de chevaux et assassin notoire, avec un penchant pour le meurtre d’immigrants chinois, d’autres évoquent un patriote, proche des révolutionnaires mexicains. On raconte qu’il fut abattu par les Rangers en 1853, que sa tête fut coupée et conservée dans un bocal d’alcool à titre de preuve. On dit également qu’il mourut tranquillement dans son lit, au Mexique. Une ribambelle de plagiats et de traductions non-autorisées plus tard, l’histoire de Murrieta atterrit au Chili où il gagna le statut de héros national. Pablo Neruda lui consacra sa seule pièce de théâtre : Fulgor y muerte de Joaquín Murrieta (Splendeur et mort de Joaquim Murrieta), créée en 1967. Plus récemment, une compatriote chilienne, Isabel Allende, a également consacré un roman au personnage de Zorro. Bref, quelle qu’ait été la vérité historique, Murrieta n’est guère qu’un assassin pour les anglo-saxons, un héros de la résistance à l’impérialisme pour les hispaniques2. Du moins jusqu’à ce qu’en 1919, un auteur de pulp-fiction, Johnston McCulley, en fasse une version US de Robin des bois : Le Fléau de Capistrano. Certains avancent que McCulley s’inspira du très royaliste Mouron Rouge, vengeur masqué inventé par au tout début du XXème siècle par la baronne Emma Orczy. Quoiqu’il en soit, à partir de McCulley, Zorro devint le pourfendeur de la tyrannie.

Zorro s’oppose aux imposteurs qui, profitant de l’éloignement géographique de l’autorité légitime, oppressent le peuple et détournent le pouvoir à leur profit. On reconnaît immédiatement l’histoire des rebelles de la forêt de Sherwood, à une nuance près, toutefois : Robin des bois, lui, n’était pas seul, il avait mobilisé l’avant-garde du prolétariat de l’époque. Zorro, a contrario, est un héros solitaire investi par lui-même de sa mission de justicier. On peut difficilement lui attribuer une quelconque conscience de classe, d’autant qu’il émarge chez les gros propriétaires terriens.

Maintenant que l’on sait d’où il vient, on peut se demander de qui Zorro est-il le père ? C’est l’histoire des USA qui se joue ici. Le créateur de Batman n’a pas nié s’être inspiré de Zorro. Superman, Batman ou Captain America, tous les super-héros chargés de rétablir la justice dans des mégalopoles trop modernes et livrées à elles-mêmes, ont une dette filiale envers Zorro. Car c’est bien par lui que commence à s’écrire l’épopée des origines.

Il faut savoir d’où l’on vient. En l’occurrence, comme dans Fort Alamo, le projet vise à justifier « la destinée manifeste » des Etats-Unis, cette étrange théorie grâce à laquelle les anciennes colonies anglaises s’estimèrent en droit de coloniser tout le continent nord-américain au détriment des mexicains, espagnols, canadiens et russes. C’est ainsi il fallait transformer le hors-la-loi mexicain en un bellâtre au grand cœur, défenseur de la veuve et des péons, ardent militant des droits civiques. Le Prince Jean devint un gouverneur abusif, Richard Cœur de Lion, le lointain roi d’Espagne et Robin des bois, Zorro. Dans le même registre,Walt Disney (mais sans doute avant lui McCulley) prit soin d’anticiper l’histoire du justicier masqué en la remontant quelques décennies trop tôt, sous la monarchie espagnole plutôt que sous les républiques mexicaine ou nord-américaine. Pour nombre de nord-américains, l’Espagne n’était après tout qu’un empire anachronique et vieillissant dont les USA avaient déjà « libéré » la Floride et Cuba. Le Texas viendrait après. Justification de l’impérialisme par la lutte contre l’impérialisme, un classique du genre.

Enfin, et ce n’est pas négligeable, ce discret anachronisme avait la vertu de dédouaner le Mexique comme les USA du désordre et de l’absence de légalité sévissant alors en Californie. Disney lui-même évoque cet état des choses dans sa présentation. Ce qui – soit dit en passant – devait bien amuser les Bugsy Berkeley et autres Mickey Cohen qui, à l’époque de la diffusion de Zorro, avaient bien corrompu la moitié des politiciens et des policiers de Los Angeles et, qui, entre deux meurtres, trafiquaient tout ce qu’il possible de trafiquer.

Le rapt de Zorro est donc double : à la fois culturel en l’assimilant à un personnage de l’histoire anglo-saxonne et idéologique en faisant d’une figure de la résistance à l’impérialisme un héros de ce même impérialisme.

duel zorro

L’ombre d’un doute

Jusque là, il n’y a que de quoi être gentiment conforté dans nos convictions. Américains impérialistes, latinos dépossédés, indiens parqués, la routine. Mais il faut faire confiance aux scénaristes américains pour glisser des grains de sable dans les mécaniques trop bien huilées. Au détour de la très balisée forêt de Sherwood momentanément déguisée en sierra, voilà que dégringolent deux épisodes qui ébranlent tout l’édifice. L’épisode 14 de la première saison, pour commencer, épisode curieusement intitulé L’ombre d’un doute.

De quoi s’agit-il ? un nouveau commandant de la garnison est annoncé. Une flatteuse réputation le précède : il serait droit et honnête, une exception, donc, dans la galerie de tyrans de sous-préfectures offerte par la série. A son arrivée, après avoir passé ses troupes en revue et défilé devant la population de Los Angeles, le nouveau commandant proclame le rétablissement de l’ordre et la justice. Don Diego, qui assiste à la cérémonie, peut alors annoncer à Bernardo qu’avec un tel homme, plus besoin de Zorro. La justice restaurée, le justicier raccroche l’épée et le masque. Au même instant, de l’autre côté de la place, à l’étage, une fenêtre s’entre-baille. Un coup de feu retentit, le capitaine s’écroule. On apprendra plus tard que l’attentat a été minutieusement préparé et que le prétendu tireur solitaire dissimulait un véritable complot.

Zorro attentat

Cet attentat, c’est évidemment celui de Dallas. Même mise en scène, même soleil, même assassin posté derrière sa fenêtre. Si le fusil avait été retrouvé, je parie cela aurait été un Carcano calibre 6.5. Sauf qu’à l’époque de la série, l’attentat de Dallas n’avait pas eu encore lieu !

J’ai écrit partout que la télévision n’était que du présent, rien que du présent. Je n’ai rien à retirer. Cette prémonition du drame qui allait se jouer six ans plus tard et fonder l’Occident moderne prouve qu’il était en gestation et qu’à n’importe quel moment, dans l’Amérique de cette époque, les forces réactionnaires et maffieuses pouvaient recourir au crime d’Etat pour conserver leur pouvoir. Avec Zorro, l’Amérique croit lire sa légende, elle ne fait que contempler ce qu’elle devient.

Poursuivons. Dix épisodes plus loin seulement. L’épisode 24 de la même première saison met en scène le capitaine Toledano, un officier particulièrement élégant, d’idées libérales et dont la femme semble d’une tempérament quelque peu volage3. A la fin de l’épisode, Zorro est pris au piège dans la caserne. On lui tire dessus. Au prix d’incroyables numéros de trapèze volant, Zorro s’échappe. Au magistrat qui lui reproche la fuite du hors-la-loi, le commandant rétorque en suivant d’un regard énamouré la silhouette qui se fond dans la nuit : « Oui, il a filé, señor, mais maintenant je sais quel homme il est et pourquoi tout le monde l’aime. »

beau capitaine

Le sous-entendu homosexuel est d’autant plus crédible qu’il a été entretenu tout au long de la série par la dualité du héros, bellâtre efféminé le jour, justicier la nuit. La froideur polie avec laquelle Don Diego tient ces dames à distance contredit l’effet considérable que leur fait Zorro, témoin ce dialogue entre le magistrat et la servante de l’auberge, en présence de Don Diego :

– « C’est le plus bel homme qui n’ait jamais existé…

– Oh… alors vous l’avez vu sans son masque ?

– Oh non, mais il y a des choses que l’on sait d’instinct, quand on est une fille. »

Don Diego est la risée des hommes et un bon parti pour les jeunes femmes à marier, mais il est peu sensible à la féminité. Zorro, lui, séduit les hommes et les femmes mais préfère la nuit. Une seule fois, on sentira Diego perde pied devant une femme. Hélas, elle le tient pour un bon camarade et lui préfère Zorro (saison 2 épisode 13, sur lequel je reviendrai). Dans ces conditions, quand est-ce que Don Diego/Zorro trouve son plaisir ? Et bien quand, sous le costume de Zorro, il ferraille avec un adversaire à sa taille. Zorro, icône gay – comme on dirait aujourd’hui- ? Cela ne fait guère de doute. D’ailleurs les scénaristes hollywoodiens pousseront franchement plus loin quelques années plus tard, et toujours sous couvert de western, avec Les Mystères de l’Ouest.

L’avertissement donné à la société américaine sur la violence de ses mœurs politiques d’un côté, et l’irruption d’une sexualité donnent maintenant aux aventures de Zorro une dimension toute autre que celle d’une simple justification impérialiste. Il s’agit bien d’une récupération idéologique mais dynamitée de l’intérieur par les petites mains du département scénarios. Et avec les explosifs les plus puissants qui soient : le sexe et le miroir.

L’ombre d’un père

Une dernière question. Puisque nous avons vu de quoi Zorro était le nom, essayons de savoir de qui il est le fils.

Zorro générique

L’ascendance des vengeurs masqués est toujours problématique. Dans la série, Don Diego n’a plus de mère, ce qui règle la moitié du problème, si l’on peut dire, ou du moins évacue ce qui le rattacherait encore à l’enfance. Il a seulement un père, Don Alexandro, puissant ranchero, ancien alcade, paternaliste avec son personnel et modèle de droiture dans la vie courante. Un père malheureusement âgé, comme tous les pères, et qui ne manie plus l’épée comme on le fait à vingt ans. Don Diego lui témoigne un parfait respect filial. Mais il faut bien qu’un jour les choses se règlent entre un père et son fils. Ce sera à la fin de l’épisode 13 de la seconde saison. Pour éviter à son fils de tomber dans le piège d’une pseudo-amnistie qui le contraindrait révéler sa double identité, Don Alexandro, déguisé en Zorro, le fait prisonnier dans une grange. Or la seule jeune fille dont Don Diego soit tombé amoureux attend justement devant l’église que Zorro vienne se démasquer pour tomber dans ses bras. En réalité – mais elle ne le sait pas – ce serait Zorro qui tomberait, et dans les bras des soldats postés en embuscade.

Ordinairement, c’est Bernardo, le fidèle serviteur de Don Diego, qui a la charge de se déguiser en Zorro pour leurrer l’adversaire. Cette fois, c’est le père qui endosse l’habit afin que son fils ne l’enlève pas. Brillant ! Une courte lutte plus tard, Don Diego démasque son père. Le plus penaud des deux est le fils qui découvre que son père l’a “ démasqué ” depuis bien longtemps mais qu’il juge préférable pour tous et pour la Californie en général que Zorro survive. Au nom du bien public, Don Alexandro condamne donc son fils à rester Zorro et du même coup, à renoncer à l’amour.

Curieuse équivalence entre l’amour et l’amnistie. Tous les deux sont ici assimilés à un piège mortel dont le père tire le fils. Don Alexandra contraint son fils à rester double, c’est à dire à être ce qu’il est vraiment (Zorro) et ce qu’il feint d’être (un bellâtre), autrement dit : un masque et un acteur, c’est à dire personne, au sens moderne comme au sens du latin persona (le masque). Il ne faut pas se précipiter à voir là une forme de castration. Bien au contraire, le père en avouant connaître la double identité de son fils depuis bien longtemps (sans forcément se l’être avouée) et en l’encourageant dans son combat, le contraint à poursuivre sa quête d’un idéal de justice, sans céder à la première bluette. Il témoigne de son admiration pour celui qui a porté plus loin que lui-même l’exigence de la justice et il le préserve pour un amour aussi élevé. Il lui signifie qu’il n’a pas à être amnistié de son enfance parce qu’il a toujours été ce qu’il devait être face au monde. Même en cachette de son père.

Notes :

1 soit 78 épisodes de 25 minutes et 4 épisodes de 50 minutes.

2 On retrouve une scorie de ce modèle au cours de la première saison de Zorro, lorsqu’intervient un trafiquant nommé Carlos Murrieta, accessoirement membre de la putschiste confrérie de l’Aigle.

3 Donc insatisfaite, selon les codes de l’époque. Mes camarades féministes l’admettront volontiers.

via Idéologie de Zorro – les carnets de la télévision

2 réflexions sur “Idéologie de Zorro

  1. Commentaire posté par :
    Conomore
    Vendredi 13 Mars 2015 à 11:55

    Bonjour,

    Juste une ou deux petites remarques à propos de cet excellent article:

    Joaquim Murrieta a sans doute contribué à façonner le personnage de Zorro, mais ce dernier est surtout inspiré de Jose Maria Avila, membre d’une importante famille de « rancheros », qui fut alcalde de Los Angeles et qui, dans les années 1820-1830, se révolta avec les autres propriétaires terriens contre la tyrannie du gouverneur Manuel Victoria envers les indiens et les peones. Excellent bretteur, il tua en duel le capitaine Romuald Pacheco (ce qui lui valut la prison. Il mourut en 1831 lors de la bataille de Cahuenga Pass qui opposait les révoltés aux troupe de Manuel Victoria. Nous ne sommes pas si loin de Don Diego Vega (selon Mc Culley)

    Pour l’anecdote, on peut encore voir (et visiter) une partie de la maison de ville des Avila (Avila adobe) dans le vieux Los Angeles (el pueblo).

    Zorro solitaire? Dans le feuilleton de Disney sans doute, pas dans « The Curse of Capistrano » de Johnston McCulley, ni dans les premiers films qui s’en inspirent. Au contraire, Zorro prend la tête des ranchers et, dans le roman, ce sont les « caballeros » qui obligent le gouverneur à amnistier le hors la loi, principalement (souvenir de Jose Maria Avila?) à propos du meurtre du capitaine Ramon lors d’un duel. Le thème des compagnons de Zorro sera développé dans le « serial » « Zorro’s fighting legion ».

    Dernière remarque, à propos des relations compliquées de Don Diego/Zorro avec le sexe faible. Il me semble que leur principale raison d’être est le format du feuilleton. Un Don Diego/Zorro heureux en amour est impensable. Du reste, aussi bien le roman de Mc Culley que les deux « Signe de Zorro » (avec Douglas Fairbanks et Tyrone Power) se terminent avec un Zorro démasqué et une héroïne qui tombe dans ses bras, et publiquement encore. Pour ne rien dire des autres films.

    Voilà les deux ou trois petites nuances que je voulais apporter. Et encore bravo!

  2. Pingback: Un siècle de Zorro | les carnets de la télévision

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