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Hestia bafouée

 

The good wife affiche

 

On peut être clintonien tendance Hillary comme d’autres ont été marxistes tendance Groucho. Être clintonien tendance Hillary, c’est une attitude morale, c’est accepter les faiblesses de l’Autre, ses trahisons, ses mensonges et s’en faire une force. C’est, en Mère Courage, ravaler l’humiliation et présenter à la société le visage altier de la femme trompée, c’est opposer à la grossièreté commune une dignité tragique, c’est protéger sa famille sans rien oublier des blessures, c’est se placer dans le monde comme un miroir stoïque et lui renvoyer sa pitoyable image. Le miroir n’est pas l’image, le miroir reste froid, neutre, impavide, c’est l’image qui dévoile les grimaces.

Nous sommes dans un pays où un président volage a été menacé de déchéance alors que son successeur, coupable d’avoir menti pour déclencher une guerre, coule une paisible retraite. Perversité du Puritanisme. Hargne du Puritanisme, également, qui, lorsqu’il tient sa proie, ne lâche rien, jamais, et harcèle jusqu’à épuisement de l’adversaire. L’acharné Glenn Childs de The Good Wife n’a rien à envier à l’obsédé Kenneth Starr du MonicaGate. Mais tous ces inquisiteurs acharnés, si prompt à clamer la prééminence de « valeurs morales » pour le moins floues, sont aussi ceux qui s’accommodent le mieux de la violence sociale, de l’injustice quotidienne, de la haine ordinaire, de la violence faite aux faibles, aux enfants, aux noirs ou aux femmes. Les pères- la-pudeur, les juges intègres, les policiers exemplaires, les bourgeois vertueux peuvent se révéler autrement plus immoraux qu’un simple mari volage, et les procureurs en vertu, si prompts à s’indigner d’une coucherie, sont parfois d’authentiques corrompus. L’hypocrisie puritaine, on l’aura compris, est la cible de The Good Wife.

bil Clinton, Hillary ClintonThe good wife 3

Robert et Michelle King n’ont pas eu à chercher loin pour trouver leur sujet. Des femmes humiliées en public par les aveux de leur mari politicien, l’Amérique en fournit tous les jours. Le cas précis qui a servit de modèle est celui d’un ancien procureur général de l’Etat de New York, Eliot Spitzer, contraint de démissionner en 2008 pour une affaire de prostitution,. En France, on peut retrouver un ministre noyé dans 50cm d’eau ou en pincer un autre la main dans le sac, sans que TF1 n’imagine en tirer une série télévisée. Silence et bouche cousue.

Nous sommes donc à Chicago, ville démocrate, berceau de la carrière politique de Barack Obama. Les années Bush sont loin derrière. Quand il y est fait allusion c’est comme à un cauchemar passé et les rares personnages qui incarnent cette période noire sont délibérément caricaturaux. The Good Wife enterre l’ère Bush et le traumatisme du 11 septembre. 24 et Battlestar Galactica, les deux séries phares de la décennie passée paraissent d’une autre époque. Ces conflits, cette violence permanente, plus personne n’en veut.

On en revient à des drames plus banals. Peter Fiorrick, donc, procureur du Comté de Cook (Chicago) démissionne pour cause de scandale sexuel et est jeté en prison pour corruption. Toute la première saison le verra lutter pour sa réhabilitation. En attendant, et puisqu’il faut bien vivre, Alicia, sa femme, reprend son métier d’avocate tout en assurant au mieux celui de mère et en encaissant les regards en biais et les allusions douteuses. « Elle l’a bien fait, pourquoi pas vous ? » lance sa patronne à l’embauche d’Alicia Fiorrick. La « Elle », c’est évidemment Hillary Clinton, en portrait sur un meuble.

the good wife 1

Les histoires d’avocats sont une spécialité américaine : Ally McBeal, Law and Order : Trial by Jury, L.A. Law, The Practice pour ne citer que quelques unes des séries les plus connues. Version comédie, mélodrame ou drame, les cabinets d’avocats et les tribunaux sont le cadre du débat moral, social et politique aux USA. La procédure contradictoire offre en effet la scène parfaite pour que deux parties s’affrontent, à armes égales, sous l’arbitrage d’un juge (supposé) impartial. Comme le court de tennis ou le ring de boxe, on ne peut imaginer meilleur scène pour l’exercice de la démocratie ou, ce qui revient au même, plus simple appareil pour la Tragédie. Le succès public de la saga judiciaire d’O.J.Simpson, diffusée en direct sur Court TV, en donne un autre exemple, plus réaliste et plus obscène à la fois. Puisque nous sommes sur scène, tous les artifices sont permis. O.J.Simpson fut acquitté d’un meurtre au pénal et déclaré coupable du même meurtre au civil. The Good Wife n’élude rien des négociations de marchands de tapis, des mensonges des victimes et des accusés, des ruses des avocats, bref, de ce qui fait le spectacle de la justice et de ce qui en fait simultanément l’imperfection fondamentale. Il n’y pas de justice, il n’y a que des tribunaux.

The-Good-Wife-Saison-7-Episode-4

Un exemple parmi d’autre, celui de cet épisode où l’on suit parallèlement le huis-clos du jury et les ultimes démarches des avocats d’une jeune femme accusée de meurtre. Celle- ci, à bout de forces, choisit de plaider coupable et de subir 10 ans de prison plutôt que d’en risquer 45 en persistant à clamer son innocence. L’accord est conclu avec l’accusation et le jury dissous. La dernière image du jury nous montre la poubelle où tombent les bulletins de vote désormais inutiles du jury : ils portent tous la mention « non-coupable ».

L’américanisation de notre procédure judiciaire depuis les lois « Perben » de 2004, avec l’introduction du « plaider coupable » ou, plus récemment celle des jurys en correctionnelle n’a pas ému au delà des professionnels de la justice. La faute probablement aux séries américaines qui ont substitué à notre justice les images d’une autre, désormais plus proche et familière.

Face à cette justice trop humaine, que reste- t-il ? La politique ? La reconquête du pouvoir par Peter Fiorrick au cours de la deuxième saison ne laisse pas beaucoup d’espoir de ce côté. Un temps matée, la bête politique se réveille et détruit tout sur son passage. La famille ? Érigée en valeur ultime par les néo-conservateurs américains, elle est ici à la fois l’exception et le carrefour de toutes les contradictions. Avec quoi se fait une famille ? Avec quelle quantité d’amour ? Avec quelle exigence ? Comment ça commence ? Toutes questions infiniment banales et rabâchées mais, semble-t-il, inépuisées. The Good Wife les réduit à leur plus petit dénominateur commun : l’autonomie de chacun des membres de la famille. Plus il y a d’autonomie, moins il y a de famille. En un mot, la famille est une prison. Peter Fiorrick libéré de prison et retrouvant les joies domestiques un bracelet électronique à la cheville en est la triste illustration.

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Mais The Good Wife ne vaut pas que pour les scènes de tribunal ou pour les contre- enquêtes, ni pour les cas de conscience, ni même pour les amours et amourettes. Il y a eu d’autres séries, aussi réussies, sur ces sujets. Ce qui en fait la valeur, en revanche, c’est l’expression de l’intériorité, la traduction du sentiment intime de l’héroïne. Faut-il en créditer l’interprète ? Certes, mais pas seulement. Quel que soit le talent de Julianna Margulies – et il est immense – c’est l’écriture même de la série qui nous amène à tout percevoir, non seulement du point de vue d’Alicia Fiorrick mais aussi des nerfs d’Alicia Fiorrick, du cœur d’Alicia Fiorrick, de chaque fibre d’Alicia Fiorrick. Pour s’en convaincre, il suffit de voir la séquence d’ouverture de l’épisode pilote. Peter Fiorrick démissionne de son poste de procureur général pour cause de call-girl. Sa femme l’accompagne. La meute des journalistes les assaille, les harcèle, dans un déluge de flashes. Alicia est livide. Un bruit de pas, un froissement de papiers, quelques rares sons sans importance emplissent tout l’espace, le reste du monde s’éloigne, comme étouffé par de la ouate. Rarement on aura éprouvé l’état émotionnel d’une femme à ce moment, cette confusion de l’esprit, cette sensation d’agir en automate, ce bourdonnement des tempes, et puis, la puissance du détail : un fil blanc sur la veste de son mari et l’ébauche du geste pour le retirer.

THE GOOD WIFE

On avait déjà perçu ce changement d’écriture avec Treme, la série de David Simon. Derrière la façade des personnages se faisaient sentir les failles, les incertitudes, les faiblesses. Sur la fin de la première saison, l’avocate Toni Bernette devenait le réceptacle de toutes les émotions, du désespoir des uns, de l’insouciance des autres, et chacun de ses sourires douloureux nous atteignait au cœur.

Ce mouvement vers une plus grande vérité de l’âme est peut-être une réelle évolution. Je n’ai cité que deux cas, The Good Wife et Treme, il y en a probablement d’autres. Jusqu’alors, on avait l’impression de personnages constants, verrouillés à leur définition psychologique et n’agissant que conformément à ce qu’ils étaient, pour reprendre une expression connue. Mulder était Mulder tout au long des X-Files. De Jack Bauer, il ne fallait pas attendre autre chose que du Jack Bauer. Apparaissent ces derniers temps des personnages plus sensibles et une façon d’en exprimer la subjectivité d’une grande et subtile justesse. Ce sont des personnages féminins. Ce sont des avocates. Comme Hillary Clinton.

The Good Wife est un feuilleton créé par Robert et Michelle King et diffusé en 2009 sur CBS. Il est interprété notamment par : Julianna Margulies, Alan Cumming, Christine Baranski, Chris Noth, Matt Czuchry, Archie Panjabi …

 

2 réflexions sur “The Good Wife

  1. Pingback: Braindead | les carnets de la télévision

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