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San Francisco, Chandler, Hitchcock, on y revient, on y est, on n′en est jamais sorti. C′est resté là, au fond de la mémoire, comme protégé par un cocon et aux premiers signes, aux premières images, la familiarité a ressurgi, telle qu′elle-même, sans avoir pris une ride. Le temps n′y a rien fait. Nous sommes intacts. Jouvence des récits.

J′avais sensiblement dit la même chose de Mob City mais Mob City était la reconstitution d′une époque et d′un style fané. Chance relance les dés de nos jours, en 2016-2017. Un homme un peu désespéré, une femme assurément vénéneuse, un premier écart avec la morale et c′est la plongée dans les coulisses des grandes villes. Tout cela dans un San Francisco qui évite les clichés du Golden Gate, des trams ou les voitures dévalant les collines ou de Fisherman′s Wharf. Le premier pont que l′on voit est le Bay Bridge. Exit le Golden Gate. Discrète affirmation d′un point de vue enfin renouvelé.

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Le docteur Eldon Chance est un neuropsychiatre, un expert qui oriente les patients vers les thérapeutes et hôpitaux dont ils ont besoin. Pour faire face aux frais d′un divorce, d′un déménagement et de l′achat d′une nouvelle maison, le docteur Chance tente de vendre un vieux meuble à un brocanteur. Celui-ci lui propose de maquiller ce meuble en rajoutant de fausses anciennes ferrures qui en quadrupleraient le prix. Chance hésite mais finit par accepter. Premier accroc à la morale à partir duquel tout le tissu finira par s′effilocher. Simultanément, une jolie blonde persécutée par son ex-mari lui est adressée. Elle souffre de troubles de dissociation de la personnalité. Elle est Jaclyn côté pile, Jackie côté face. L′ex-mari est inspecteur de police.

Perturbé par ses difficultés personnelles, le neuropsychiatre Chance commet sa deuxième faute morale : il se laisse séduire par Jaclyn, sa patiente.

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L′ex-mari, un flic corrompu, le menace puis le frappe. Plus la liaison avec Jaclyn se concrétise, plus Chance en apprend sur les affaires sordides de l′ex-mari. Menacé, il embauche Darius, un ex-marine pour se protéger et poursuivre son enquête. Chaque pas le compromet davantage.

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Le Hollywood Reporter développe la thèse d′une série qui lutterait contre ses propres défauts et finirait par l′emporter, grâce, notamment, à la force de ses interprètes. Passons sur les détails qui ne peuvent faire tiquer que les Californiens (prix des maisons, localisations géographiques, etc.) et ne retenons que le plus étrange et le plus dangereux : l’obsession du docteur Chance à venir à sauver Jaclyn en dépit du danger que cela représente. Après tout, il lui suffirait de la diriger vers le bon thérapeute.

Le rapport entre un patient et un médecin surtout en terme d’affections psychologiques passe par la parole et la confiance que les deux s’accorde nécessairement. A priori, le praticien croit ce que vous lui dites. Le spectateur, lui, ne croit qu’en ce qu’il voit et, en l’occurrence, il a un peu de mal à faire confiance à Jaclyn. Le scénario ne l’aide pas. Si elle nous était montrée sous ses deux personnalités, parfois Jaclyn, parfois Jackie, on accepterait mieux son récit mais, comme Eldon Chance, il faut la croire sur parole. Aussi doute-t-on. Et si, comme dans Vertigo, il ne s′agissait pas de découvrir la vérité cachée derrière les paravents mais de savoir quand et comment Chance démasquera Jaclyn ?  Autrement dit : quand et comment il se reprendra et s′arrachera à la pente qui le mène à la folie. Car le danger qu′encourt Eldon Chance, comme le Scottie de Vertigo, n′est pas d′être le complice involontaire d′une manipulation, c′est de sombrer dans sa propre folie.

D′emblée, il nous a été présenté en état de faiblesse : il perd sa femme, voit son enfant s′éloigner physiquement puisqu′elle va vivre avec sa mère et psychologiquement parce qu’elle sort de l′adolescence. Les problèmes financiers générés par le divorce n’arrangent rien. C′est au coeur de cette instabilité que naît l′intrigue, avec la banale vente d′un meuble. Qu′il se laisse fasciner par une patiente et résiste mal à ses avances ressort de la logique. Qu’au mépris de sa carrière et de son statut, il se consacre à son sauvetage aussi. Que l′ex-marine et garde du corps, lui aussi, se révèle avoir été victime d′un traumatisme cérébral, ne l′étonne plus. Que sa propre fille, enfin, harcèle un garçon au point de le traumatiser, ne fait qu′ajouter au tableau général d′un monde psychologiquement perturbé. Proposer un héros faible, plus passif qu’actif, un héros en creux, c’est prendre le risque de le voir submergé. C’est ce qui arrive mais ce dont la série se tire presque sans égratignure.

chance-bad-guyUne scène, dans la rue, donne une clef : totalement déboussolé, Chance diagnostique intérieurement les affections dont souffrent les passants qu′il croise. Au fond, Chance est un type sain dans un monde de fous comme les héros de Hitchcock sont des innocents dans des mondes de coupables.

Par une inversion singulière, c’est Darius, le faux ex-marine, la brute, qui tire Chance, l’aveugle, hors de l’eau. Pas sa consoeur qui, à intervalle régulier, vient lui faire mesurer son écart avec la réalité. Darius, lui, ne finaude pas. Il connaît les comportements humains comme le chasseur connaît ceux de son gibier. C’est une façon assez fruste mais très efficace d’appréhender les êtres humains dans une société considérée comme une jungle. Car effectivement, c’en est une. Dans cette jungle, les fauves pourraient se révéler être des fauves et les plantes vénéneuses des plantes vénéneuses. Jaclyn/Jackie ? Que croire, qui croire ? Et si Darius, le demi-débile, appelait les choses par leur nom ? Entre le crime et la folie, la frontière est mince… Et si Chance, dans son aveuglement, avait réellement vu ce qu’il fallait voir ?

Dans une scène secondaire, on le découvre en discussion avec un photographe de la qualité de ses portraits. L’autre lui répond platement que toute la lumière vient du regard. La vérité, pour le dire entièrement, ne tient donc qu’à la nature du regard qu’on lui porte. C’est, on l’aura compris, la leçon de Chance.

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Chance est une série diffusée sur Hulu en 2016. Interprétée par Hugh Laurie, Ethan Suplee, Gretchen Mol, Paul Adelstein, Lisa Gay Hamilton, Diane Farr. Crée par Kem Nunn et Alexandra Cunningham

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