La Casa de Papel fait un triomphe, nous dit-on. Le feuilleton d′Álex Pina, co-produit par l′espagnol Atresmedia et le canadien Vancouver Media, a en effet connu un succès considérable en Espagne avant d′être repris par Netflix pour une diffusion mondiale. Sa seconde saison, la dernière, vient de achever.
L′histoire est celle d′un personnage discret surnommé « le Professeur » qui recrute huit délinquants, chacun d′entre eux étant spécialisé dans un domaine particulier (cambrioleur, faux-monnayeur, informaticien, spécialiste des armes, etc…). Chacun se voit attribué un nom de ville : Denver, Rio, Nairobi, Helsinki, Tokyo, Moscou, Oslo et Berlin. Ce petit gang est longuement préparé dans un manoir isolé, puis, le jour venu, il s′empare la Fabrique nationale de la monnaie, au coeur de Madrid. Il ne s′agit pas de voler le contenu des coffres, la prise serait maigre en comparaison des risques, mais bien de tenir le bâtiment le plus longtemps possible et d′utiliser son matériel pour imprimer au moins 2 milliards d′euros. Toutes les personnes présentes lors de l′attaque, personnel comme visiteurs, sont pris en otage. Les assaillants portent des combinaisons rouges et des masques de Salvador Dali qui les rendent tous semblables. Ces masques évoquent immanquablement ceux des Anonymous et les combinaisons, celles des détenus de Guantanamo. Coup de génie : en faisant endosser la même tenue à leurs otages, ils les rendent indiscernables d′eux-mêmes. La police est paralysée.
A l’écart, le Professeur pilote l’opération par écrans interposés et transmet ses ordres par téléphone. Une téléphone analogique, pour éviter les interceptions, et de couleur rouge, comme il se doit.
Sous le contrôle de Nairobi, la meilleure fausse-monnayeuse du pays, les employés relancent les rotatives et les machines se remettent à imprimer et massicoter des feuilles de billets parfaitement authentiques et intraçables à raison de centaines de millions d′euros par jour.
On devine que l′objectif des voleurs est de résister le plus longtemps possible au siège de la police. 360 heures pour être exact. Le plan du Professeur est si méticuleux, il tient compte de tant de réactions possibles de l′adversaire, que celui-ci se trouve chaque fois contrecarré. Avant l′argent, c′est donc du temps que le Professeur et sa bande volent à l′Etat.
Ces braqueurs ne tuent pas ni ne molestent leurs otages, la pression psychologique suffit. Du reste, la violence serait contre-productive, sur ce plan, le Professeur est formel : l′opération doit emporter l′adhésion populaire. Les Robin des bois sont toujours applaudis, jamais les assassins. Face à eux, la police oppose Raquel Murillo, sa meilleure inspectrice. Hélas pour l’Ordre et la Loi, son héroïne est simultanément aux prises avec un divorce difficile et un passé de femme battue, elle est également assiégée à la fois par les services secrets et la presse. Aussi, comme dans les films burlesques, la police sera-t-elle bernée et ridiculisée, tandis que les voleurs feront preuve d′audace et de ruse. Tout ceci nous donne une alternance de scènes drôles et de moments de suspense, de situations ostensiblement ridicules et de réelle tension dramatique, apposant à la série un indéniable cachet post-moderne. On y croit sans y croire, à la façon des demi-malins que nous sommes devenus.
Mais, pour en revenir à Robin des bois, il faut admettre que le modèle du Professeur est moins celui du héros de Sherwood que celui du mouvement des Indignés. La référence est clairement énoncée. Ce mouvement pacifique et auto-organisé occupa durant tout un mois la Puerta del Sol pour débattre sans fin et ré-imaginer une démocratie que les partis ne représentait plus à ses yeux. Les mouvement essaima en Espagne et dans une grande partie de l′Europe, en une sorte de remake de l′An 01, l’esprit de sérieux en plus.
En réalité, le gang ne s′affiche ni aussi pacifiste ni aussi libertaire que les « Indignados ». Il veille seulement à éviter le pire. Son arsenal est dissuasif. Les bavures, lorsqu′il s′en produit, sont du fait de la police. Une police qui ne cesse de dilapider son crédit auprès de la population à force de pressions politiques, de rivalités internes et d′erreurs de jugement. Quelle que soit la conclusion de l′histoire, le Professeur aura donc gagné sur le plan moral.
Dans un excellent article, Pierre Sérisier voit dans La Casa de Papel une allégorie de la rébellion, une ode à la résistance contre une société corsetée et soumise aux diktats de l′argent. Effectivement, les voleurs ne volent pas l’argent de qui que ce soit, ce que font communément les banques, ils ne lèsent personne sinon le système financier lui-même qui se retrouvera avec 2 milliards d’euros en trop sur le marché. Une goutte d’eau…
Le surnom même de « El Professor » est celui donné à Pablo Iglesias, professeur de l’Université Complutense de Madrid et chef de file du mouvement Podemos. La chanson qu′interprètent le Professeur et Berlin au dernier épisode de la première saison, chant de partisans italiens contre le fascisme, est un argument majeur. Mais de quelle résistance s′agit-il ?
Nous sommes certes aux antipodes de films de braquage comme Ocean′s Eleven où un gang dévalisait simultanément trois casinos de Las Vegas. Les aventures des copains de George Clooney n′avait rien de l′étendue du récit d′Álex Pina. Nous sommes beaucoup plus proches (trop proches ?) de Inside Man, de Spike Lee, où enfermé dans une banque de Manhattan, un petit commando masqué défiait la police avec des méthodes similaires. Inside Man avait aussi une dimension politique. Peut-être plus souterraine, moins tonitruante que celle de La Casa de Papel. Car on est, avouons-le, aux limites du plagiat.
S’agit-il, encore une fois, de seulement mettre en échec une certaine idée de l′ordre établi ? De résister, d’accord, mais à quoi ? Qu′est-ce qui unit ces « résistants » ?
« Qu′est-ce qui uni les gens, en général ? demande un jour le Professeur à sa petite troupe. Le football répond l′un, le sexe répond l′autre, l′argent conclut le Professeur. Mais pas seulement…
Les rapports entre braqueurs, entre otages et entre otages et braqueurs occupent une part importante du récit, tout comme les flash-backs qui expliquent la gestation du « casse du siècle ». On peut peut avoir, à tort, l’impression d’une dilution du récit. Les scènes sentimentales, elles-aussi, ralentissent temporairement le rythme. Pourtant, elles ne sont pas inutiles. Car en dépit des consignes, des liens se créent entre les braqueurs. Il ne faut pas attendre très longtemps pour que d′autres liens se nouent entre les braqueurs et leurs otages. Amours, haines, les fluides humain s′infiltrent dans les rouages du mécanisme et la stratégie ripe. Le Professeur avait tout prévu ? Oui, sauf ce qu′il avait interdit. Lui-même, au demeurant, ne dédaigne pas de prendre des risques inutiles.
Trop de familiarité encourage les imprudences. Les otages se rebellent contre leurs gardiens et ceux-ci doivent inventer une façon de les museler. Les plus dangereux ont été enfermés aux sous-sols dès le début de l’opération. Mais les autres ? Ils sont indispensables pour faire tourner les machines ou pour faire pression sur la police. Pour ceux-là, ce sera l′argent ou la liberté. Les braqueurs commencent par faire travailler les employés de l’Etat à leur propre compte, gratis, avant de s’apercevoir qu’il est plus simple de les payer. Acheter les gens plutôt que de les soumettre par la force, la méthode a fait ses preuves tout au long de l′Histoire. D’autres improvisent d’autres moyens de paiement, comme cette otage qui s’offre à Berlin, le chef du commando sur place. Ce n′est pas d′une rébellion contre une société répressive dont traite La Casa de Papel mais d′un emboîtement de systèmes de coercition, à la manière de poupées russes, les rebelles d′un jour devenant les oppresseurs du lendemain. Mensonges, manipulations, enfermement, corruption, les braqueurs évitent le bain de sang mais pas le recours aux chaînes.
Il faut garder à l′esprit que l′enjeu réel du bras de fer qui oppose l′Etat au gang de cambrioleurs est le temps bien plus que l′argent. Le temps d′imprimer des billets de banques, certes, mais les billets, personne n′y croit vraiment. C′est le temps qui est le véritable trophée. Un temps non chiffrable, non marchandisable, non échangeable. Un temps pris à l′ennemi, armes au poing. Tout comme les Indignés qui, à défaut de faire éclore un nouveau monde, purent s’enorgueillir d’avoir duré le temps qu′ils purent sur la Puerta del Sol (ou Place de la Bastille). Un peu de temps, juste de temps, arraché à une société qui ne cesse de vous le dévorer. Le véritable combat se situe là, de nos jours, quand des imbéciles contraignent l′espace à force de murs infranchissables, il reste à s′emparer du temps.
La vie est à nous !
PS : Un article très intéressant du Nouvel Observateur, illustré ds explications en vidéo de l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran, qui fait le parallèle entre le braquage du gang de La Casa de Papel et les stratégies des banques : ICI
La Casa de Papel est un feuilleton espagnol créé par Álex Pina et diffusé sur Antenna 3 en 2017. Il est interprété notamment par : Úrsula Corberó, Álvaro Morte, Itziar Ituño, Pedro Alonso, Miguel Herrán, Alba Flores, Jaime Lorente, Paco Tous, Darko Peric, Esther Acebo, María Pedraza, Fernando Soto, Kiti Mánver,…
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