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Il n’y a jamais de bonne seconde fois

« Selon certains grammairiens, second est préféré à deuxième quand il n’y a que deux personnes ou deux choses qui sont considérées ». L′Académie française confirme. Ainsi, le vocabulaire, ou plutôt son usage, nous offre l′opportunité de distinguer les deuxièmes des seconds. Profitons-en.

À bien y réfléchir, il y a rarement de bonnes secondes fois, quelle que soit la matière. La spontanéité est perdue, l′ombre de l′original pèse de tout son poids, il ne s′agit que de refaire, de perfectionner ou de retrouver la recette. C′est pourquoi, hors du domaine des sciences, le désir de reproduire une expérience réussie est souvent signe d′une ambition étroite. En revanche, les deuxièmes fois, parce qu’elles annoncent et préparent une suite, peuvent certes se poser comme une affirmation, mais ont d’abord la fonction de faire socle à ce qui vient. Car les troisièmes fois, c′est tout autre chose. Avec elles, on entre dans la généalogie, dans la collection, dans la maîtrise et peut-être même, disons-le tout net, dans le talent. « Le talent est une question de quantité. Le talent, ce n’est pas d’écrire une page : c’est d’en écrire 300. » écrivait Jules Renard.
Parce que The Handmaid′s Tale, Westworld, La Casa de Papel ont été d′immenses succès, les producteurs ont décidé de remettre le couvert. Les secondes saisons de The Handmaid′s Tale et de Westworld ayant été diffusées quasi-simultanément, elles méritent d′être auscultées à cette aune.

Handmaid's cérémonie zénith

The Handmaid’s Tale
… Il n′est pas scandaleux de croire qu′un spectateur ait pu les suivre l′une et l′autre, sans les confondre mais en gardant quelque chose de l′une à l′esprit quand il regarde l′autre. Une histoire déteint sur ce qui l′entoure. Comme un roman qu’on lit teinte la réalité que l’on vit. Sans le vouloir, on se découvre ainsi à faire des rapprochements entre une histoire d′androïdes et une histoire de femmes réduites en esclavage, l′appartenance au même genre, la dystopie, et la contemporanéité des auteurs favorisant ces allers-retours.

Handmaid's 2 cérémonie
Dans la seconde saison de Handmaid′s Tale, c′est d’abord la construction du récit qui frappe. Celui-ci était centré sur le personnage de June/Offred, la servante de la famille Waterford. Par moments, on entrevoyait la vie de quelques unes de ses compagnes d′infortune mais le coeur du récit était sa vie, de l’avant coup d’état à la dictature de Gilead. La seconde saison débute avec la tentative de fuite de June. Cette fois, tout en conservant la jeune femme comme repère, le feuilleton s′offre des digressions beaucoup plus importantes, telle que celle qui concerne Emily, envoyée aux « colonies », zones polluées où triment les homosexuelles, jusqu′à y mourir d′épuisement ou de maladie. Ressurgit aussi Janine, une servante qui se révolta au cours de la première saison après avoir eu un bébé et qui paya le prix de sa rébellion de l’ablation d′un oeil. Son enfant est maintenant atteint d’une affection incurable. Ces deux histoires secondaires occupent une place non négligeable, élargissant certes le tableau mais diluant en retour la dynamique du récit. Les choses stagnent peu à peu, à force de détours, dans un monde décidément inébranlable. Une bombe ici, un début de remise en cause là, mais rien d′assez puissant pour fendre la muraille.

Handmaid's tale 2 pendues

L′action se ralentissant, s′affirme une tendance déjà sensible dans la première saison : celle qui veut que chaque plan ait un message à faire passer. Cet excès de lisibilité contrecarre ce qui a été en partie la qualité de The Handmaid′s Tale : montrer l′effet de la contrainte au travers des corps et des esprits. La soumission au viol hebdomadaire, l′arrachement aux enfants et aux êtres aimés, la réduction d′un être à sa fonction reproductrice tels étaient les principaux crimes dénoncés par la série au travers, précisément, des yeux, du sexe, du ventre, des larmes de June. Ce qui, d′ailleurs, était assez puissant pour nous faire oublier ce que la dystopie évitait : l′économie. Car qui produit, qu′est-ce qui est produit, qui se fait exploiter ou exploite dans l’univers impitoyable de Gilead, The Handmaid′s Tale ne s′attarde pas à l′expliquer. Les rapports humains sont d’abord de l’ordre de l’intime avant d’être de l’ordre économique.

handmaid's 2 Travailleuses

Néanmoins, par quelques indices, The Handmaid’s Tale S02 se ménage des issues. Suite à l’attentat dans lequel Fred Waterford a été gravement blessé, June est appelé à seconder Serena, sa maîtresse. Elles rédigent ensemble nombre rapports en signant du nom du maître des lieux, des corps et des âmes. Serena le paiera rudement. Une relation de solidarité féminine s’est pourtant amorcée, vite étouffée par le retour à la norme ultra-chrétienne. À son échelon, Serena, qui tint pourtant le premier rôle dans le coup d’état réactionnaire des chrétiens « radicalisés », n’est donc guère mieux traitée que sa servante. Quelle que soit leurs places respectives dans la hiérarchie sociale, elles ne sont que des femmes, l’une et l’autre en ont conscience. Malheureusement, la solidarité n’est pas à l’ordre du jour. Qui sait si dans l’avenir, elle ne le sera pas ? Autre moment de doute, celui à June quête un baiser de son maître. Il y a dans cette scène une sincérité qui déroge à la passive résistance des esclaves envers leurs oppresseurs. Se faire violer est une chose mais désirer embrasser ? Enfin, il y a le bébé de Janine et l’acceptation par les parents de laisser leur esclave s’occuper du bébé, en infraction avec les lois de Gilead. Ces trois éclipses annonceraient-elles une émancipation possible, qui passerait par des rapports de proximité, des liens intimes, une reconnaissance de l’autre, à défaut de soulèvement général ? Une rébellion soft qui tirerait ses forces d’une humanité partagée ? Douce illusion qu’il est difficile de partager…

Handmaid's Tale 2 baiser
Pour tout dire, et en dépit des talents assemblés, cette seconde saison non prévue ne paraît viser qu’à prolonger un succès. Tout concourt à penser qu′une seule saison aurait davantage marqué les esprits, en leur épargnant l′indifférence qui naît ordinairement de l′habitude.

Westworld
Nous en étions restés au massacre des invités de la grande réception du parc, par les androïdes. Quelques rescapés errent dans un parc de la taille d′une région entière peuplée de brigands, d′indiens et de confédérés belliqueux. Tous les autres sont morts, et quantité d′androïdes gisent de çà de là, non réparés. Les secours tardent à arriver, la situation est hors de contrôle.

WW2 flou
La deuxième saison de Westworld choisit de poursuivre dans le droit fil de la précédente mais en la démultipliant. Le parc de « loisirs » aux allures de western se trouve soudain juxtaposé à un inattendu Shogun World et à un encore plus surprenant Raj World. Ces univers se percutent, les cow-boys font irruption parmi les samourais et une jeune femme à peine échappée d′une chasse au tigre à dos d’éléphant se retrouve prisonnière des indiens (d’Amérique). Tout cela aurait un réel pouvoir comique si une réelle préparation l′avait introduit. Mais ici, l′artifice est trop évident, en dépit de l′ingéniosité des scènes et de la qualité des interprètes.

WW02 fuji
De la même façon que The Handmaid′s Tale, Westworld poursuit donc l′histoire de ses personnages principaux – du moins les survivants – et il faut reconnaître que parmi eux, deux gagnent en sophistication : Dolores et Maeve. Peut-être moins pour la première, qui passe la saison à chevaucher sans but et ne se révèle véritablement qu′à la fin, dans toute sa froide et trop humaine inhumanité. Maeve, la sous-maîtresse de bordel, devient, elle, le personnage le plus subtil et complexe du feuilleton. Douée de pouvoirs télépathiques – ce qui n′est pour un androïde qu′un échange de données à distance -, elle acquiert une aura particulière, bien au-delà des capacité humaines ou robotiques, mais « opportunément » lézardée par l′absence d’une fille qu′elle refuse de reconnaître comme un souvenir implanté dans sa mémoire artificielle. On ne s’émancipe pas si aisément.

Deux femmes dominent donc cette seconde saison, en l’absence de l’inquiétant « homme en noir », pour une fois hors-jeu.
Westworld trébuche néanmoins de la même façon que sa concurrente en développant excessivement des personnages jusqu′ici secondaires, comme la Ghost Nation, communauté indienne dont l′un des membres, Aketcheta, dérive lui aussi peu à peu vers une conscience autonome, à l′exemple de Dolores et de Maeve. Il comprend qu′il existe un autre monde et qu′il existe des accès à cet autre monde, celui des humains qui les exploite. En dépit, là encore, de ses qualités, cette focalisation sur les indiens est trop tardive à l′échelle de la série toute entière.

WW02 indien
Si le récit de la seconde saison souffre d′une organisation quelque peu chaotique, se permet de dériver trop longuement dans des récits adjacents, délaisse quelques uns de ses personnages principaux (L′homme en noir) et en fait étonnement ressurgir d′autres que l′on croyait disparus (Ford, l′inventeur du parc), il finit néanmoins par ressembler à une sorte de transition décousue. La perspective d′une troisième saison affleure.
Car malgré sa fragmentation, WestWorld S02 repose sur de solides bases idéologiques. C’est ce qui en assure la continuité. Il suffit de se reporter à Marx et à Debord, dans n’importe quel ordre. La réalité-spectacle de Westworld (et de ses dérivés Shogun World et Raj World) exprime clairement le stade ultime de l′exploitation de l′homme par l′homme. Mais à l′époque des androïdes. Donc avec, en surplomb, la question ontologique de la nature humaine. Et ce n’est pas rien.

Westworld est un feuilleton américain écrit par Lisa Joy et Jonathan Nolan, produit par JJ Abrams et diffusé depuis 2017 sur HBO. Il est interprété notamment par : Evan Rachel Wood, James Marsden, Edd Harris, Thandie Newton, Anthony Hopkins, Jeffrey Wright, Shannon Woodward, Jimmi Simpson, Simon Quarterman, Clifton Collins Jr., Tessa Thompson, Peter Mullan, Katja Herbers, Rinko Kikuchi, Hiroyuki Sanada, etc…

The Handmaid’s Tale est un feuilleton américain adapté par Bruce Miller du roman de Margaret Atwood et diffusé depuis 2017 sur Hulu. Il est interprété notamment par : Elisabeth Moss, Yvonne Strahovski, Alexis Bledel , Madeline Brewer, Ann Dowd , Joseph Fiennes, etc…

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