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On lit çà et là que la dystopie est un genre qui a le vent en poupe et que maintes collections destinées à un public d′adolescents ou d′adulescents se créent, qui propagent des visions terrifiantes d′un monde à venir. Nous en étions restés à Orwell, Huxley ou Zamiatine, nous avions le souvenir de 1984, du Meilleur des Mondes et de Nous Autres, nous avions vu Fahrenheit 451, Bienvenue à Gattaca, où cette variante uchronique qu′est Le Maître du Haut-Château. Mais en réalité, la dystopie, nous la vivions chaque jour tandis que le monde retournait mécaniquement à ses démons, comme si un grand balancier présidait à l′histoire des hommes. En ce début de XXIème siècle, il faudra s′en souvenir, il existait des dictateurs fous qui terrorisaient leurs peuples ou les massacrait, une nouvelle génération qui réinventait le fascisme, des dirigeants politiques qui savaient à peine lire, une technocratie toute puissante, des fous de Dieu qui tuaient au nom de la pureté, des gens qui se noyaient par milliers en mer… Ces dernières années, on avait aperçu quelques séries qui donnaient une perspective à ce à quoi nous assistions : Wayward Pines, Black Mirror, Under the Dome, The LotteryLe « Et si… », dans sa version anxieuse, fournissait un horizon changeant mais aux teintes irrémédiablement sombres.

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Est diffusée ces semaines-ci The Handmaid′s Tale (La Servante écarlate), une nouvelle dystopie, donc, adaptée d′un ouvrage de l′écrivain canadienne Margaret Atwood.

Suite à la dégradation de l′environnement et aux diverses pollutions, l′espèce humaine est massivement frappé de stérilité. Un coup d′Etat amène une dictature d′intégristes chrétiens. La république théocratique de Galead est instaurée, un gouvernement américain en exil se met en place au Canada. Un patriarcat autoritaire est rétabli, les femmes sont déchues de tous leur droits, à commencer par celui d′avoir un compte en banque ou même de lire. Obsédée par la reproduction de l’espèce, la classe dominante dispose de deux catégories d′esclaves, les « Marthas », chargées des besognes ménagères et les « Servantes écarlates », femmes fertiles qui se font périodiquement violer en présence de la maîtresse de maison et du petit personnel au cours de « cérémonies » domestiques. Ces « cérémonies » sont justifiées par la lecture du passage de la Bible où Rachel fait épouser sa servante à Jacob car elle ne peut pas lui donner d’enfant.

Les « servantes » ont été capturées au moment du coup d′Etat et sont passées par un Centre de Ré-éducation dirigé par des kapos en robes, les « Tantes ».

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En cas de rébellion ou de faute, les punitions vont jusqu’aux amputations. Celles qui se sont montrées incapables de se soumettre sont expédiées dans les « colonies » où elles trient des déchets radioactifs ou bien dans des bordels. Les Gardiens (milice) et les Yeux (police secrète) se chargent de l′ordre public et les Tantes gèrent les servantes. Les opposants, les gays (« gender traitors »), les scientifiques, sont pendus et leurs corps suppliciés restent exposés en public.

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Toutes les femmes portent un uniforme. Celui des Servantes est composé d′une cape et d′une longue robe rouges, d′une cornette et d′un bonnet blancs. Les maîtresses ont droit, elles, à de longues robes vertes et les Marthas des foulards et des robes grises. La règle proscrit donc tout ce qui pourrait relever de la séduction.

Daesh pour la terreur religieuse et la soumission des femmes, Le nazisme pour la réduction des êtres considérés comme inférieurs à l′état d′objets, le fascisme d′une façon plus générale, voilà ce que seraient les modèles de cette société si nous oubliions que l′auteur a écrit son roman en 1985, inspirée par ses voyages dans les pays de l′Est. Une large partie de la critique a vu dans la sortie de l′adaptation télévisée d′aujourd′hui une réaction à l′élection de Trump et à la régression qui s′ensuit des libertés en général et des droits des femmes en particulier. La télévision illustre toujours le présent. S′il s′agit de cela, les européens ne sont guère mieux placés, eux qui subissent l′influence grandissante des franges chrétiennes les plus réactionnaires et le ralliement de nombreux intellectuels en vue aux thèses conservatrices. C′est pourquoi, en dépit d′un propos par trop univoque, dépourvu des ambigüités nécessaires à une pensée plus complexe, The Handmaid′s Tale est une arme efficace.

L′affirmation du corps et du désir sexuel comme premières cibles de tout mécanisme d′aliénation sociale et politique est tout à fait pertinent. Ça commence toujours par là. Par la répression des pulsions. On se souvient de la Ligue anti-sexe de 1984 et du fait que le désir de Winston pour une jeune fille est concomitant avec sa compréhension du système totalitaire dans lequel il vit. Les moralistes qui battent actuellement les estrades en savent quelque chose.

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Evidemment, tout ne se passe pas aussi facilement entre maîtresses et servantes. Les premières doivent assister chaque mois aux rapports sexuels contraints de leur servante avec leur mari. La mise en scène de cette « cérémonie », qui vise à faire de la servante un substitut du sexe de la femme, ne donne pas vraiment le change. Ces scènes résument à elles seules l′enjeu comme la limite de la situation. La lecture est double : le corps de la servante est chosifié, il devient un simple outil du système de (re)production. Comme celui de l′employé l′est dans l′entreprise. Le fait que la femme maintienne à ce moment les poignets de la servante dont la tête repose au niveau de son sexe, c′est à dire dans le prolongement de son corps, affirme à la fois la réduction du corps de la servante à un simple système génital et le pouvoir de la femme sur son esclave.

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Mais simultanément se manifestent à l′occasion de la « cérémonie » des sentiments, dégoût du côté de la servante, frustration du côté de la femme, qui fissurent la construction symbolique. La servante appartient à la maîtresse de maison mais elle en est simultanément l′ennemie la plus redoutée. Les soirées de scrabble auquel le commandeur convie la servante, le flirt qu′il cherche avec elle puis la sortie qu′il lui impose en l′absence de sa femme, dans un bordel, en la costumant d′une tenue plus affriolante que sa robe longue réglementaire prouvent qu′il trouve en cette esclave ce qu′il n′obtient pas de sa femme. Le rapport de domination est ainsi travaillé, gangréné par les mouvements contradictoires du désir. On peut asservir les corps,es réduire à l’état d’outils ; les pulsions, c′est plus difficile. Même quand on se réclame de la parole divine.

En ce sens, The Handmaid′s Tale offre des régimes coercitifs une vision peut-être moins fine que celle d′Orwell, qui mettait en avant l′instrumentalisation du langage et de la mémoire. En revanche, elle exprime bien ce qu′il advient des corps dans ce type de sociétés et pointe clairement l’origine religieuse de l′aliénation. Une origine précise, en l′occurrence, puisque la dictature de Gilead est protestante (les églises catholiques sont détruites). En mettant en lumière les fondements patriarcaux et rigoristes de cette religion, c′est le substrat totalitaire de l′idéologie américaine toute entière que révèle The Handmaid′s Tale.

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The Handmaid’s Tale est une série télévisée américaine adaptée par Bruice Miller du roman de Margaret Atwood. Elle est diffusée en streaming sur Hulu. Elle est interprétée notamment par : Elisabeth Moss, Joseph Fiennes, Yvonne Strahovski, Alexis Bledel, Samira Wiley…

PS : « Le 20 mars dernier, le Sénat du Texas se réunissait pour débattre de plusieurs projets de loi anti-avortement. Un petit groupe de femmes prenait place sur le banc réservé au public. Leur désapprobation se manifestait à travers leurs costumes faisant référence à «la Servante écarlate», roman de science-fiction féministe de Margaret Atwood devenu un classique – qui revient en force plus de trente ans après sa sortie. » (Amandine Schmitt dans Le Nouvel Observateur du 27 avril dernier)

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« On ne s’étonnera pas qu’avec un député de l’Oklahoma qui estime que les femmes ne sont que des « réceptacles » une fois enceintes, une ministre de l’Education qui parle de sa mission comme d’un moyen de « faire progresser le royaume de Dieu », un président et ses nombreux conseillers masculins immortalisés en train de signer une mesure anti-avortement, le récit de Margaret Atwood trouve une forte résonance outre-Atlantique. » (idem).

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