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Juste un détail : Holden et Bill remontent un couloir de prison. À leur droite, les détenus crient et agitent les bras au travers des barreaux. Un gardien ouvre la seconde grille, ils sortent, la grille se referme derrière eux avec un bruit lourd. Les barreaux tremblent. Lorsque l′on regarde attentivement, on réalise ce n′est pas le métal des barreaux qui est secoué par le choc mais la caméra qui tremble pour donner l′impression de violence. Effet produit au montage, de toute évidence. La deuxième saison de Mindhunter peut se comprendre partir de ce simple détail.

Mindhunter2 grille
Comme on l′a déjà écrit dans ce blog, Mindhunter raconte l′histoire authentique du premier département créé au sein du FBI pour traiter des tueurs en série : l′unité des sciences comportementales. Holden Ford, l′âme de ce petit groupe, a fait une attaque de panique en serrant dans ses bras Ed Kemper, l′un des pires tueurs en série qui ait existé. Adepte de l′approche empathique, il procède intuitivement en essayant de pénétrer les méandres psychologiques des meurtriers et s’en est, cette fois, dangereusement trop approché. Bill Tench, est au contraire un flic d′un seul bloc, certes ouvert aux innovations mais respectueux des procédures et certainement plus communicatif que son collègue. Leur adjoint Greg Smith, un policier terne et potentiellement cafteur, sert de faire-valoir. Quand à la dernière, Wendy Carr, c’est une universitaire froide et rationnelle qui a fait le choix de développer ses études psychologiques sur le terrain plutôt que dans les bibliothèques. (1)

Mindhunter2 Holden
La crise de Holden réaffirme le rôle hiérarchique de Bill. Un nouveau patron, Ted Gunn, leur est attribué, bien plus souple, politique et ambitieux que son prédécesseur viré en raison des écarts de Holden. Il leur ouvre les crédits et les autorisations, augmente le personnel et le matériel informatique. L’unité des sciences comportementale devient un enjeu de politique intérieure au FBI.

Mindhunter2 Tex
Pour continuer à étoffer leur documentation et peaufiner leurs classements, Hoden et Bill décrochent des entretiens avec des tueurs en série incarcérés dans diverses prisons tels David Berkowitz, alias Son of Sam, Tex Watson, Wayne Henley, un des membres de la famille Manson ou Charles Manson en personne. Mais une série d′infanticides survient à Atlanta, uniquement d′enfants noirs, tous aux alentours de leurs onze ans. L′affaire mobilise Holden seul puis avec Bill. Wendy et Greg prennent le relais des entretiens, avec moins de bonheur. Nous sommes en 1979-81. Toute la saison suivra l′enquête d′Atlanta, avec ses accélérations et ses ralentissements provoqués par la bureaucratie, l′organisation juridique fédérale et surtout par les enjeux politiques. À Atlanta, la question raciale est à ce point brûlante qu′il est clairement annoncé aux enquêteurs que la découverte d′un tueur blanc déclencherait des émeutes mais que celle d′un tueur noir serait considèrée comme une nouvelle stigmatisation de la population noire.
Pourtant, imperturbablement, Holden ne cesse d′insister sur sa conviction d’avoir affaire à un tueur en série, nécessairement noir et âgé d′environ 20 à 30 ans. Finalement, l′arrestation de Wayne Williams, dont la responsabilité dans deux meurtres d′adultes est à peu près avérée mais qu′aucune preuve ni aveu n′accuse des 24 infanticides, clos l′enquête et la saison. Il est vrai que les meurtres d′enfants cesseront dès l′arrestation de Williams mais le fait que celui-ci ne fasse que correspondre au portrait théorique du coupable pose le problème d′une approche purement statistique. Qu′importe, les politiciens locaux et Ted Gunn sont ravis.

Mindhunter Wayne Wiliams
Parallèlement, la famille de Bill est frappée par le meurtre d′un bébé commis dans son voisinage et auquel aurait assisté leur propre fils, sans intervenir. Ce petit garçon adopté se mure dans le silence et présente des formes de régression psychologique. Le drame va mettre à mal l’implication de Bill dans l’enquête et ronger son couple jusqu′à son éclatement. On découvre également l′homosexualité tenue secrète de Wendy. De notre point de vue contemporain, on peut être étonné par son masque d’indifférence lorsque la « déviance » homosexuelle de certains psychopathes est évoquée au sein de l′équipe. Il est pourtant légitime à l’époque (2). Quoi qu’il en soit, entre le trop fragile Holden, l’impossibilité de Bill à assumer sa vie familiale, les faux-fuyants de Greg et le secret de Wendy, on découvre l’équipe sous une lumière nouvelle, qui n’est certainement pas celle qui anoblit ordinairement les agents du FBI à la télévision. Ed Kemper lui-même les ramène à la réalité avec son inimitable franchise : »Ce que vous savez des tueurs en série ne vous vient que de ceux que vous avez attrapés ».

Mindhunter2 Ed Kemper 2

S′il fallait ramener Mindhunt à une idée, ce serait évidemment celle de l′empathie. Ce trait de la psychologie est l′outil qui permet à Holden de pénétrer les mécanismes mentaux des psychopathes meurtriers. C′est en faisant siens les contours de leur psychologie qu′il tente de comprendre ce qui les amène au passage à l′acte et de deviner ce qui risque de se produire. À charge pour Wendy, de classer les uns et les autres dans un répertoire de la folie meurtrière, premier du genre et destiné à servir de modèle pour l’ensemble du FBI. Ce faisant, Wendy comme Holden procèdent de la manière scientifique traditionnelle, par comparaison et classification. Mais cela suffit-il ? L′échec relatif de l′enquête sur les infanticides d′Atlanta montre les limites de la méthode. De surcroît, que vaut cette méthode dans une société qui, par exemple, criminalise encore certaines pratiques sexuelles ? Le double-jeu de Wendy sème le trouble. En dépit de sa responsabilité dans la classification des tueurs psychopathes, il paraît évident que cette typologie est aussi le reflet d’une société à un moment donné (3), comme le fut en son temps, et toutes proportions gardées, la défunte phrénologie.

Mindhunter2 Wendy

Le terme « empathie », massivement utilisé pour traiter des psychopathes, est lui-même un mot récent puisqu′il date de la fin du XIXème et n′est entré dans le langage courant que dans la seconde moitié du XXème siècle, sous l′influence des sciences humaines, en particulier de la psychanalyse. Coïncidence troublante, la première fois que je l′ai rencontré, c′était en lisant un livre sur les tueurs en série. Sur John Wayne Gacy, pour être précis, « the Clown Killer ». Comme je l’ai déjà dit, se montrer capable de comprendre les sentiments de l′autre est le moteur de la méthode de Holden, méthode qui répond au handicap dont souffrent les psychopathes, incapables de ressentir la moindre empathie mais virtuoses du mimétisme, par compensation. Beaucoup sont paisiblement intégrés à la société mais seulement grâce à leurs capacités d’imitation des comportement sociaux. Cette quasi-identification aux ressorts internes du tueur en série par l′enquêteur a été adoptée dans maintes œuvres télévisuelles ou cinématographiques, avec des bonheurs variables. On ne parle donc dans Mindhunter que des psychopathes et non des psychotiques, dont le comportement erratique n′intéresse hélas guère les auteurs de fiction.

Mindhunter2 Son of Sam 1

Les tueurs psychopathes fascinent les scénaristes à tel point qu’on a pu, à juste titre, s′irriter de l′érotisation des tueurs en série, comme ce fut le cas avec The Following ou Conversations with a Killer : The Ted Bundy Tapes (4). La première qualité de Mindhunter est d′échapper à ce piège à la fois en restant fidèle à l′histoire authentique de cette unité du FBI et en pointant les limites du contexte idéologique comme celles d′une procédure balbutiante. Mais, pour revenir au détail que je mentionnais en introduction, ce tremblement de l′image qui nous fait ressentir ce que les personnages vivent, il faut reconnaître que par rapport à une première saison un peu sèche, celle-ci nous plonge dans un réel état de fascination. La forme de la série se modèle sur son contenu. On se sent adhérer à l′action par l′effet d′une glu invisible. On a le sentiment d′un ralentissement du rythme, d′un étalement du temps, rien ne vient rompre le cours de l′action comme si le récit s′écoulait comme un ruisseau paisible. Les personnages deviennent si proches que l′on vit chacune de leurs satisfactions ou de leurs angoisses sans qu′un rire ni une plainte ne soit émis. On finit ainsi par comprendre que l′empathie n′est pas seulement ce que Holden déploie à ses propres risques pour approcher les tueurs, elle est aussi ce par quoi la série nous prend, ce qui nous fait adhérer à Holden, Bill et Wendy.  Elle y parvient grâce à une grande sobriété de la direction d′acteur et du montage, à un refus du spectaculaire, à une certaine pudeur vis à vis des personnages, à une prédilection pour les basses lumières et les teintes chaudes, à un rythme imperturbable et au prix, une seule fois, d′un petit effet technique. Nous sommes captivés, au sens originel du verbe. Voici donc (aussi) pourquoi la série s’appelle Mindhunter, en français : « Chasseur d’esprit ».

Mindhunter2 couple
Notes :

(1) Le personnage de Holden Ford est inspiré de l’agent du FBI John Douglas, celui de Bill Tench de l’agent du FBI Robert Ressler et celui Wendy Carr est basé sur la psychologue et professeur d’université Ann Burgess.
(2) L′homosexualité et l′adultère était encore réprimés en Virginie il y a quelques années.

(3) Certaines études plus récentes portant sur les grands patrons, par exemple, décèlent chez eux un taux de psychopathes égal à celui des prisons américaines. Article à lire ici
(4) cf Vanity Fair

Mindhunter est un feuilleton américain créé par Joe Penhall à partir du livre Mindhunter : Inside the FBI’s Elite Serial Crime Unit de John Douglas et Mark Olshake, et diffusé sur Netflix en 2019 pour la deuxième saison. Il est interprété notamment par : Jonathan Groff, Holt McCallany, Anna Torv, Stacey Roca, Joe Tuttle, Michael Cerveris, Cameron Britton,…

Une réflexion sur “Mindhunter S02

  1. Pingback: The Hunt for a Killer | les carnets de la télévision

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