Malgré l’avalanche des louanges, les cris de victoire, le nombre extraordinaire de spectateurs et le monceau d’articles dithyrambiques ou peut-être en raison de cet unanimisme, l’envie de nager à contre-courant m’a pris dès le premier épisode d’En Thérapie.
Chaque réussite d’une série française est saluée par le même accès d’enthousiasme et résonne comme une délivrance. La malédiction serait tombée, la mauvaise fée qui présida à la privatisation de la télévision serait morte (1) et la France ne serait plus la lanterne du peloton dans la grande compétition mondiale de la fiction sérielle télévisée. L’allégresse patriotique soulevée par Le bureau des légendes ou Spirale ne retombera plus, nous avons désormais En Thérapie.
On objectera qu’il ne s’agit que de l’adaptation de la série israélienne Be Tipul, déjà reproduite dans de nombreux pays, les USA en tête. Le peu qu’il soit donné pour comparer l’original à son adaptation (2) semble prouver une très grande fidélité. Le ton, le décor changent mais le récit est suivi pas à pas. Qu’importe, peut-on se dire, du moment que nous nous reconnaissons dans ces décors parisiens bourgeois, dans ces personnages interprétés avec une belle sincérité et dans le souvenir d’un traumatisme collectif encore à vif : les attentats du 13 novembre 2015 !

Je me rallierai pourtant à la critique exprimé par la psychanalyste et enseignante Hélène L’Heuillet dans Libération, qui déplore les invraisemblances de la série avant de se réjouir de l’engouement national qu’elle suscite.
Sans être formé à l’analyse ni avoir d’idée précise sur ce qu’elle implique, on est, comme elle, frappé dès le premier épisode par l’agressivité des patients à l’encontre du psy. À qui vient-il l’idée de bousculer ainsi un thérapeute que l’on vient consulter pour son propre bien, de le menacer à tout instant de partir ou d’afficher un véritable mépris pour sa profession ? Se comporterait-on ainsi chez son médecin généraliste ? Non, bien sûr. Pourtant, tels que nous sont présentés les patients, ils traitent d’égal à égal avec le psychiatre et ne traînent pas à lui asséner leur façon de penser. Hélène L’Heuillet écrit : “ Par chance pour les analystes, les sujets qui s’adressent à eux ne se présentent pas de manière aussi agressive, soupçonneuse et condescendante que ceux que dépeignent Eric Toledano et Olivier Nakache ”.

Qu’il s’agisse du fond – les interventions du psychanalyste – ou de la forme – l’intensité des échanges et la symétrie adoptée par le thérapeute et le patient – Hélène L’Heuillet ne se prive pas, à juste titre, de pointer ce qui relève à ses yeux de l’invraisemblable. La production d’En Thérapie s’était pourtant parée de prudence. Pour commencer, elle a choisi pour titre En Thérapie, plus large, plus vague qu’En Analyse. Un psychanalyste a été embauché comme consultant, les scénaristes sont tous passés par son cabinet en se mettant dans la peau du personnage dont ils étaient en charge. Deux scénaristes en particulier, David Elkaïm et Vincent Poymiro, avaient deplus quelques années de divan derrière eux.
Les choses étant dites, la psychanalyste balaie cependant ses propres reproches en fin d’article et envoie le réalisme aux orties pour se féliciter du vif intérêt du public. Elle y voit la nécessité de revenir sur les évènements tragiques de 2015 mais aussi, peut-être, de mettre des mots sur ce qu’il est désormais difficile de dire.

Toutes les précautions prises pour éviter les approximations, les clichés et tout ce qui pouvait ruiner l’effet de réalisme ont donc été insuffisantes mais surtout inutiles. De toute évidence, nous nous moquerions de la parfaite véracité d’une séance de psy comme nous nous ficherions de savoir si Jean Yanne découpe proprement la viande dans Le Boucher. Tant qu’il nous en donne l’impression, il n’y aura que les bouchers à s’étrangler, le reste du public, lui, se passionnera toujours pour autre chose. Cette autre chose, dans En Thérapie, ressemble fort à une brève mais sereine leçon, une explication très pédagogique de ce qu’est la psychanalyse. Pour ce faire, il a suffit de transformer le cabinet du psychanalyste en scène de théâtre, d’y placer un bureau, un fauteuil, un divan, deux acteurs et de laisser le spectateur se reconnaître dans l’un un ou dans l’autre.

Que raconte En thérapie ?
Les 35 épisodes sont groupés par cinq et nous montrent quatre patients : Ariane, la chirurgienne, Adel, le policier, Camille, la jeune nageuse de compétition, Damien et Léonora, le couple compliqué, dans le cabinet d’un psychothérapeute. Ensuite ce même psychothérapeute, Philippe Dayan, dans le cabinet d’Esther sa contrôleuse. Tous ont vécu les attentats de plus ou moins près. Ariane et Adel au premier plan, Philippe Dayan au dernier puisque le soir en question, il avait trop bu et s’était endormi sur son divan.
Le Bataclan, le Stade de France, les rues du 10ème et 11ème arrondissement, 130 morts et plus de 400 blessés. La décision de situer l’action peu après ce drame tisse une trame entre chacun des protagonistes. Philippe Dayan n’y participe pas au même titre que les autres puisqu’il n’a appris le drame que le lendemain. Il n’a pas avancé au milieu des cadavres comme le policier, ni soigné les blessés comme la chirurgienne. Que la vie sociale et le psychologie des profondeurs aient à voir n’est pas une découverte, l’intérêt est ailleurs. Cette position de l’homme, en retrait de l’Histoire, est semblable à la position de l’analyste qu’il est, en retrait de chacune des histoires de ses patients. Il n’est pas à leur place, il n’a rien vécu de leurs vies, à commencer par le massacre du 13 novembre, il leur offre seulement son écoute bienveillante afin de les aider à effectuer le travail sur eux-mêmes qu’ils ont à faire.

Tout ceci, En thérapie l’exprime très bien, grâce au talent de ses acteurs. Elle l’exprime au bon moment, celui d’une pandémie qui nous confine tous dans nos intérieurs et finit par lourdement peser sur nos états d’âme. Si les personnages d’En thérapie parviennent peu à peu à mettre des mots sur leurs douleurs pourquoi ne pourrions-nous pas le faire à notre tour ? Peut-être dans ce huis-clos où nous nous confions à nos télévisions.

Au-delà des qualités des uns et des autres, du format court, de la variété des personnages, qu’est-ce qui a drainé un si large public devant cette série ? Dans son éditorial de Libération, Alexandra Schwartzbrod rapporte les propos d’une psy “ Il y a sans doute le plaisir de transgresser un interdit en écoutant ce qui se passe derrière la porte du psy, comme on essaye d’écouter, enfant, ce qui se passe derrière la porte de la chambre des parents. ” Qu’une psy puise dans la psychanalyse, rien de plus normal mais cette série étant de la télévision, rien n’est plus légitime que d’aller également chercher les références dans la télévision. En la matière, c’est évidemment Loft Story qui vient à l’esprit, pas seulement parce que la production avait là aussi embauché un psy pour parer aux dérives mais parce que tout le dispositif reposait sur le “ confessionnal ”, dispositif si proche mais en réalité si distant de la séance d’analyse.

Le confessionnal est à la télévision ce que la télévision est au cinéma. La télévision est le confessionnal dans la cathédrale du cinéma, c’est-à-dire l’enclot du face-à-face au cœur de la communion collective. C’est pour cela que de Discorama à Loft Story, il est peu à peu devenu LA figure de style de la télévision
Le confessionnal, minute de vérité de la téléréalité, quintessence de la télévision. Un gros plan, face caméra, qui nous regarde et nous parle, à nous qui le regardons et l’écoutons. Rien d’autre. Rien, sur les bords, rien hors-champ, rien dans la profondeur. Tout dans l’avant-champ, pour reprendre le terme inventé par Bazin. Evidemment, c’est plus brutal qu’un confessionnal d’église où l’on est profil-à-profil, si je puis dire, et de part et d’autres d’un treillis. Et c’est moins bien dégrossi qu’une séance de divan.

Dans le confessionnal de Loft Story et des émissions de télé-réalité qui suivirent, quel était le point de vue du spectateur ? Certainement pas celui du confesseur puisque celui-ci se réduisait à une simple voix, c’est-à-dire un point aveugle mais omniscient et omnipotent – ou plutôt aveugle parce qu’omniscient et omnipotent -. Le spectateur empruntait un regard autre, le regard du juré si l’on veut, le point de vue de celui qui écoute et remet son jugement à la toute fin, sans explication ni justification. C’était là, au confessionnal, bien plus que dans la fausse exaltation de la vie en communauté, que le choix des téléspectateurs se cristallisait. Le jugement était toujours une affaire de morale et le verdict tombait, aiguisé comme un couperet. Jean-Edouard s’est comporté malhonnêtement, ou non, vis à vis de Loana ? Vraie question et réponse tranchante.
Cependant, si l’on ramène le dispositif du confessionnal à la séance de psychanalyse, la ressemblance bute sur l’essentiel. L’analyste n’est l’intermédiaire d’aucune puissance supérieure, il ne juge pas (3) et n’a rien à pardonner. Et puis, avantage décisif, on peut mentir à son psychanalyste, jamais à son confesseur. À l’église comme dans le Loft.

Certes. Mais le divan-plus-caméra est-il encore seulement le huis-clos de la séance de « thérapie » ? C’est en effet là que tout change. Le divan-plus-caméra, même dans le cadre d’une fiction, devient autre chose qu’une séance de psychanalyse puisqu’un tiers y assiste. Un tiers muet, certes, mais ni sourd ni aveugle, un tiers qui réserve son jugement pour la fin, comme dans un confessionnal de télévision. Cette instance supérieure, ce juge muet, est constituée de millions de fois une paire d’yeux et une paire d’oreilles. Théâtre, télévision, psychanalyse se fondent ainsi en un genre hybride qui tient un peu des trois et qui, par la vertu de la fiction, s’avère autrement plus heureux que le Psy Show des années 80.
Note : 1 – puisque c’est bien à partir de ce moment que la qualité des productions françaises s’est effondrée. 2 – par exemple avec ce 6ème épisode en hébreu sous-titré en anglais. 3 – en dépit d’un nom un peu maladroit, Dayan, qui signifie « juge » en hébreu et qui est le nom de l’acteur israélien qui tenait le rôle, Assi Dayan, fils du général et homme politique Moshe Dayan.
En thérapie est une série télévisée française adaptée par Éric Toledano et Olivier Nakache et diffusée depuis le 4 février 2021 sur Arte de la série israélienne BeTipul (בטיפול) et de son adaptation américaine In Treatment. Il est interprétée notamment par Frédéric Pierrot, Mélanie Thierry, Reda Kateb, Céleste Brunnquell, Clémence Poésy, Pio Marmaï, Carole Bouquet…
Merci pour votre très intéressant article, et pour ma part je rajouterai que j’ai trouvé la série sexiste (les femmes hystériques très régulièrement) et comme dirait une copine féministe « la série est misogyne carrément », ces actrices interprètent à merveille leurs rôles, quant au reste vous l’avez très bien dit, très bonne soirée