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Il n’est pas certain qu’en des temps ordinaires, j’aurais dépassé le premier épisode d’une série qui rassemble trop à un remake de Paris Police 1900, dans une version anticommuniste. Le producteur étant le même, l’orientation politique du groupe Canal+ dérivant depuis 2015 vers de détestables rivages, la méfiance était de mise. Un deuxième épisode et la machine fictionnelle a cependant été plus forte que la suspicion…

L’histoire met en scène un boxeur recruté par un gang juif dans la Varsovie de 1937. La date est importante car, contrairement à son image ultérieure de victime de l’Allemagne nazie, la Pologne de cette époque était traversée de violents courants contraires et les minorités, ukrainiennes et juives notamment, étaient victimes d’une discrimination brutale en violation du Traité des Minorités annexé au Traité de Versailles pourtant ratifié en 1920 par l’État polonais.

Le gang juif dont le boxeur Jakub Szapiro (prononcer Shapiro) devient l’homme de main est issu des forces paramilitaires socialistes et en a conservé la rhétorique à défaut de la morale. Il rackette les commerçants juifs du nord de la ville et affronte les fascistes dans des combats de rue qui laissent régulièrement quelques cadavres sur le pavé (1). Dirigé par l’ancien combattant et militant socialiste Buddy Kaplica, il n’hésite pas, non plus, à tabasser ou même assassiner les mauvais payeurs dont les cadavres sont ensuite dispersés en morceaux dans une rivière voisine. Et c’est précisément la tâche confiée à Szapiro.

Le second de Kaplica est Radziwilek, un psychopathe qui gère les forces armées du gang et écoule en abondance la cocaïne dans les rues de Varsovie. Le personnage qui ne cesse de mélanger polonais et allemand est une sorte de préfiguration de sadique SS qui autorise la détestable équivalence des nazis et des communistes de l’époque. De tous, il est, avec son demeuré de sous-fifre, le personnage le plus caricatural donc le moins crédible du feuilleton, faute majeure si l’on s’en tient à la règle hitchcockienne : « Meilleur est le méchant, meilleur est le film. »

Le meurtre de Bernsztajn (prononcer Bernstein), un petit commerçant incapable de payer ses dettes, va avoir une conséquence prévisible, son fils Moyshe va chercher à le venger, et une imprévisible, après l’avoir maîtrisé, Szapiro va l’héberger et le traiter comme son fils, ou plutôt son successeur. Moyshe, victime d’un père alcoolique et violent, se laisse amadouer. Dans cette histoire, tous les hommes se cherchent un successeur et tous se trompent sur la personne.

C’est ainsi que le récit va se construire à la fois sur le témoignage de Moyshe lorsque, de nos jours, devenu âgé et vivant en Israël, il accepte de témoigner de sa vie passée en Pologne, et, d’une façon plus directe, sur le point de vue de Szapiro, en 1937. La première, raison d’une séquence par épisode, est en noir et blanc au format 4/3, la seconde est en couleurs au format 16/9 par une curieuse inversion technologique qui fait ressembler des images d’hier aux images d’aujourd’hui et vice-versa..

Les tensions politiques créent une sorte de vortex dans lequel tous les personnages sont aspirés, communistes comme fascistes, gangsters comme policiers, prostituées comme trafiquants, juifs comme polonais. Dans ce contexte, qui est aussi celui des débuts de l’émigration juive vers la Palestine et des frictions entre britanniques, arabes et juifs sur place, un certain nombre d’israélites polonais, comme Moryc, le propre frère de Szapiro, se préparent à émigrer clandestinement. Jakub, lui, est trop entiché de sa ville pour songer à la quitter. Sa propre femme Emilia dit même de lui qu’il lui préfère Varsovie.

Les fascistes, pendant ce temps, organisent leur coup d’État avec l’aide d’une partie de la hiérarchie militaire. Des armes sont fournies, des complicités sont acquises, la piétaille est entraînée, la minutieuse mécanique séditieuse est fin prête à suivre l’exemple allemand.

Dès lors, l’élimination de Kaplica, seul capable d’organiser la résistance populaire au putsch, devient un impératif pour beaucoup, y compris dans son propre camp. Des intérêts contradictoires s’allient, les traîtres et les comploteurs s’agitent dans l’ombre. Et c’est ainsi qu’à son corps défendant, Szapiro se retrouve à jouer un rôle de sauveur improvisé. Il se peut même qu’en ces circonstances troubles, son destin s’accomplisse et qu’il succède à Kaplica et devienne, à son tour, le « roi de Varsovie ».

Le récit progresse en se densifiant, notamment en accordant plus de place à la galaxie des femmes de Jakub : son ancienne maîtresse, Rifka, la tenancière du bordel qui sert de quartier général au gang, Anna Ziembinska sa nouvelle passion et son informatrice, fille d’un procureur fasciste, et enfin Emilia, sa femme.

En passant sur quelques plans un peu énigmatiques, dont celui d’une mystérieuse baleine volante vraisemblablement métaphorique, il subsiste durant la quasi-totalité de la saison deux taches aveugles. Tout d’abord, la docilité de Moyshe vis-à-vis de Jakub, l’assassin de son père, et sa relative inactivité tout au long de la série. Très souvent présent, il n’agit pas, il observe. Le témoignage du vieux Moyshe s’en trouve crédibilisé, certes, mais sans dissiper un doute sur le rôle exact du personnage dans sa jeunesse. Seconde difficulté : la raison d’être de l’homme qui fait irruption chez le vieux Moyshe pour l’interroger sur sa vie passée. Il se présente comme enquêteur chargé d’étudier l’éligibilité de personnes au statut de « justes » pour avoir aidé des juifs pendant la seconde guerre mondiale. Les graves troubles de mémoire de Moyshe altèrent la conversation mais l’homme insiste et pousse Moyshe dans ses retranchements.

Curieusement, il ne semble pas totalement inconnu de la femme de Moyshe, sans que l’on en sache davantage.

La fable de l’enquête tient un moment, jusqu’à ce qu’au début du 5ème épisode, l’homme dégaine un pistolet et menace directement le vieux couple en exigeant que Moyshe continue à lui raconter sa vie. Le spectateur ne comprendra les tenants et aboutissants de cette situation qu’à la fin du dernier épisode, c’est-à-dire trois heures plus tard.

J’ignore si le roman à l’origine de la série est construit de cette façon. Chacun sait qu’il relève des procédés ordinaires de la fiction que de dissimuler des informations et d’en dévoiler d’autres de façon à entretenir l’intérêt du spectateur. À défaut, aucune intrigue n’aurait d’attrait et la plupart tiendraient en trois pages. Mais taire durant huit épisodes le réel moteur d’un récit dont on ne livre au spectateur qu’une version lacunaire issue de la mémoire défaillante d’un vieillard, et ceci sans fournir d’indice suffisant pour l’impliquer dans la mécanique narrative, n’est pas un procédé très loyal.

Qui est qui ? Le vieux Moyshe est-il le jeune Moyshe d’autrefois ? Où vit-il, en Israël ou en Pologne ? Quelle est cette femme avec laquelle il partage sa vie ? Qu’est devenu Szapiro ? Et sa famille ? Telles sont les véritables questions, celles dont on nous a tenu à l’écart et dont les réponses se bousculent en fin de dernier épisode. Préalablement, les auteurs auront tout de même eu la prudence de faire disparaître les personnages trop impliqués dans le récit : la belle Anna, son procureur de père tout comme l’abominable Radziwilek et ses hommes de main, juste après Kaplika. Faire mourir brutalement des protagonistes est une façon pour le moins hâtive de liquider des narrations secondaires. Il en ressort néanmoins l’impression de l’effacement brutal et complet d’un monde, celui de la Pologne indépendante de l’entre-deux guerres. Les Allemands n’ont plus qu’à s’en emparer.

S’il s’agit bien de savoir qui est qui, donc d’une affaire d’identité, de substitution, de double, de masque, quelle que soit l’appellation qu’on lui donne, mérite-t-elle de se réduire à un coup de théâtre final ? L’atout inattendu jeté au dernier tour crée la surprise mais il génère surtout la suspicion. Il retourne le récit comme un gant, lui donne une signification qu’il n’avait pas jusqu’alors. Dès lors, le spectateur peut légitimement se sentir floué. La main du marionnettiste doit rester invisible, telle est la règle.

Note : 1- la maigreur des troupes de militants de part et d’autre, en particulier dans les manifestations, laisserait croire à une production financièrement modeste. Le pléthorique générique de fin, digne d’une production « hollywoodienne », prouve au contraire que la production n’a rien épargné pour la technique, les costumes et les décors.

Król (The king of Warsow) est un feuilleton polonais adapté du roman de Szczepan Twardoch par Lukasz M. Maciejewski, Dana Lukasińska et lui-même. Produit et diffusé sur Canal+ en 2021, il est interprété notamment par : Lena Gora, Mikolaj Kubacki, Piotr Pacek, Aleksandra Pisula, Pawel Wolak, Arkadiusz Jakubik, Borys Szyc, Michal Zurawski, Andrzej Klak, Barbara Kurzaj, Krzysztof Pieczynski, Adam Bobik, Magdalena Boczarska, Jacek Braciak, Michal Michalak, Kacper Szabela, Michal Kowalski, Marcin Pempus, Andrzej Seweryn, Piotr Żurawski, Kacper Olszewski, Maciej Póltorak, Adam Ferency...

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